Structure du Corps - 1
(Lacan, la psychanalyse comme terme, momentané, du réel)
L’arc de conscience est tourné immédiatement vers et dans le donné là, le monde, le vécu, le corps ; et elle est instantanément renvoyée par la paroi dressée de l’exister, la paroi du présent, accrochée dessus, arcboutée au réel.
C’est cet arcboutement qui est diagnostiqué par la psychanalyse ; soit donc que tout le conscient est dérouté, et que la feuille sur laquelle « cela » s’écrit, c’est le corps. Evidemment un corps étrange, l’autre corps, la surface-autre du corps, et la psychanalyse a du mal à distinguer ce corps-autre du corps donné, du corps biologique (d’où l’incertitude freudienne, réglée par Lacan) ; la surface qui cause problème, sur laquelle s’inscrit tout ce que l’on essaie d’être ou ce que l’on fut ou comme on a tenté d’échapper à ce que l’on fut, ou ce qui est happé par l’autre-regard, le regard destructeur, dévoratif (le corps-autre, embrouillé, est feuilleté dans ses psycho considérations, superpositions d’images fastes ou néfastes).
Et le gouffre ouvert sous nos pas est, d’abord, le regard de conscience, situé en l’autre, un autrui effectif ou l’Autre-qui-regarde, de l’intentionnalité de qui on se déclôt, le regard de conscience qui n’a aucun repère, qui n’est repérable nulle part ; on ne sait pas dans quel point de vue on nait. Et au fond de tous les points est pure et brutale angoisse. L’innommable. Dont on ne sait pas ce qu’il pense. Et qui étant innommé et innommable peut se confondre avec le corps, le muet, celui « qui ne dit pas ». S’il était défini, strictement, il serait manipulable, mais comme il glisse de conscience en conscience, feuilleté, on ne le saisit pas et donc nous sommes saisis.
Le moi croit qu’il est sous le regard, le sujet sait qu’il est lui-même le regard … Descartes sait qu’il (se) voit (l’entre parenthèse signifiant que Descartes souscrit à dieu, ce qui lui permet de laisser libre champ à) ce qui est, de fait, hors champ, et que la vérité soit plus grande que la réalité, comme on verra) Rimbaud non seulement sait qu’il se voit, mais il veut se définir lui-même en suivant non pas la ligne du corps, mais la ligne de la structure ; l’ambition ontologique de la poésie (les grands sujets contrairement aux sujets, Descartes, Kant, Hegel, croient possible de manifester l’impossible ; Descartes voit très bien que c’est un hors champ et que donc la vérité ne se manifeste pas).
Rappelons que le hors-champ c’est ce qui se tient sur le Bord et donc ne rentre jamais dans le monde, mais comme notre arc de conscience est lui-même sur le Bord, il sait bien qu’il se tient de là, et use de signes (du monde) pour manifester ce qui n’est pas dans le monde (puisque le bord existe et que le monde est ; l’exister est le présent qui crée de l’être, l’exister est antérieur et formellement hors du monde).
Comme l’arc de conscience (étant issu de la cervelle) revient vers le corps, c’est sur le corps que ça s’inscrit ; mais l’arc est un si large plan de réflexivité que ce qui se juge et se décide sur et par le corps est l’inscription tout à fait générale du sens « que l’on se donne » ; c’est en ceci que tout est entrainé par la machine du signe ; le signe fait signe ; il repère ; et pour cet arc le corps est en tout ou/et en parties un tel signe (le point de vue fuyant d’une conscience qui est hors champ, est quelle peut prendre toute position, et qu’elle est donc insituable ; on ne sait pas de quel point on se perçoit soi-même, c’est ce point que les sujets et grands sujets voudraient se tenir, et dont la psychanalyse nous apprend que l’on n’est jamais que « saisi par » et que c’est ce point externe, insituable, qui nous commande à être, ou nous épuise ou nous décroche, ou nous perd à jamais, et c’est tout à fait exact, sauf que ça ne se limite pas à cette logique intérieure au donné et au corps donné) ; et comme il est très dilué il est un signe total sans totalisation ; une totalisation ouverte ; accrochée à la paroi du présent ; une horrible douleur qui ne se referme pas, et horrible parce que l’arc est ce qui cause toute l’apparition dans le monde et toute l’intentionnalisation dans la représentation ; l’arc de conscience ne se fixe en rien ni quoi que ce soit ; il vadrouille.
Torturant tout de ses déplacements. Ses déplacements incessants ; une structure de conscience est considérablement active ; elle n’existe que de se mouvoir ; ce qui n’arrange certes pas la tranquillité des mois ; qui ne peut ainsi jamais se voir. Alors il cherche un peu partout des miroirs. Et plus il cherche plus il s’angoisse, parce que décidément « ça n’est pas ça », comme dit l’autre.
Il faut redoubler d’acrobaties pour tenir le coup, ou alors s’endormir. Endormir l’accélération de conscience (mais qui ne peut que se ralentir, stabiliser le point extérieur qui nous pense, regarde, fixe, fixe l’inconsistant).
Rappelons que le moindre signe, puisque nous nous trouvons dans un système ouvert et mobile, peut bouleverser intégralement non pas forcément la totalité des signes, mais bien plutôt l’arc centré, qui arcboute la surface du corps ; lorsque l’arc de conscience est atteint, par une séduction, une œuvre, une révolution, une mystique, etc, si ça n’est pas la totalité qui est renversée (parce que l’ensemble des signes est quand même assez fixé), c’est bien pire que cela ; c’est le centre innommable qui ne sait plus dans quel sens il tourne.
On comprend dès lors que si une atteinte a percuté le corps-autre, la mémorisation des déplacements de conscience (les points de vue sont inscrits sur la surface de mon corps), ça n’est pas seulement toute la cervelle qui est démontée, mais le rapport que « je » suis à « moi-même ». On peut très bien vivre une vie normale et dont le centre est ailleurs, absenté, mordu, défenestré. C’est le regard qui a divergé et ne sait plus, n’a jamais su sa position ; et ceci est structurel, mais est absorbé plus ou moins bien, et n’est pas nécessairement la « faute » d’un regard réel ; parce que finalement on n’est pas obligé d’accepter cet univers (lequel est monstrueux, comme déjà dit). Et on peut très bien également tombé amoureux, ou se convertir ou s’absorber dans une ek-stase existentielle (la racine de Sartre ou le soleil de camus).
Ça peut être pathologique, mais il est de toute manière impossible d’être « soi », puisque le décalage est constitutivement et antérieurement selon le processus ontologique même ; la plupart font semblant que non. Ils ont pu, su substituer au regard in / connu, une manière de se voir (en général en usant d’une stabilité par autrui). Mais la logique de l’autre regard est que l’on ne peut pas être l’origine de la conscience que l’on est. Si on était l’origine, on se contredirait. Le point de vue de conscience a besoin que l’altérité du monde, des autres, de l’autre regard lui disent qui ou quoi il est ; parce que sinon, si on se dit à soi-même « je suis ceci », ça ne tient pas ; ça n’est qu’un énoncé in-objectif.
Les grands sujets, si certains de l’accès qu’ils eurent à la ligne du réel, voulurent se voir eux-mêmes, se décider, se percevoir à partir de leur propre décision ; ça ne leur a pas trop réussi, enfin pour leur moi ; ils y ont sacrifié leur moi, démantibulé. Devenus fous ou dépressifs ou suicidaires ou délirants, ou en tous cas très malheureux. Rimbaud a tout laissé là. Comme le grand sujet n’est pas une solution pour le commun, cad pour tout le monde, on a promu une solution ; le moi. Le moi est ce qui fait fonctionner le capitalisme, comme dit l’autre. La raison d’être du libéralisme économique capitaliste est le moi ; l’économie est l’idéologie du corps. D’une surface de substitution du corps-autre (qui ne peut pas s’affronter lui-même) ; et d’une substitution spéciale ; elle transforme la surface en objet(s). Comme un seul ne suffit absolument pas, il en nécessite des quantités.
On ne peut pas affronter l’autre-surface du corps, parce que ça n’a pas de nom ; ça ne rentre en aucune formulation (et pour cela la psychanalyse montre, expose, exhibe comme le conscient est en réalité un ilot très limité mais en même temps transpercé, par le point de vue et par toutes les positons de points de vue que cela ouvre). Une des solutions de marquer le corps-autre est de percevoir selon l’œuvre. L’œuvre, l’esthétique, l’éthique (ontologique, pas la morale), la révolution (la politique en général en somme) viennent élaborer la surface et ce en l’augmentant ; d’une certaine mise en forme.
C’est parce que la destination naturelle, si l’on peut dire, de l’arc de conscience est évidemment le signe ; le signe est fait pour la structure de conscience : puisque c’est parce qu’il existe un arc qu’il y a des signes ; le signe est tout bonnement de signifier ; de rapporter ; et la conscience est strictement le rapport unique, exclusif (rien n’existe comme rapport à (soi) ; non pas rapport à « soi », mais rapport à (soi), en lequel le soi est le rapport et non une quelconque identité).
On ne repère que les signes mais que la vérité puisse passer avant la réalité (puisque n’importe quelle réalité n’apparait qu’assignée), de cette passation rien ne parait ; il n’est, de l’extérieur, mais même pour le moi, aucun signe tel qu’il signifie la vérité ; c’est ce dont seul témoin en est celui qui s’y tient, semblable à l’événement de Badiou, la fidélité ; or cependant ça n’est pas même assignable à un événement (qui, aussi indescriptible soit-il, vient néanmoins de ce qu’il peut constituer et continuer la mémoire, l’enquête) ; c’est que le témoignage étant inassignable, ne sait pas lui-même si il demeure dans la continuité de cette trace dont il veut constituer son trajet ; et en cela il s’agit de l’exigence, l’exigence à l’état pur (dont Sartre imprime l’extrême dureté, la morale sartrienne, celle impossible, qu’il n’a pas écrit, parce qu’elle est l’éthique ontologique fondamentale ; l’éthique qui continue le réel, l’exister, en le décidant, en décidant du réel).
On ne repère que les signes, mais c’est la surface-autre du corps qui se rapporte ; en ceci cependant que la dite surface du corps est créée par le retour de l’arc surgi de la cervelle, lancé vers le réel et qui revient chargé. Surface du corps qui gère, si l’on veut, outre les informations, les positions de conscience ; et psychanalytiquement le point de vue énonciateur qui m’a « dit », exprimé, montré, supposé, dénommé, qui, bref, a fixé ce qui autrement partait en tous sens incontrôlables mais aussi inconsistants ; l’inconsistance étant que le « se positionner soi-même » est invalide, ineffectif, et que le drame vient d’une effectivité suffisamment lourde que l’on ne peut pas la localiser sur un corps souple, le cuir durci, se tourmente et se sèche, et la tragédie lorsque l’on n’a même pas accès à la surface du corps, le corps s’étendant au monde, et l’on est fou ; puisque l’extension du corps équivaut à la disparition du corps ; que l’on n’ait plus de corps, plus de surface-autre du corps, est la torture abjecte ; pareillement que l’on soit en difficulté de désir ou de regard ou de correspondance est, en une moindre mesure, un tourment insaisissable.
C’est que pour obtenir un repère, un repérage minimal il faut mentir ou plutôt se jouer de soi ; soit donc subir que la vérité soit une réalité. On pourrait dire que le passage de la réalité (que l’on croit être) à la vérité (dont on reconnait qu’elle n’est qu’un énoncé), est la réelle structure que l’on doit obtenir, libéré par le flash de n’y être pas (puisque l’on existe et que l’être est un quelconque dépôt et que l’exister cela est impossible, mais réel et même le seul réel). Mais ceci c’est la formulation philosophique ; qu’est-ce que cela implique dans un moi ?
Et c’est bien ce qui est difficile à préciser ; lors même que l’on guérisse au terme d’une analyse, ça ne sera pas « dit » ; et la guérison est juste un glissement … on admet quelque manque ou erreur ou mensonge ou illusion, et on ne les remplace par rien. Ce qui est très gênant quand même. Qu’il faille un temps se déprendre et que cet abandon soit suffisamment marquant pour qu’il fasse signe, mais dans l’incapacité de penser ce décalage.
Il est tout à fait confondant que le passage de la réalité à la vérité soit à ce point indistinct psychologiquement d’une part et que d’autre part cette passation ne puisse être énoncée que philosophiquement… parce que si le moi est effet d’un sujet (impossible), c’est en toute rigueur logique et pensable ; bien qu’alors pour réellement penser, jusqu’au bout, cette passation, cette transposition de la réalité en vérité, il faille dérouler une telle ontologie et admettre une telle construction (ontologique) qu’il y a de quoi exténuer tout le réel. Puisque c’est de cela qu’il s’agit.
Cad que l’on ne parvient pas au bout de ligne, puisqu’elle est le Bord. Et qu’il n’est aucune totalité de la réalité ; il n’existe que la forme du réel, le présent, l’exister, ayant propulsé les réalités.
Passer de la réalité (que l’on croit être en vérité) à la vérité seule est une aberration pour le moi. Parce qu’il ne connait pas la philosophie. De l’extérieur on pourrait croire que la philosophie tient mordicus à la Vérité ; comment les philosophes, qui s’usent la cervelle à penser de tas de systèmes, ne seraient-ils pas au courant que la vérité est formelle et qu’elle engendre toutes les distinctions (que l’on prend extérieurement pour des contradictions) ; c’est la philosophie qui a créé, de ce que « Créé » signifie, la contradiction au sein même de la vérité et qui produisit ainsi la vérité formelle (comme fut créé la forme du sujet et la forme de l’altérité) ; de là qu’elle ait rendu possible les vérités, la profusion. La ruse susdite de Descartes (via dieu, l’infini, cad l’arc de conscience indéfiniment existant) n’est pas autre chose que cette conscience et précision aigües du réel, de la vérité, suspendue (Lacan a tout à fait saisi cette altérité radicale, même si il continue de croire ou fait semblant que la « philosophie », exception faite de Descartes (ou Hegel ou Heidegger ou Platon ou les stoïciens, enfin bref … tous en définitive), serait obnubilée et assujettie à l’une quelconque Vérité figée).
Philosophiquement il faut percevoir non telle ou telle pensée ou système (comme le moi qui choisirait dans le rayonnage selon son goût du moment) mais l’ensemble de l’articulation, parce que d’arc de conscience il n’en existe qu’une seule sorte. Non pas une seule sorte « universelle »mai une seule sorte à chaque fois individuée. Et cela doit nous mettre la puce à l’oreille ; qu’est-ce que c’est que cet univers qui crée des arcs, un par un, et par lesquels uns seule s’acquiert la véridicité ? Quelle est cette logique de l’exister pur et brut ?