Le moi et la mort
Pour tout moi, toute personnalité, qui se croit elle-même si destinalement telle quelle, immuablement elle-même, enfonçant notre être dans telle détermination, tel vécu, tel relationnel, telle identité, il reste le sujet.
Le sujet est ce qui se tient non idéalement par devers n’importe quelle personnalisation. La psychanalyse entend dénouer cette complexité du moi en le remontant, en remontant son devenir, son être jusqu’aux originelles déterminations, mais la structure de tout moi se tient autant de ce passé, de cet étagement de notre réalité personnelle sur elle-même que de son potentiel, et ce potentiel est cela qui renoue notre donné là, notre vécu, à son sujet.
Autrement dit ayant inventé l’extensivité (de la pensée, grecque), l’intensité (du sujet fondamental cartésien qui reprend à son compte l’intensité chrétienne), puis ayant exploré les mille grands sujets et les horizons humains ou non humains ou inhumains, tout cela aboutissant aux mois, il revient aux mois eux-mêmes de relancer les possibilités internes, les possibilités historiques et an-historiques.
C’est parce qu’il y eut l’universel et l’extensivité, le libre et le sujet, le non humain et l’inhumain qu’il y eut avènement des mois. Mais ce qui fut une conquête (leur liberté et leurs libertés) est aussi la barrière qui les empêche de s’acquérir eux-mêmes historiquement ; il est un dégout, un mépris, une détestation des mois envers leur propre acculturation.
Certes il convient que tout moi, (s’inscrivant comme être-libre, se tenant d’être un sujet, sujet ignoré mais sujet structurel immanquable) que tout moi repose sur lui-même (il forme un, ce qui psychanalytiquement lui cause problème, puisque un il ne l’est pas, sinon comme construction démontable), mais cette construction et repos sur soi, l’engage en une illusion catastrophique et dépourvue de toute lucidité ; il reste « là », sans avenir ontologique aucun puisque son être, sa structure est absorbée par son inertie de « là », simple donné là, inerte composition (quand bien même serait-il hyper actif, dans son cercle de souriceau), sans existence ontologique puisque sa propre définition de lui-même se clôt, le rabat sur sa finitude, son exigüité, sa facilité, sa fainéantise, son effondrement dans l’immédiateté ; ce que l’on traduit par ; le moi est une synthèse immédiate et qui veut faire sens à partir de soi, de sa localisation.
Parce que tout cela revient justement à ce que le moi use de sa conscience vers et dans une synthèse (tout comme les mondes humains particuliers pariaient pour une synthèse immédiate de leur monde localisé ou de leur auto expérience de groupe ou de langage ; ce qui apparait est de fait « vrai » est-il prétendu), et que cette synthèse est forcément immédiate ; prenant pour fond, pour fondement le « là » de « ce que de fait l’on est », depuis que l’on est né.
Comme il forme cette synthèse (qui lui semble son seul horizon, qu’il ne remet pas du tout en question de quelque manière que ce soit, qui lui est toute la réalité passé, présente et à venir, toute la matérialité même et toute la détermination), il demeure sourd et aveugle à tout ce qui le précède ; le moi ne comprend plus rien à l’universel et à la pensée, au sujet et aux grands sujets ; il s’est coupé intégralement de toute son acculturation et a du inventé sa propre acculturation, durant tout le 20éme.
(évidemment on accentue ici le désespoir et l’inanité sans fond de cette position du moi, mais il est entendu que par ailleurs le moi est un acquis absolu et fondamental, que donc dans son acculturation se joue également une entière positivité, mais rien ne dit que les mois soient capables de relever cette positivité et que précisément, c’est l’objet de cette analyse çi, les mois ne finissent pas s’effondrer sur leur cœur noir et mortifère).
La synthèse immédiate (soit donc le moi lui-même) forme donc la borne ultime d’un tel monde humain (l’humanisation, universelle, s’est poursuivie par la personnalisation, qui seule donne un sens à une humanisation universelle, mais la personnalisation se révèle aussi être son propre piège).
Un tel monde personnaliste revient sans cesse et se répète, puisqu’à chaque fois les mouvements de devenir butent sur l’impossibilité de dépasser qu’il y ait et qu’il n’y ait que des personnalisations ; qu’il y ait personnalisation oui, et c’est un acquis fondamental, mais qu’il ne soit possible que de la personnalisation est déjà absolument la limite mortelle de tout ce monde. Cela signifie qu’il demeure dans l’impossibilité de réacquérir l’universel et le sujet ; le moi ignore le sujet, la science absente le sujet, l’Etat fige le sujet, comme citoyen, l’économie réduit tout sujet à ses et « des » déterminations (de même que toute technostructure, étatique ou technologique). Bref c’est le monde humanisé entier qui bute à ne plus devenir du tout ; qui donc répète constamment sa limite. Soit donc la synthèse.
C’est un monde stupide, non qu’il ne soit pas intelligent, mais il n’est pas réfléchi ; il a cessé de réfléchir et use son intellect dans le même cercle limité. De même que les mois, les consciences (structure vide et formelle et sans rien) tournent en rond dans cette identité qui leur échut.
Il n’est rien de plus invraisemblable et cruel pour une synthèse, cad un moi, que de heurter constamment aux murs écrasants de son faible devenir. Il n’a rien à opposer à la douleur mentale, la souffrance physique et la mort. Notre réalité humaine qui tourneboule autour du langage et de la fixation de la conscience dans le langage (et les autres, et le groupe et le monde particulier, puisque cela fut créé autrefois en chaque communauté comme une telle synthèse qui « aurait un sens ») n’a pas su encore s’adapter aux nouvelles règles du Jeu.
Le Jeu qui a extrait notre conscience de contenus et a libéré celle-ci comme conscience tout court, sans rien, comme structure. Structure nue. On a pu emprunter la Pensée, ou dieu ou le sujet ou la révolution ou la surhumanité, etc, pour remplir cette structure ; mais elle n’est rien et ne possède rien ; son vide est absolu puisque son être formel.