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instants philosophie

Raison de la tradition

2 Juillet 2022, 09:11am

Publié par pascal doyelle

Le monde humain, humanisé, réaliste et naturaliste, pour qui le donné seul explique le donné et l’humain se représente par le « désir » (de quoi que ce soit), qui s’est imposé, a prétendu renié l’ensemble de toute la tradition de pensée. Il a cru découvrir à neuf le monde, inventer un projet reposant sur ses propres pieds ; l’origine, la source historique de ce changement, de cette répudiation, est celle cartésienne. Mais il s’agit seulement du sujet cartésien totalement vidé et rendu inerte, sorte de regard transparent qui observerait, analyserait, mathématiserait l’étendue, le monde, la vie, le corps mais ne se situerait lui-même jamais en aucun plan, aucun champ, aucune interrogation, sinon à se réduire à une telle sorte d’objet, d’objectivité, objectivités diverses et variées, sans unité (sinon déterminée, ce qui veut dire fausse et mensongère).

Or évidemment ça n’égalait pas l’ampleur du projet cartésien.

Au sujet évidé, rendu abstrait, qui ne valorisait finalement que l’objet, les objets, l’objectivisation de tout ce qui est, le sujet cartésien oppose le tout petit point qui contient tout, en tant que possibles, le petit point, le clou planté dans l’étendue de tout ce qui est, tandis que lui, le point, existe.

Et qui dans les faits demeurait raisonnable, et particulièrement lucide, ne s’emballant pas outre mesure, très rigoureusement descriptif (ne supposant pas « l’absolu en mouvement » des allemands idéalistes qui suivront par ex, dans cet absolu le sujet perd son unité formelle). Mais constatant bien clairement ; le sujet existe, il est le centre de l’énonciation, et plus tard de toute intentionnalisation (qui crée autant de champs dans tous les domaines, par lesquelles les choses et les êtres, autrui et soi existent à notre regard et sans lesquels champs nous ne serions pas séparés de tout ce qui est, et donc qui n’existeraient pas pour nous).

Mais pour saisir cette ambition il fallait admettre l’ampleur du sujet, et non pas se cantonner au sujet abstrait, évidé, inerte, déconcentré, inattentif. Dans le « sujet », le réel sujet, venaient fusionner dieu, la vérité universelle et la liberté, et en toute fin le corps, le corps christique mais inversé, en tant qu’il est le mien, ce qui est très étrange, que la troisième substance, ni corps, ni esprit, soit Une.

Ce que représentait ou supposait le christique ; étant entendu qu’il s’agira, parait-il, de la résurrection des « corps ». Le christique bien éloigné de tout dualisme, puisque c’est de la re-Création (qui est-bonne, comme on sait) dont il s’agit. D’un amour du monde (aucun gnosticisme, ou autre universalité abstraite, qui opposerait le bien et le mal ; le christique se situe bien au-delà d’une telle simple division ; c’est une unité bien plus conséquente et à vrai dire inimaginable et impensable (en termes universels) à la recherche de laquelle nous sommes engagés depuis le dieu un unique tout-autre ; qui manifeste le rapport intentionnel absolu, soit donc le pur rapport sans rien, la structure même du rapport.

La liberté, du sujet, étant acquise (elle est exclusivement individuelle et intentionnelle), la révolution a imposé l’égalité (comme idéal à tout le moins) ; de même que dieu, l’intention pure, et le christique, l’égalité par et pour le christique (le un-tout-seul, crucifié mais conservant évidemment son Intention absolue, puisque le rapport est sa nature divine elle-même) le un-tout-seul créant l’ensemble de tous les regards, dit autrement représentant, se déléguant dans et par toutes les intentions, qui, elles, doivent recevoir leur caractère formel, par plus grand, par un plus grand rapport, sinon le nôtre s’identifierait à tel ceci ou cela et se perdrait).

Et pour saisir le rayon de propagation du sujet nous ne sommes pas au bout de nos peines. Puisque structurellement, enfin, après l’abstraction du dieu unique (unique puisque manifestant l’unique Rapport, onto-logiquement un, puisqu’incomparable et incomposable), et l’arrivée puis le départ de l’intention christique, à la fois absent et présent, qui libère le champ du possible (transformant la Loi en Intention, le jugement en pardon, et donc rendant toujours possible le renouvellement, la renaissance, le recommencement ; l’intention, d’exister, s’impose comme inépuisablement réelle, ou donc toujours est instancié le plus assuré rapport, à soi, aux autres, au monde donné, au réel même ; le christique étant venu imposer la certitude de l’intention, qui, effectivement, ne peut pas être détruite par le monde, sauf à se renier ou croire se renier elle-même).

Du sujet

Rappelons ; Descartes n’invente pas le « sujet », il constate son existence et tente de commencer d’en tirer les conséquences, effets, les présupposés et les antécédences ; ce « sujet » n’est pas un être mais un exister ; il échappe à la formulation par la pensée puisque la celle-ci est évanescente, et que précisément il recherche un ancrage qui serait d’une autre nature (il le dit explicitement, c’est tout le début de son projet, ou si l’on veut de sa vision ; il Voit que le sujet est hors champ et qu’il crée ses possibilités qui excèdent l’énonciation. Ayant en vue la troisième substance, seule réelle, qui n’est ni esprit ni corps et qui instruit le réel du dit sujet.

En cette réunion nous nous sommes tous cassés les dents, sauf à justement concevoir ce en quoi et sur quoi, par quoi et pour quoi existe un tel être, qui n’est pas un être, un tel « sujet ».

Kant, Hegel, Husserl, Sartre, Lacan suivent les traces de cette structure sujet, mais empruntent aux réalités que le sujet tient de ceci ou de cela, qui serait du monde, alors même que ce à quoi ils s’affrontent ça n’est pas une idée, une pensée, mais une structure ; le sujet transcendantal, la négativité, l’intentionnalité idéelle de Husserl, la conscience impersonnelle de Sartre, le signifiant de Lacan ; on n’évoque pas ceux qui cherchent une densité, une détermination du monde pour ‘expliquer’ l’inexplicable (à savoir que nous ne sommes pas du monde).

Le problème étant qu’il est impératif de construire une explication qui se tienne au même niveau invraisemblable de notre être ; de là qu’il fallut depuis le début composer une dimension métaphysique, depuis les grecs jusque Descartes (moyennant un aménagement pour une version théologique de dieu, qui ne correspondait pas trop d’avec les évangiles et le christique à vrai dire, puisque dieu qui a créé le monde, demande à l’être humain de continuer cette création), et ensuite ontologique depuis Descartes, jusque Lacan.

Ontologique parce que, c’est la leçon de Descartes, si le sujet existe ici, ici même, ici et maintenant, alors le réel donné « là » est animé de et par et dans une transcendance actuellement présente. De là que les idéalistes allemands, Malebranche ou Spinoza ou Leibniz n’aient eu de cesse de comprendre comment la transcendance pouvait si étrangement exister ici mème tout en gardant sa dimension (que pas un ne songe à nier).

Même Lacan et plus surprenant Sartre se perçoivent du point d’une altérité sans égale ; le pour-soi/en-soi de la fin de l’être et le néant, le réel de Lacan (qui n’en manquait pas de transcendance, par ailleurs).

Et c’est marqué au plus près par Kant qui s’use à délimiter les bords de la réalité (phénoménale) par les structures du transcendantal. Ou par Hegel qui suit la piste de l’activité de conscience qui crée dialectiquement toutes les pensées (autant dire que la négativité, dans le système hégélien, on ignore ce que c’est).

Sartre impose ceci ; que l’activité de conscience n’est pas attachée à la seule pensée, ni à l’universel ; elle existe au plus près du corps, et même dans le regard mais dans l’impossibilité de s’y identifier ; il y a une séparation totale, tout l’en-soi d’un côté, l’activité intentionnelle de l’autre.

Or évidemment c’est par là que ça pèche. L’en-soi n’est pas en-soi, ou si l’on préfère le monde, le donné, la matérialité, phénoménalité, et autres, ne sont pas consistants. Et en vérité qui l’ignore ? Croit-on vraiment que les choses et les réalités ne sont pas destinées à l’évaporation, la disparition continuelle ? On a vu que cette hypothèse n’est pas trop tenable ; mais l’originalité du réel c’est que sa consistance propre se situe dans le mouvement lui-même. Pareillement tous les contenus de conscience passent, mais la conscience ne s’efface pas ; quelle curiosité que cet être qui outrepasse son identité et reste semblable à lui-même.

On a vu également que le « secret » de cette performance corroborait l’articulation du signifiant ; si cet « être » se maintient comme mouvement (et que donc le mouvement est la consistance même, cad aussi l’infini) c’est que la réalité, déterminée, est parvenue à découvrir, inventer un moyen pour que le déterminé se dépasse lui-même ; le signe, le signifiant est une détermination qui transcende son caractère de détermination ; et donc l’indétermination traverse la détermination, le réel traverse la réalité ; il y a une redondance qui déploie tout à fait autre chose autrement. Et on a pu qualifier cette performance comme rapport ; en quoi le rapport est la substance et la logique du réel, qui s’identifie au Possible même.

Ce qui ne veut pas dire que le signifiant crée la conscience, mais l’inverse. Il y a signifiant parce que conscience, laquelle est un mystère absolu ; que l’on ne peut pas dériver d’un horizon (qui la contiendrait) ; on peut la comprendre, relativement et pour le moment, dans et par l’idée-principe de « rapport » ; à savoir une conscience est un rapport qui a conscience de lui-même comme rapport (et cette conscience du rapport est singulière, et non pas universelle seulement ; il y a rapport, universel, parce que rapport singulier avec-lui-même) ; dont on a dit que ledit rapport est l’image, la ressemblance de la « structure-sujet » ; laquelle structure-sujet réalise, seule, que le Possible soit le principe du réel, ou « qu’il y ait un réel ».

Puisque seul le sujet n’est pas astreint, contraint totalement par ses contenus, étant non ces contenus mais le rapport, sans lequel soit dit en passant il n’est pas de contenus, ou plus exactement bien que contraint cette contrainte est modifiable, modelable, réorientable. Il transforme les réalités en signes afin d’être en mesure de les déplacer, sans mouvoir les choses réelles, et puis s’apercevant de ses capacités, il pourra les démonter pièce à pièce. Puisque la liberté n’est pas de faire tout ce que l’on veut ou désire, mais de faire. Et on ne fait que dans et par la détermination ; de sorte que l’on voit bien que la détermination n’est pas en soi nécessité(s) mais perception, représentation et expression et réorientation. Et que la liberté consiste à intégrer de nouveaux rapports dans les choses ou selon les êtres ou en soi-même. Aussi est-ce la détermination même qui est modifiée, modifiable sur le sol réel de l’apparaître ; par quoi l’apparaître est plus grand que les réalités ; le champ de perception est paradoxalement plus réel que les réalités, on y reviendra.

Ce qui veut dire que le corps (ou la vie vécue) ne sont pas des contraintes exclusivement, mais c’est ce que l’on y ajoutera qui compte. En quoi il s’agit de se confier à la tradition. Puisque notre tradition est précisément celle de la création. Il est bien visible que l’on n’a pas cessé d’inventer de la nouveauté. De continuer la Création, celle inachevée et confiée à notre attention.

Cette ligne de force est tirée du début à ce moment-ci, et peut-être plus loin encore, si nous survivons (ce qui est douteux, peut-être sommes-nous parvenus à la pointe extrême de l’historicité ou du temps).

Il est clair que le traditionnel est justement ce qui se dresse par-dessus le temps.dieu, Platon, Descartes ou Lacan existent hors de la temporalité ; dans tous les cas il s’agit de la même structure intentionnelle, et du même monde donné ‘là’ et encore plus du même Exister.

La temporalité est ainsi ce qui sera dépassé, constamment, selon le même mouvement antérieur au temps : l’exister, la présence du présent, son activité. Ce qui passe au travers de la temporalité, du temps, de l’historicité n’est pas atteint par le temps, aussi quantité de formulations pourront paraître usées, mais non pas la structure qui utilise ces formulations ; Platon a bien raison d’avancer que seules les idées montrent le monde (on a juste oublié, ayant intégré sa leçon, qu’auparavant, avant Platon, est perçu ce que le groupe voit, et on sait depuis Platon que l’on produira des découpages idéels, cad intentionnels, qui nous permettront de voir par-dessus telle ou telle communauté ; et ça n’a plus cessé).

Et de plus belle lorsque le sujet apparaît sur la scène et se nomme (forcément) lui-même ; on a vu que la structure ontologique du réel bascule ; ça n’est pas que le monde ou le donné adsorbent le sujet (comme on le croira prolixement au 19éme et 20éme, ne comprenant même plus que le « sujet » soit d’une autre nature que la nature), mais que l’infini prouve sa présence ici même et maintenant. Kant ne s’y trompera pas ; le phénoménal certes, mais le nouménal absolument. Ce qui revient à dire ceci ; on Voit parce que l’on se tient dans le transcendant ou l’infini ou l’intentionnel ou le structurel. Dans le mouvement.

Rappelons.

La philosophie n’est pas la philosophie ; elle ne se fonde pas sur la connaissance, elle a porté (et infiniment) la connaissance, entre autres ; entre autres capacités.

Puisque d’abord elle est réflexion sur la réalité, présocratiques, qui tentent de découvrir une réalité qui expliquerait toutes les autres (l’eau, le feu, etc). S’apercevant que ça n’est guère concluant, elle réfléchit (encore) sur sa procédure ; elle trouve que la pensée, pour être vraiment explicite, doit s’attacher à la pensée ; ou donc que l’on ne comprend que ce que l’on comprend et que la réalité doit se prêter comme Idée pour que … d’autres idées puissent expliciter cette Idée ; on ne peut pas mélanger des réalités ou des perceptions ou des mots non explicites à la transparence exigée ; soit donc on ne peut pas continuer de tisser (des rapports idéels) si on mêle des datas, des données que l’on ne peut pas, plus exposer comme rapports, sinon en les désignant du doigt ou en admettant leur caractère phénoménal ou encore leur caractère éthéré, puisque le vague et l’indistinct n’entrent pas en rapports.

La réduction intégrale aux rapports (intentionnels que la philosophie invente et qu’elle nomme idées) est impossible, mais il est au moins un être qui nous est accessible sans qu’il soit un système et cet être c’est le sujet que l’on est. Par lequel sujet se révèle ce qui est vraiment en jeu ;

La pensée prend nécessairement la forme d’un système, puisque les rapports doivent continuer de se suivre, poursuivre les uns les autres ; qu’un rapport manque et une incertitude s’impose. L’intégralité de la pensée ne se tient que d’un sujet, lequel produit de l’universalité en veux-tu en voilà, puisque le moindre signe est déjà une telle universalisation (bleu désigne tous les bleus, tous les objets bleus, etc).

Et ainsi elle se définit non par la pensée seulement mais par la réflexivité ; le retour sur. Et comme dit au début ; depuis l’Être de Parménide jusqu’au réel de Lacan. Et ce prenant en compte tout ce qui est. Parce que de Rapport il n’en existe qu’un (étant formel il ne peut pas être composé et donc existe une fois et rien qu’une fois).

Sauf que… chaque conscience est à elle-même son rapport, comme si à « tout ce qui est » manquait précisément une démultiplication de rapports autonomes ; comme si dieu manquait justement, outre la Création, de cette réduplication de possibilités que sont les arcs de conscience en tant que, chacun, chaque un, rapport libres (cela revient à ceci ; qu’ils soient libres et qu’ils continuent cette liberté, qui n’est pas du tout lettre morte mais vie, ce que l’on a toujours nommé « vie », et que nous nommons « existence », puisqu’il ne s’agit pas seulement de vie organique).

Ce qui change absolument ce que l’on peut entendre par l’être ; qu’il soit mouvement veut dire (outre qu’il est exister et existence) qu’il se creuse en dedans, en sa substance même qui est faite pour et par cela ; soit donc que la transcendance est infiniment (évidemment) active en tant que devenir.

Et donc l’historicité commence lorsque le présent (dieu, la pensée, le sujet et le réel) se creusent. Se creusent depuis que sous ces dénominations elle est entrée dans son propre champ et qu’à la faveur de cette représentation elle perfectionne son attention ; et ce jusqu’à cette extrémité qui nous concerne, que nous soyons un moi dans un corps.

Puisque c’est en et par ce moi que tout devait s’organiser. Que chaque moi parvienne jusqu’à son sujet, jusqu’à son je. Étant entendu que si l’on annule le moi, on redescend de complexité, et que si l’on veut devenir encore c’est en récupérant ce je, et donc son historicité, qui est hors-temporalité.

Ce que l’on nomme tradition est toujours une acquisition (dieu, pensée, sujet ou réel) et ainsi une actualité, ou une actualisation ; l’actualisation du non-temporel.

On comprend bien que l’important est de ne pas remplir le rapport, soit de ne pas faire fond sur le contenu de conscience ; Descartes ou Kant, Sartre ou Lacan, et tous les autres, travaillent beaucoup afin de ne pas casser leur pensée en imposant une détermination, afin de laisser libre et ouvert le rapport de fond de leur réflexion, puisqu’elle est réflexivité, retour sur un être qui n’est pas un être ; et que le déterminer abîme sa structure qui ne peut plus, alors, parler, signifier (elle s’enferme dans une détermination, ce qui peut être tout à fait efficace, par ex Marx et l’économie ou Freud et l’inconscient, prix payant d’une confusion ou d’une limitation).

Et donc s’étant acquis lui-même il s’empresse d’entrer dans la grande confusion, de confondre ce qu’il se représente, conçoit (selon les concepts mais délégués du sujet abstrait, inapparent, absenté), de confondre donc aussi ce qu’il imagine et désire d’une part et sa liberté d’autre part, puisque la liberté, qui est la fondation du réel en tant que rapport effectif et usant du possible brut, la liberté donc valide si aisément et si absolument n’importe quel contenu qu’alors le miroir se perd dans ses images ; ce qui est tragique ; et l’objectivité, les objectivités ne suffisent pas à couvrir tout le champ, à réguler toutes les imaginations, ni tous les champs intentionnels qu’elle promeut. Les objectivités sont prises dans le marasme du moi qui les théorise.

Mais si la liberté approuve spontanément ses désirs, quels qu’ils soient et aussi emplis de bassesse qu’il se peut (elle voudrait constamment prouver son caractère purement libre), la liberté admet et croit totalement ce qu’elle perçoit qui semble lui complaire, et ce monde et ces objets produits en quantité comme vérités et élevés au plus hautement désirable, dérisoirement.

Cette naïveté, cette candeur, cette facilité en fait causera sa perte, elle s’est déjà perdue.

Le sujet, absenté, traversé de partout de tous les objets, de toutes les objectivités (psychologiques ou pharmacologiques, mais aussi addictions), de toutes les images, qui le dispersent, ne se retrouve plus nulle part en tant qu’existant formel, tombant en déréliction et dépossession de lui-même, et à qui est assigné de force un moi, autant dire un bricolage, une synthèse hâtive, une unité factice, du vite-fait, au signifiant quelconque ; dont l’avenir, la non-temporalité, l’éternité, le hors temps sont annulés, niés, déniés, répudiés, sans plus aucune métaphysique ou ontologie possible ; un moi ne fait, au final, que décéder. Ce qui veut dire dont les plus grands rapports sont effacés, moqués, ridiculisés. On le prive de ce qu’on lui promettait, sous une formule avariée ; mais son désir, son rêve ont pu nourrir la machinerie la plus gigantesque qui fut jamais.

Cette partie du moi, son je, sans lequel un moi ne serait pas, ce je est absenté, faux sujet cartésien, sujet cartésien faussé, abstraction douloureuse, coupure qui ne sera pas cautérisée dans ce monde, dans cette vie (le moi s’imaginant par contrecoup satisfait, gorgé, empli, assouvi, on ne sait comment, sinon dans son fantasme, précisément) et qui requérait bien autre chose et bien autrement que le monde donné ou la vie vécue ; un arc étincelant du possible brut ; on ne lui permet pas de s’envisager comme séparation du signifiant, unité mais en tant que rapport, structure mais comme mouvement. C’est seulement, le moi, une chose morte, une chose de plus, une chose emplie de choses.

La vérité est qu’il y eut un monde humanisé, puis personnalisé (le moi constituant à la fois la réussite et le piège, que chacun soit sa propre vie est le piège et la réussite) qui a occupé la totalité du champ de vision, et de fait annulé l’historicité ; figé dans l’idée même de l’unique révolution, gelée et n’accrochant plus de réflexion ; alors même que précisément c’était, elle, la révolution (processus d’actualisation, ce qui veut dire d’acquisition, et qui n’existe pas sans cette auto-acquisition, puisqu’elle entend s’organiser, subjectivement et objectivement, individuellement et de façon coordonnée, la coordination comprenant la compréhension de soi et d’autrui et du tout des chaque uns), c’était elle, la révolution, qui absolument devait devenir. Aucun « progrès » sans l’effort de chacun envers lui-même et de chacun envers tous et de tous envers chacun. Chacun, à part, peut devenir, mais jusqu’à un certain niveau ; l’ensemble de tous les sujets est requis si l’on veut encore avancer, ce qui ne se peut sans élévation.

Or on ne perçoit pas la Possibilité sans illumination ou révélation (au choix) ; la structure de conscience frappe sans prévenir. Et c’est seulement ensuite que l’on commence de comprendre l’ampleur de l’interruption de la réalité du monde, ou la rupture interne à la vie vécue.

« élevez-vous les uns les autres, comme je vous ai élevés ».

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