L’extase amoureuse du moi, le nietzschéisme et l’expérience de soi, l’extase existentielle ontologique
Comme nous nous définissons en tant que Moi, qui est une acquisition récente et qui s’est démocratisé encore plus récemment (on peut considérer que les « mai 68 » divers et variés ressortissent de ce mouvement d’historicité fondamentale), en tant que tel il nous bouche la vue et nous empêche de nous saisir comme extases.
L’universel, dieu ou le sujet cartésien nous sont infiniment éloignés.
En réalité la plus grande extase du moi tient en l’extase amoureuse. Ce par quoi, enfin, le moi peut se déclore de son identité … pour creuser encore plus le sillon, la plupart du temps. L’autre extase consiste en la dépression ; soit donc comme cela dit, l’effondrement d’une construction. Ce qui est l’antithèse de la naturalité, de l’évidence annoncée d’être un moi, d’être un-tel ; si ce que je suis est une construction abstraite, la déroute est complète ; d’autant que cela n’est pas une pensée, extérieure, mais d’une aperception incontrôlable.
De même le moi peut difficilement accéder à une extase esthétique ; ainsi la musique doit lui battre immédiatement et non pas s’offrir comme une élaboration élevée et complexe (dont seulement l’élévation et la complexité permettent l’coute). De même le cinéma ; il est une immédiateté radicale de l’image, qui doit venir chercher la conscience et non pas la conscience qui aurait à s »armer, se composer, s’abstraire de soi, afin de parvenir à l’étendue et l’ampleur d’une construction esthétique.
Il est clair que cette immédiateté esthétique, tout comme l’extase amoureuse peuvent se révéler extraordinairement féconds. Mais il faut bien mesurer les différences entre la conscience d’un sujet et la conscience d’un moi ; qui se rencontrent par ailleurs dans la même personne, de fait.
Sujet classique, sujet moderne
Ceci amène à recalculer ce que sujet porte lorsqu’il est classique (un être abstrait, la face idéaliste du cartésianisme) et lorsqu’il est moderne ou contemporain ; il prend intégralement tout l’être et ne peut se définir que sur la base d’un moi. Autrement dit le moi est l’arbre qui (se) nous cache la foret (des possibilités extatiques), mais en même temps le moi est un acquis historique définitif et essentiel ; l’humanisation (universelle) se poursuit, se continue par et dans l’hypothèse du moi. Le sujet contemporain, moderne, est sur cette seule base l’engouement sidéral, exponentiel, dont le sujet classique n’était pas capable.
Mais cependant il n’empêche que le moi, dont la conscience est construite en référence à un corps-image, intentionnalise à courte portée. Il est même venu à bout des idéologies (qui tentaient structurellement de pousser à être une universalisation, ancienne manière au fond).
Le sujet -dans-un-moi n’est pas un corps-image, c’est le corps-même ; ce qui signifie, bien que l’on n’en voit pas le terme, qu’il est le corps percevant, la surface corps, celle qui éprouve et qui ressent, qui imagine et qui pense, qui construit et structure : le tout en une fois. Autant le corps du moi en comparaison est passif et reçoit son être, son essence, en une identité psychologique : synthèse passive du vécu particulier, même si cette passivité est d’une extrême vélocité et hyper activisme en son ordre ; elle est ontologiquement passive).
Le sujet en un moi, n’est pas non plus aussi restrictif que le sujet classique (idéaliste ou humaniste pour le 18éme). Le sujet prend tout l’être et ramasse le corps lui-même, les sentiments et les délires, les expériences autres (Artaud) et les esthétiques les plus épuisantes de richesse ; il est à la mesure de ce qui se passe réellement et non pas se limite à un vécu « là » du moi, mais il ne tend pas à l’universel de la pensée ou à l’universalisme humaniste, puisqu’il est fer de lance de l’individu-sujet (contre tout le reste !). Ce qui s’expérimente alors c’est l’extension considérable de ce qu’il faut bien nommer l’extase nietzschéenne créative et fondamentale ; puisque Nietzsche a poussé au plus loin la pensée de cette extrémité du sujet-pur et élevé (et alors qu’évidemment il y eut quantité d’expériences de soi, vécus et exprimées, qui avancèrent au-delà d’elles-mêmes).
On nommera donc extase nietzschéenne l’élévation et la profondeur des expériences de soi du sujet.
De même qu’il y eut, si clairement et manifestement, une extase ontologique pure et simple ; qui doit être admise comme extase fondamentale ; l’existentielle. Camus comprenait bien l’enjeu du nietzschéisme comme contrepoint à l’existentialisme. Tentant de dépasser l’opposition.
On voit bien par là que ces trois cas d’extase sont des dépassements ; ils sont intégralement réflexifs et conduisent hors d’eux-mêmes. Il est une dévoration pour, par, vers l’altérité