Le jeu de dupes universel
La tempête d’interprétations s’est déchainée qui voudrait comprendre la réalité selon l’aune de la scientificité ou selon la proximité du moi ; la science absente le sujet, le moi ignore le sujet (qu’il est). De sorte que l’on se occupe par là des racines d’une part métaphysiques (grecs et chrétiennes) et d’autre par ontologiques (chrétiennes et cartésiennes) ; renvoyant prétendument tout cela à un âge perdu ou dénigré, ou plus raisonnablement à une incompréhension foncière (puisque nous sommes tellement lucides n’est-ce pas …).
Privés de ces racines (qui sont non du terroir, hypothèse heideggerienne, mais de l’architecture intentionnelle, celle qui a outrepassé tous les mondes particuliers), privés de cette ampleur nous retombons bien évidemment en quelques mondes à nouveau particuliers ; bordés par la scientificité et par les psychologies du moi (cad les sciences humaines).
Par ailleurs il est mille tentations de rechercher en d’autres civilisations d’autres interprétations, présupposant que celle-ci ne nous suffit plus, que nous sommes trop vastes pour nous contenir en cet « occident » (qui n’est qu’un nom, ou donc ; ça aurait tomber sur d’autres que les grecs, mais ils se sont nommés « les grecs », voila tout, inutile d’un faire tout un plat). Et cette démarche est tout à fait légitime ; si ce qui est arrivé à l’humain est la réflexivité pure et nue, (cad sans aucun contenu, outrepassant tous les contenus et se dirigeant vers le système formel global et pointilliste, cad atomisé) et la réflexivité si elle se veut (enfin) par les grecs (toute nue et sans rien d’autre), la réflexivité existe depuis le début des débuts ; sauf qu’elle s’emmaillotaient dans ses contenus (chaque monde particulier antérieur) mais parvenant ici et là à des révélations esthétiques (évidemment on n’a pas attendu que l’on nomme esthétique l’esthétique pour qu’elle soit), ou éthiques ou politiques, ou idéelles (les mathématiques existent avant les grecs, c’est clair, mais les grecs systématisent).
Et donc il est en quantité de mondes humains particuliers des pointes réflexives tout à fait formidables. Il se trouve (seulement mais cela suffit) que c’est par les grecs que « ça se veut », tel quel, nommément (ça se dit à soi-même « ceci est la réflexivité même » ; puisqu’elle est la réflexivité, elle ne peut pas ne pas se nommer elle-même, et se saisir comme certitude radicale, cad absolue ; il n’y en a pas d’autre ; n’étant pas un système d’idées mais un être structurel qui surgit, commun de fait à tous).
La bordure du monde par les sciences et les mois, rend impossible que l’ampleur qui nous a lancé dans l’historicité se continue. On aboutit à l’état stagnant de notre être, tel qu’on le constate partout et constamment ; la rigidité cadavérique de ce monde çi humain. Autrement dit tandis que la structure depuis 2500 ans tendait à se déployer elle-même comme telle, dans son architecture fondée sur le mécanisme de base de conscience-de, s’élaborant en machineries intentionnalisatrices, qui contiennent les universalités (le vrai, le bine, le beau, le un, les totalisations de cet Un) et les universalisations (éthique, esthétique, politique, idéel, etc), créant à la fois l’humanisation fondée sur l’universel et la personnalisation fondée sur le sujet,
A la place de tout cela, c’est un monde donné là humanisé et personnalisé mais sans possibilité de survie qui écrase la réalité et qui s’effondre par-dessous lui-même. L’humanisation et la personnalisation privés de l’universel et privés du sujet, tournent en rond dans leur cage. Ça se mord la queue parce que ça croit que ça repose sur soi … ça forme un semblable monde particularisé qui n’obtient plus du tout d’oxygène puisqu’il s’est défini lui-même comme naturel et tel un « état de choses » données là puisant dans cette fondation naturaliste ses ressources s’amenant nécessairement jusqu’à l’épuisement ; en tous les sens du terme.
Épuisement des ressources naturelles évidemment mais aussi épuisement des ressources humaines ; ce qui signifie en un mot ; gaspillage. Dépense inconsidérée parce que le retour sur (soi) qu’est notre être se croit en un état de chose donné là qui de fait ne possède en rien la capacité de se renouveler.
Ou pour mieux dire de se re-renouveler. Cela signifiant que la réflexivité native qui a relancer l’humanisation par sa révolution anthropologique, en outrepassant les mondes particuliers, retombe derechef dans une particularisation et ceci puisqu’elle ne se conçoit (pas, en fait elle ne se conçoit pas) comme nature humaine, naturalisme de l’économie, inertie du moi qui se croit destinalement lui-même (qui croit que tout moi est non pas un processus, une personnalisation, mais un état, une essence fixiste d’identité de soi à soi), inertie de la compréhension intellectuelle qui ne se sait pas avant tout intellective. Perdant la racine et la réflexivité, croyant que cette réflexivité est seulement le retour sur lui-même d’un donné là (nature humaine, identité du moi), elle ne voit pas, plus que cette réflexivité était en vérité le déploiement de la structure seule.
Parce que au fil du temps, ce que l’on a nommé « raison » ou rationalité » ne possédait plus le gout ni l’odeur de quoi que ce soit ; on a cru que la raison se stabilisait comme réflexivité oui, mais réflexivité de notre réalité humaine sur elle-même ; un simple moyen. Or réflexivité s’entend tout autrement ; c’est la réflexivité même qui est actrice du réel. La réalité humaine en est l’effet. Le vrai, le bien, le beau étaient des effets d’un ressort plus interne et vide mais structurel. Acculturation humanisation et universel, personnalisation et sujet, objectivité et subjectivité sont des effets et non des finalités ; la seule finalité est structurelle. Il n’y a rien d’autre. Rien d’autre, à strictement parler, n’existe. Seul existe ce qui traverse (puisque la réalité, le réel est « ce qui devient, tout le reste étant épuisé et absorbé, dévoré) ; ce qui demeure est la structure.
Lorsque l’on a posé la pensée, grecque, le dieu, chrétien, le sujet cartésien (qui coure jusqu’à Hegel, Kant compte tenu, et s’est poursuivie par les grand sujets désespérés et perdus pour le monde, la vie, le moi, l’humain, il y en eut des tas), la tension était maintenue ; elle dirigeait les pas. Mais lorsque l’on a renié tout cela, se concentrant sur la version tronquée de la réalité à disposition de la seule science et du seul moi, la réalité s’est refermée sous nos pas, et nous sommes entrés dans un monde donné là clos (aussi complexe soit-il, il est clos et s’emplit de noirceurs). Le souffle n’y est plus et il ne possède plus la capacité de se re-renouveler. L’humain se dévore et les mois se déglutissent.
Ceci parce que la structure doit être relancée et réorganisée, qu’il doit se recomposer la trame architecturale, ce qui est impossible tant que l’on se conçoit selon le donné là d’une nature humaine fixiste. Or les sciences et les discours du moi, absentant le sujet ou l’ignorant (se prenant pour « soi » ou prenant la réalité comme donné-là inerte) n’obtiennent aucune perspective qui puisse entrainer le re-nouvellement.
Il faut remarquer en ceci que les sciences ne se disposent pas autrement que selon et par le sujet cartésien, mais l’absente ; elles pensent le monde comme donné là, leur objet comme figé, objet de sciences, et jamais n’entreprennent de le vouloir. De même le moi n’ayant aucun sujet (il ‘ignore) est soumis à l’objectalité comme les sciences à l’objectivité ; du moi on peut dire qu’il ne sait jamais où est sa conscience…
De sorte que le moi peut très bien être lui-même seulement l’objet sous une autre conscience (puisqu’il ne sait pas où est la sienne), c’est même ce qui arrive toujours.
Ce qui ne signifie pas qu’il y ait un moyen pour être la conscience que l’on est ; il n’y en a pas, aucun, jamais. Mais on peut savoir qu’on ne la possède pas. Ce qui change tout. Parce que dès lors elle n’appartient plus à rien ni à personne ni à quoi que ce soit. Ce qui est un tourment mais divin.