Mesure et démesure dans l’exister
Interruption de la réalité par le réel
Notre-être n’est pas le nôtre ; c’est un rapport instancié vers le réel, que ce rapport obtient par pur positionnement (le réel est figuré comme autre, comme radicalité, comme ayant en lui-même sa propre dynamique, laquelle nous est non connue et que l’on ne peut pas résoudre par une pensée, une idée, un système).
Ce rapport est dénommé « conscience » étant entendu que toute conscience est conscience-de, rapport au réel, et dans ce rapport au réel (qui est non nommable) rapport au donné là. Les grecs rendent possible que le monde soit cosmos, ou soit le monde unique universel, par le biais du réel posé, à savoir l’être. Le positionnement du réel, de l’être, crée en son mouvement le donné-là, le monde, le cosmos, par le "là" du donné. Étonnement.
Ce rapport vaut en et pour lui-même, mais d’une manière qui n’est pas celle habituellement apprise ; ce rapport est un pur et simple rapport ; il est un arc réflexe qui se crée dans la cervelle, vers le réel et donc arc réflexe arcbouté au réel. Il est ce pur mouvement et n’est rien de concret, de substantiel, cela va sans dire, mais n’est pas non plus la raison ou le conscient ou une figuration, ce rapport est tel que l’esprit et le moi, la personne en sont seulement effets.
Autrement dit la conscience-de en chacun est la conscience du réel.
Ceci définit chacun comme un simple point, posé sur le réel (posé puisqu’il en est distinct, en est le « regard », le regard n’est pas le regardé, il est structurellement une Distance entre la conscience-de que l’on a du réel et le réel lui-même, ce décalage est structurellement relatif à un être et non pas par exemple un effet de langage, le langage est afin de se rapporter au donné-là, et est pris lui-même dans le rapport intentionnalisateur vers la réalité, le donné-là et vers le réel, l’effectivement « là », le « là » du donné).
Il est hors de question d’écraser ces points de conscience par une seule loi, un seul universel ; ou donc l’universel est un moyen de chacun de ces points pour se soulever du sol ; la finalité n’est pas d’assujettir chaque point de conscience mais de rendre ces points un par un à eux-mêmes ; c’est en cela que civiliser et humaniser, mais plus encore personnaliser et rendre à lui-même chacun, est extrêmement couteux en énergies, en ressources, en techniques et technologies, y compris les technologies de conscience (que sont la pensée, le dieu/christ, le sujet, etc). Mais c'est en cela par ailleurs que l’acculturation de chaque point de conscience est tout autre chose que l’assujettissent à un universel (le communisme en fit les frais, qui n'admet qu'un homme générique, cad une vérité ; ça n'est pas une vérité que l'on a créé mais l’architecture formelle de toutes les conditions, de vérité, de liberté, de conscience-de, de moi, etc, ainsi le moi qui se miroite et se cherche au travers de toutes les mass-médiatisations, qui excède le simple universel, qui cherchent le corps du moi, le corps capable de supporter la structure de).
Posé sur le réel, sur l’être au sens où depuis Descartes l’être est la surface étendue là-devant, (pour nous l’univers ou les multi-univers si l’on préfère), ce point est articulé vers le « là » du donné (le réel, l’être) et le donné-là ; et ce via le corps.
Ça n’est pas le corps tel que donné, vécu, reçu, mais c’est la surface-corps en rapport à la surface là-au-devant du monde ; l’activité de conscience crée, dans l’actualité et le présent, l’instanciation, la position de son être et à chaque fois recommence de zéro et lance à nouveau les dès.
Ce qui va contre toute notre expérience et c’est pour cette raison que l’on renvoie habituellement la philosophie à son « abstraction » ; pour un moi n’existe que son vécu, son identité, son projet, son désir, ses objets, toutes choses connues et apprivoisées. Mais pour la conscience rien n’est jamais joué, tout se rejoue à chaque fois, parce que toute conscience-de est rupture incessante et interruption de la réalité, du monde, du donné là, par le « là » du donné, le réel et l’être.
C’est à la pensée de cette interruption que s’attache la philosophie ; tout système est l’interruption du donné là au nom du « là » du donné ; le « là » du donné est positionné par la seule conscience-de (puisque tout le reste consiste à rétribuer une partie du donné par une autre, le désir par son objet, la raison par son objectivité, le moi par son identité et son identité par son corps, etc).
La pensée, dieu ou le sujet formulent l’interruption de la réalité et sous la forme de la révolution du dedans mais révolution du dedans de cette dimension qui se dresse comme rupture de la réalité donnée là.
Donné-là et « là » du donné, un seul mouvement
La réalité donnée là n’apparait elle-même que par surajout du « là » du donné, du réel, de l’être ; c’est tout unanimement qu’il est (par les grecs) un donné là et un « là » du donné. De même qu’il y aura une vie avant et après la rupture du christ ; qui nous renvoie naissance et mort via l’au-delà (il doit présenter de fait un au-delà puisqu’il nous expulse du couple naissance-mort, du corps donné là, qu’il expose nu et crucifié, sans rien, support de notre regard ou vision). De même il est un avant et après Descartes (qu’on l’admette ou non, on en discute et on en part). Ou un avant et après la Révolution, la révolution unique qui n’en a pas fini avec nous.
Se dresse donc le mur de la dimension qui interrompt tout monde, qui renouvelle toute conscience en cessant de la planifier dans le monde, le donné, le vécu, le perçu, le corps (et tout le reste, langage, groupe, monde particulier, etc).
Cette interruption est aussi celle à partir de laquelle veulent reconvertir le regard les objectivismes et les objectalités (le plus grand objet du désir, celui amoureux, est censé renouvelé radicalement la vie du moi, le cherche dans son identité ; c’est cela qu’il en attend) mais pour renouveler le regard, il faut s’y prendre très en amont et les objectivismes et objectalités s’y prennent très en aval ; il faut remonter vers la source, la structure antérieure pour réapprendre l’articulation non visible de la conscience-de et du réel, de la pensée et de l’être, du corps donné et du corps renouvelé (christianisme et par ailleurs, cad autrement, monothéismes), le sujet qui regarde et le regardé, l’étendue (Descartes).
C’est la remontée vers la source de structure qui arrache Rimbaud au donné là de son vécu, et lui offre la possibilité d’un voyage en enfers (qui récapitule toute son humanisation et sa personnalisation) et d’une vision de tous les au-delà, en illuminations. C’est la remontée qui livre les existentiels au donné-là absurde et leur expose leur être nu et sans rien de pur regard vide d’un réel vide mais formellement lié à leur être propre. C’est la remontée qui permet au moi, à l’identité que l’on croit être, de se décomposer l’inconscient et de retracer les pistes de l’intériorité tout à fait corporelle et matérialiste et organiciste que fut sa surface du corps.
Ce que travaille la structure c’est non seulement le réel, le « là » du monde, l’être, mais c’est du même mouvement le monde, le corps, le vécu, l’objectivité, la perception, la sensation, l’expérimentation du donné-là ; parce que la structure de conscience-de est l’attachement à « ce qui se passe effectivement ».
Mais les critères de l’aval ne sont pas tout à fait les critères de l’amont. On ne parvient jamais à la source puisque celle-ci est formelle et que n’existe à proprement parler que la détermination. Mais comme vu on ne saisit la détermination que dans l’entrelacs de la structure, et c’est la structure qui en vient à se considérer et par force par la raison, le naturalisme, le moi, le donné expliquant le donné, tandis qu’antérieurement il y eut toutes les technologies structurelles de la pensé, de dieu et du christ, du sujet en lesquelles l’objectivisme vient absenter le sujet (n’existent que les objets pour une conscience devenue autre à elle-même, s’employant à non exister, à se transformer en regard abstrait sur le regardé ou comme "étant regardé", ce qui n’est pas sans rappeler les atermoiements du moi vis-à-vis de son objet de désirs), le moi va l’ignorer (il ne sait pas ou plus qu’il se tient d’un sujet, qui effectivement n’est pas, mais dont la structure est justement de « ne pas être » et c’est pour cela qu’il existe encore plus) et les théories (ontologies directes et philosophie à l’imitation de la science) vont nier le sujet.
Ce « ne pas être » qui condamne le sujet pour la raison, le naturalisme et le moi, montre bien de quoi il est question ; la pensée, grecque et chrétienne, le sujet, méta et grands sujets, tout ce dont le moi et l’humanisation en cours sont négateurs étaient non des illusions mais les structures agissantes qui permettaient de montrer, de tenter de passer le non visible dans le visible. La structure non visible est précisément celle qui voit ; le regard qui ne s’efface pas dans le regardé (parce que lorsque cela se réalise, que le regardé écrase le regard, toute conscience commence d’être théorisée ou étatisée par une autre conscience qui se cache, qui ne se dévoile pas, qui n’annonce pas qu’elle est un regard ; on impose aux consciences une connaissance proclamée identique au regardé lui-même, et elle-même « sans regard aucun », purement abstraite).
Pour toute conscience il est donc une historicité complète de recours, de médiations, de possibilités ; le recouvrement, l’étouffement de cette historicité, sa négligence, entraine l’effondrement de toute conscience dans le donné là qui, n’étant plus supporté par le « là » du donné, devient ipso facto le donné immédiat, la composition guettée par la décomposition, la dégradation s’amplifiant de ce que malgré tout le sujet s’y recherche et ayant perdu son repérage de structure envenime et accélère l’immédiatisation ; qui est littéralement ce qu’elle veut dire ; la non-médiatisation, le repli sur l’immédiat. Ce qui affecte dangereusement les mois.
Par contre il est clair que toutes les déconstructions que l’on voudra, les ontologies directes, de la multiplicité par ex, ou les philosophies qui se dérivent de la science, les maths par ex, sont passionnantes ; parce que même alors et aussi "antiphilosophiques" soient-elles, elles effectuent de toute manière la même forme… c’est la structure qui veut dépouiller, dénuder, découper, séparer tout ce qu’elle rencontre sur sa trajectoire ; la structure est le Un agissant, « celui qui découpe » puisqu’en tant que Un, il est assuré de soi (il n’a aucunement besoin d’être le tout, il totalise constamment des mondes, des systèmes, des théories, des objectivismes et des mois en quantité).
Ou donc, Platon ou Descartes ou Hegel ne sont critiquables que de l’extérieur naturaliste. Du dedans ils usent du Un afin de produire des découpes, des découpes intentionnalisatrices d’autant plus performantes qu’elles se tirent du Un, de l’Idée, de l’esprit ou du sujet. Plus on pousse à l’extrême le Un (et il ne faut pas craindre parce que le Un est non épuisable), plus on engendre. Les grandes articulations sont infiniment ou indéfiniment engendrées.
La vérité sur le moi, la raison ou les théories (celles qui se veulent antiphilosophiques et nient) ce n’est pas qu’elles révolutionnent … elles poursuivent au contraire selon la même structure (il n’y en a qu’une de toute manière, de même qu’il n’est qu’une seule sorte d’être de l’humain, qui ne nie en aucune manière la diversité des groupes, langages et mondes particuliers, une structure qui existe par-dessous ces différences, et même par-dessous les corps et les vécus de tous ces mois divers et vairés, qui fonde et non pas nie la diversité ; ce qui serait absurde ; le un engendre, sauf si il est non-dit et pris-dans le regard non annoncé d’une conscience-autre qui ne se dit pas telle …), la vérité sur tout cela n’est pas sans ambigüité ; sans doute aucune la raison, le naturalisme et le moi veulent plus de précisons et plus de matérialisations, de réalisations, de réal-isations, mais en même temps c’est une soif sans mesure, non qu’il ne soit pas permis d’être démesurément, mais il est fou, délirant de ne pas être sa propre mesure.
Ça n’est pas de vouloir absolument qui est annihilateur, c’est que ce vouloir se perde lui-même de vue. La différence est que l’auto mesure du vouloir (ou pour nous de l’intentionnalisation) crée, produit, invente et garde son ampleur, tandis que la démesure de soiffards se perd dans l’inanité (pour nous dans l’immédiateté, elle n’est plus à elle-même la possibilité de sa propre médiation).
L’absence de médiation vient de ceci ; qu’elle se fonde sur le saisir, tandis que la mesure interne à la démesure réelle sait qu’elle est, passivement, saisie par de plus grandes articulations. Que donc notre être n’est pas le nôtre. Il est cet-être qui nous traverse, le Un qui découpe certes, mais qui est le Un, ce qui veut dire assuré bien au-delà de notre atteinte.