L’historicité et la France
Et l’ontologie du devenir (et accessoirement de Zemmour).
Il faut considérer que la réalité immanente et générale du monde c’est la difficulté et la survie, et ensuite que l’histoire, c’est la violence et l’exploitation.
Mais il intervient parfois, ici et là, des éclaircies, des éclaircies ontologiques, des illuminations qui outrepassent tout ce qui est. Tout ce qui est : ce qui veut dire que les illuminations (ou individuellement les extases) sont en plus, en plus du monde et de l’histoire (et les extases en plus de votre vie, et qui bouleverseront votre existence, si vous avez du bol).
Dieu et les juifs, la première nation : qu’ils aient à se décider pour faire nation et se transporter au-delà du désert, et que le « peuple » soit astreint mais déduit à partir d’une alliance et non pas qu’il soit surnaturellement dans tel monde donné et donc très logiquement que le dieu unique soit celui qui crée, de l’extérieur, un monde unique et donc que ce dieu et que ce monde soient universels (il n’y en a pas d’autre).
Les grecs et l’universel qui énoncent que l’être il y a (si il y a l’être, il est idée et il est un ; universellement pensable, par chacun qui se convertit à la pensée de la pensée).
Le christique et le corps qui chacun tel que dé-placé dans le regard de l’autre-tout-seul (celui qui meurt-tout-seul mais aussi celui qui est-en-plus de dieu, qui est le premier surdivin, qui vient-en-plus du dieu unique).
Enfin des tas d’autres réalisations mais fondamentalement la révolution ; soit d’abord celles de la liberté (anglo-saxonne) et ensuite celle de la liberté-égalité, française.
On va résumer (un peu et tout généralement) l’interprétation de Zemmour à propos de l’historicité de la France et mêler ces positions avec plus ou moins la galaxie interprétative qui eut effectivement lieu ou encore l’interprétation générale potentielle hypothétique ici même.
La France est une construction ; inutile de taxer le Z de raciste ou xénophobe, ou pratiquant l’idée éternelle de la « France », il tente d’en décrire le devenir au contraire, et qui dit construction annule de fait qu’il y ait une identité-ethnie qui serait française ; il y a une identité mais elle est structurelle ; n’importe qui peut devenir français (et de toute manière toute le monde est déjà qu’il le veuille ou non, français, parce qu’individuel d’une part et organisé, peu ou prou, d’autre part, organisé veut dire « qui a conscience de l’autre » comme autre liberté). Une construction très spéciale ; elle a créé l’idée de nation, de nation non pas comme hallucination patriotique ou comme une extension naturaliste (et raciste) mais en tant que construction politique ; elle, la France, tire ce principe à la fois des romains et du christianisme ; le pape et le roi, c’est une liaison sur-historique et française (les allemands et les anglais se rendent indépendants, et un temps l’Espagne a voulu reprendre la logique en se voulant très chrétienne).
Ici il faut bien comprendre le « truc », l’astuce historique, proprement insensée, au point que ceux-là même qui l’ont inventée, dans l’historicité, furent dépassés par l’inspiration (de là que ça venait de dieu, du christ, de l’esprit hégélien, de tout ce que l’on voudra de « magique » et que cela a du s’inscrire dans les esthétiques, les récits, les poésies, les imaginaires, les inspirations supra historiques, comme de présenter la France comme l’Israël, le peuple élu, etc) ;
le mélange, inventé, créé, à partir des romains et du christianisme ; rappelons qu’il ne s’agit pas d’ethnie, de race, de couleur de la peau, mais d’une création et volonté politique (du statut du « citoyen » à l’organisation de l’Etat et du cœur individuel que crée le christique, en et par chacun, chaqu’un, qu’il soit homme, femme, riche, pauvre, esclave, homme libre, tous un en christ – Saint Paul ; on voit bien que si l’on retire toute qualification il ne reste que le sujet, le sujet formel). Ou encore : si Rome a pu régner sur la méditerranée, c’est parce que Rome a créé une formulation de la réalité humaine suffisamment universelle et donc applicable (et compréhensible). Par formulation c’est non seulement « ce qui fut formulé, exprimé », mais cela qui fut formulé dans une nouvelle manière de signes, de significations, de lois et de corps tout à fait originaux ; il est supposé en somme que la logique de réalisation a pu s’incarner, se manifester en corroborant à la fois la liberté de chacun et l’universalité de chacun (sans que, en France, l’une des parties prenne le pas sur l’autre et l’une et l’autre recherchant constamment un équilibre, sans que véritablement on veuille supprimer l’un ou l’autre, sauf les traitres à eux-mêmes).
C’est bien pour cela, entre autre, que Zemmour est hégélien ; il croit en l’esprit, une sorte d’esprit qui conduit l’histoire et il trouve que la France est justement cette société humaine qui s’est, volontairement et en conscience (bien que dépassée par sa propre intuition), s’est organisée politiquement et de ce fait fut à l’origine de toutes les formes étatiques organisées en nation (de volontés accordés les unes par les autres, le patriotisme est l’assemblée des volontés, égales, toutes et une par une, qui va-t-en-guerre parce que toute l’Europe des royautés se coalise contre sa révolution ; tandis que la révolution anglaise tout le monde s’en fout, elle fut en partie décidée par les féodaux, les français bien trop brouillons pour se coaliser) et que donc la France s’est organisée politiquement (aussi existe-t-il un lien entre le roi et le peuple, qui se méfie quand même des élites françaises ayant une fâcheuse tendance à trahir, par intérêt et donc par imbécilité) ; « politiquement » pour un français, après la révolution, cela veut dire tout, absolument tout ; c’est pour cela que « français » ça n’est pas une ethnie mais une volonté individuelle et commune d’adhérer à un projet global de mise en forme du monde, des corps, individualisés, ce qui est le politique lui-même, son essence au sens de sa structure, c'est cela même qu'est devenu le politique en tant qu'il fait naitre humanisation elle-même.
En gros cela veut dire ceci ; pour un français tout le monde est ou doit être français ; puisque c’est la mise en forme individuelle qui, tout en tenant sa liberté pour la structure même, sait aussi que chacun est égal à tout autre (ce qui est proprement christique et ce d’autant plus qu’on trouve d’un côté les francs, qui veut dire libres, et de l’autre Rome qui implique l’Etat et le droit, les citoyens). On notera son idée centrale ; que si la France penche vers le christique elle se dissout dans l’affect, et l’affect est l‘individualité, le corps, le compassionnel et si elle penche de l’autre côté elle est saisie de puissance non pas particulière mais universelle d’un Etat et d’une nation ; si on affirme exclusivement les droits de l’homme, individuels, on perd l’étendue mentale que l’idée « France » présuppose ; et qu’il s’agit d’un Etat-nation, d’un peuple voulu et décidé et ayant forme universelle (qui a créé littérature et esthétiques, bref toute une civilisation en propre, une construction étendue et extensible).
Mais pour ce qui est de l’inscription d’un corps qui soit individuel et libre, ça ne s’instancie pas si aisément que l’imagine (l’imagine et non pas le pense) le libéralisme et requiert précisément une civilisation. Et une civilisation qui requiert non pas seulement un Etat et soutenu, mais un corps, et individuel, mais également et plus encore un relationnel des volontés, des intentions, des intentionnalités ; c’est simple (si l'on peut dire) cela requiert une littérature, un imaginaire, un récit, quantités d’esthétiques, quantités de sujets ayant dominé l’universalisation et instancié cette universalisation dans des œuvres ayant formes individuelles et libres et ouvertes sur les réalités et sur le réel du monde donné et de l'humain (puisque c'est sa finalité), ou tout autant qui se sait se déplacer dans l’histoire elle-même ; qui réclame donc ce qui se nomme, de fait, une civilisation (et là Zemmour marque incontestablement un point).
Ce que ne comprend plus du tout le libéralisme des droits abstraits de l’individu, qui pense appliquer extérieurement le droit, et n’est alors que violence du monde et non plus construction de l’histoire. Du temps.
En somme la « France » c’est le pays étrange qui a détenu, souvent malgré lui, une formule, mystérieuse, une formule qui s’est déployée sur le monde (de même qu’Israël ou que la Grèce). Bien sûr d’aucuns diront que c’est regarder le monde du seuil de sa porte, sauf que c’est une mise en œuvre qui s’est répercutée partout sur la planète ; la forme Etat et constitution et droits de l’homme est universelle, de part la liberté mais également selon l’égalité (qui implique une redistribution organisée, et pas seulement la charité et la bonne volonté). Et on dira également que la liberté est anglo-saxonne, mais de même l’Etat est romain et le christ est chrétien, c’est ce que l’on en a fait qui change, et suffisamment pour que l’on puisse dire que ce que l’on en a fait modifie la donne (étant entendu que c’est « cela » qui c’est propagé comme liberté-égalité, et cette vérité qui s’est partagée).
Ne pas chercher à comprendre cette historicité c’est se couper les jambes, originellement et ontologiquement. Il suffit par exemple de se rendre compte comme Kant guettait les nouvelles de la révolution et comme Hegel prenait Napoléon pour son alter-ego (à lui l’action, pour Hegel la pensée de cette action). Ou encore il faut détester Descartes et l’anéantir pour penser comme Heidegger que le peuple est une entité qui se tient du langage et non de sujets, ce qui veut dire d’une langue spécifique et que hors de cette ethnie (voire race), il n’y a point de salut (dont on ne sait pas du tout ce qu’il signifie en ce cas, H s’est complètement arraché les ailes, il ne va nulle part). Ici il ne s’agit pas d’une essence mystérieuse mais d’une structure acquise (et pouvant être acquise par quiconque et ne tenant pas d’une ethnie).
Le défaut de Zemmour est qu’il veut échapper à la logique … Il ne croit pas que liberté et égalité soient l’aboutissement de ce qu’antérieurement il comprend, très justement, comme le mélange du christique (individuel) et de Rome (l’Etat universel). Il veut se référer à une identité historique de la France mais celle-ci est supposée en substitution ; autrement dit pour lui l’Etat, la nation, le peuple ne parviennent pas à se retrouver dans l’égalité, l’universalité réalisée, mais dans la nation, la civilisation exclusivement dite française (ce qui n’est pas faux mais insuffisant) ; donc il n’est pas jusqu’au bout hégélien ; pour lui Napoléon est évidemment le grand homme, mais pour Hegel Napoléon est pris dans un horizon (qui pour Hegel est Hegel lui-même ... ou donc « la pensée elle-même sujet », non pas une subjectivité « Hegel » mais une hyper objectivité qui inclut toutes les autres et toutes les subjectivités).
Il estime donc que la liberté s’inscrit dans une identité, ce qui est contradictoire(même si effectivement une civilisation est nécessaire pour rendre possible les libertés et l'égalité, on n'impose pas la démocratie d'en haut, et c'est bien en ceci que réellement il est une énigme et une civilisation dont le secret demeure caché) mais en même temps il sent bien que liberté-égalité ne se rendent pas réels abstraitement … c’est ce que l’on pourrait appeler une civilisation, française, ou, si l’on a l’esprit large, européenne (ce que l’on a nommé l’acculturation généralisée qui se découvre et s’invente autour de la méditerranée, via le monde universel grec et via le monothéisme et le christique selon le corps individué) ; que l’on se veuille plus zemmourien que Zemmour (accordons lui) ou musulman ou juif ou communiste ou financier et président, ou oligarque et président, quelque division qui se prétendrait plus essentielle que la forme structurelle, qui se prétendrait plus réel que l’équation liberté-égalité est absurde et même si jadis il fallait lutter pour imposer la France (par la royauté ou la nation révolutionnaire), l’histoire ne s’y trompe pas … ce qu’elle a réalisé autant que possible c’est cette équation liberté-égalité … malgré les divisions et les identités concrètes ou imaginaires, qui sont toutes des découpes dans l’arc de structurel de conscience ou des intérêts du monde ; dans le réel (le lieu même inaccessible de l’historicité) ce qui ne pouvait que se rendre réel c’était le réel lui-même, soit donc l’équation ; parce qu’être français c’est être selon une formule autre que toute partie de monde, que toute communauté, que tout attachement à quoi que ce soit , y compris à soi-même ; ce par quoi cette formule ne tombe pas dans le compassionnel, l’affect, l’hystérique (les femmes), le sentiment, autrui et la repentance, etc, Zemmour se trompe en ceci que déjà le christique n’est pas lui-même la compassion ; la compassion ou l’affect ou l’angélisme, qui sont seulement des effets d’une force, d’une puissance structurelle bien autrement architecturée et pour le dire architexturée comme corps réel et concret.
C’est au fond, le débat sur la morale et la politique ; pour Zemmour la politique n’est pas la morale alors qu’en fait et en structure la morale est la finalité de la politique (sinon cette nation est une puissance, parmi d’autres ; elle rayonne par sa puissance et non par l’esprit, or c’est l’esprit qui traverse les espaces et les temps, toute puissance du monde s’effondre) ; ou donc, si l’on préfère, le christique est la finalité de cette reprise de l’Etat et de Rome. Mais si la morale et le sujet christique sont la finalité ou la régulation (kantienne) de la politique, ce sera au sens que passant via la politique la morale se modifie ; elle s’amplifie (de même que passer de Kant à Husserl ou de Husserl à Sartre modifie la structure de conscience) et s'approfondit et instancie des enjeux ontologqiues, réels,
On a dit déjà que le christique était la réflexivité dans la réflexivité déjà acquise du théos juif et formulait le surdivin, mais on peut tout aussi bien avancer que le christique est la réflexivité dans l’Etat romain.
Or cependant il ne faut pas espérer ou croire ou comprendre que l’on peut abstraitement plaquer la morale ou plus largement la liberté-égalité-fraternité sans que par ailleurs et bien plus complètement ne soit incarnée la dite civilisation, la civilisation cachée en partie, la civilisation dite « française » (et plus globalement européenne, mais quand même la France est, quoi que l’on pense, parfaitement spécifique). L’équation liberté-égalité-fraternité ne fonctionne pas en dehors d'une adéquation civilisatrice, qu'elle soit française ou anglo-saxonne (des deux empires britannique et américain) et c’est l’absorption de l’égalité dans la liberté, par quoi on ne se soucie plus que de liberté (en croyant naïvement que la dite liberté implique, tôt ou tard, l’égalité et la fraternité, alors que c’est de tenir la séparation dynamique des deux qui dialectise le réel), c’est cet effacement de l’égalité de tous, de la nation-peuple des volontés, que redoute Zemmour ; la transformation de l’inclusion française, dans une seule société équilibrée, vers une modulation anglo-saxonne, ou à la suite plus particulièrement communautariste, mais surtout consumériste, hyper libérale, en laquelle les puissants soumettent l’Etat, dont la méga culture tout à fait fantasque (hyper et vide) anéantit toutes les cultures réelles, et qui certes se fonde sur l’individualité
mais une individualité de patchwork et non pas une individualité en forme de sujet ; en laquelle seule la liberté de faire ce que l’on veut, sous réserve évidemment que ça ne nuise pas et effectivement ça ne nuit pas en soi mais par laquelle liberté vide se perd, dissout le commun, et dissout la participation/dans la consommation, la solidarité/dans la perte sèche du moi, se volatilise le récit/par les images, le passé et donc l’avenir/dans l’immédiateté de tout, et pour le dire si la vie consiste seulement d’en « profiter », il n’y a plus de destin commun et donc, ce que l’on n’aperçoit même plus, il n’y a plus de destin tout court ; en prétendant se réaliser, se sur-réaliser l’individualité et la religion de la liberté brute, finalement non civilisée (illusoire et imaginaire) abolit le sujet lui-même, ne reste que le moi dépenaillé ; ce qui revient à abandonner le réel aux réalités (aux identités fades, fausses ou passéistes, dont relève peut-être en partie Zemmour lui-même) ; on ne peut pas vivre ensemble si l’on réduit sa liberté à n’être que soi, quel que soit ce soi, cette identité, parce que d'une part la liberté n'est pas une identité ni le faire valoir d'une identité et ce pour la raison que la liberté est vécue, élaborée et éprouvée telle quelle ; le libre existe en lui-même, et crée une dimension. La liberté n’est pas seulement une forme vide, qui s’appliquerait n’importe comment, suivrait n’importe quel désir, n’importe quelle imagination ; qui croit cela ? Tout le monde.
Mais la liberté est une forme pleine (et Zemmour croit que la civilisation française est son contenu électif, ce qui n’est pas absolument faux) et la forme liberté de structure crée ses propres affects, ses propres manières de désir, ses propres finalités dans le monde (que Z et d'autres relèguent comme christique et éthérés, alors qu'il s'agit de la seule part active de notre vécu, le reste étant soumission au monde, aux intérêts et à la mort).
La liberté entendue pleinement est d'une part regard acéré sur le monde, le donné, le vécu et le corps (le moi et l'humanisation), depuis Don Quichotte par ex pour le récit lucide et cruel sur la vie, et d'autre part stratégies d'envergure qui permettent de relier les arcs de conscience tels qu'ils s'élèvent et outrepassent.
Et donc se pose la question qu’est-ce que cette civilisation ? (que l’on nomme ailleurs originellement acculturation ; le monde universel des grecs et le corps unique de chacun tenu du christique). Et pourquoi est-ce justement une telle acculturation ou civilisation qui s’effondre sous les coups de butoir de la liberté exclusive obsessionnelle, qui croit tout résoudre de se fier seulement à son véridique mais trompeur trait de liberté, liberté rendue abstraite et qui se prétend matériellement tellement concrète, illusionnant ainsi tout le monde et croyant remplacer le sujet (finalité ouverte de la liberté-égalité) par telle ou telle identité, supposée « authentique », naturelle ou spirituelle ? De la liberté vide en tant qu’elle n’implique pas l’égalité, ni le partage – il n’y a littéralement plus Rien à partager et donc bientôt ces libertés se déchireront pour le monde – et qui continue de tout séparer, tout diviser – et dont la forme abstraite est le destin, tel qu’il ne se comprend pas et donc s’effondre.