Les degrés de l’humanisation
Rappelons qu’il ne s’agit nullement de croire ou non (en dieu, en l’être) mais de décrire ce qui nous est arrivé depuis que nous sommes sortis des mondes communautaires, cycliques, particuliers, de par l’intrusion absolue de ces formes indéterminées ; dieu et la nation, l’être et l’universel, le sujet et la révolution, et ensuite l’altérité (et le corps). Et conséquemment au travers de tous ceux-là l’introduction de l’historicité fondamentale du réel. Ce qui n’est pas du monde crée le temps pour étendre sa possibilité (ce que dieu intime comme « achevez le monde avec moi », ou ce que les grecs pensent comme « complétez les réalités en les universalisant » ou ce que la révolution de sujets instancie comme « agissez selon votre intention libre et votre conviction décidée »).
Quoi que l’on pense de dieu ou du christique et du sujet (et de la liberté), ils formulèrent de but en blanc cela même qui nous structure. Et évidemment ça ne fut pas pour rien ; s’imaginer le contraire est purement une absurdité. Et donc il faut prendre au sérieux et au pied de la lettre les grandes configurations de conscience pure et brute, de structure (sans lesquelles nous ne serions pas qui nous sommes). Reste de fait que l’on peut absolument croire ou ne pas croire en dieu, l’être, l’universel, le sujet ou l’altérité ; il faut seulement éclaircir le décalage que nous sommes et éclairer, c’est tout. C’est tout le programme de l’occidentalisation de la pensée ; avancer dans l’articulation, par laquelle nous ne sommes pas du monde, mais alors de où et comment ?
Qu’est-ce que l’on veut vraiment ? Le nœud du réel, pour l’être humain, est de manier son attention. Sa capacité à cibler, viser, orienter ou désorienter le faisceau de conscience. De sorte qu’apparaissent ici et là les possibilités, les champs de perception, les intentions, les décisions.
À quoi faut-il porter attention ? Reprise de la question : qu’est-ce que dieu veut de nous ? Et qu’a-t-on fait de sa propre vie ? Est-ce que l’on a été ou sera soi-même ? Qu’est-ce qu’être soi-même ? Il semble souvent aisé d’admettre, spontanément, que l’on est déjà qui l’on est, et qu’il faudra s’efforcer de se réaliser, de se rendre réel. Mais l’impératif de toute conscience « de » soi est précisément d’introduire une interface entre le « qui l’on est » et « ce que l’on veut ». Il n’est pas du tout évident que l’on soit déjà « qui » l’on est par destination. On cherche même parfois sciemment à ne plus être qui l’on est (tomber amoureux est l’expérience formelle fondamentale de toute personnalisation, de tout moi, et la conversion, à dieu, au christique, à l’universel, à la révolution, à la poésie, etc manifeste le même élan de structure totalement inattendu, l’inattendu est ce que l’on espère).
Il est clair que cela inquiète fondamentalement n’importe qui, au point que l’on fait toujours semblant que l’on sait ce que l’on veut, désire, aime. Cela parait naturel. Sauf que si notre être n’est pas un être il ne peut pas, jamais, considérer l’évidence de son désir, de ses objets, de ses finalités. Ça ne sera jamais que construit. Et peut-être ne sera pas construit par nos soins.
La psychanalyse ou les sciences humaines nous ont habitué à l’idée que lorsque ça n’est pas spécifiquement voulu par nous seul (mais en ce cas il n’est plus de « nous-même ») c’est en somme voulu par un autre, par autrui, par l’Autre, tel qu’il s’est implanté selon les regards ou selon telle idéologie (au sens d’organisation mentale relationnelle non forcément péjorative) ou selon le langage, ou du moins, plus exactement, en se traduisant pour nous, pour chacun comme si l’Autre (tout extérieur et tout étranger) se transmettait à notre être en le structurant comme si il s’agissait d’un langage. Ce qui revient à dire ; comme si nous naissions d’une intention. Structuré comme un langage est l’inconscient, équivaut à « cela est voulu » et se transmet par des signes qui nous contraignent.
Reprenant soit dit en passant, l’hypothèse sartrienne que les autres nous pensent, mais au sens large ; ils nous visualisent, ils manient nos gestes, ils appellent nos choix, ils censurent ou encourent nos désirs, ils nous modèlent ou « ça nous modèle », les autres, la vie, la mort. Nul doute que cela remonte à Heidegger (ou Pascal) ; il s’agissait pour lui de montrer comme l’homme est conditionné par les affects imposés par l’Etre ; un être humain c’est pris dans le lieu de l’être, angoisse et être pour la mort, langage et peuple ; notre « condition » humaine est l’ensemble de nos conditions et celles-ci nous produisent et il ne sert à rien d’y échapper ; il faut les accepter et approuver le destin de l’Etre (au final la langue et le peuple, comme révélation de l’Etre, qui est au moins ahumain et au plus inhumain, suivant en cela Nietzsche selon la volonté surhumaine, ou le surmontement de la force à laquelle nous nous confions, plus ou moins en adéquation, et qui « sait » sans que nous la sachions).
Nietzsche et Heidegger, quant à choisir entre le monde surhumain, ahumain ou inhumain et l’homme, choisissent le monde (Camus dans L’homme révolté). Sous les images de la Volonté ou de l’Etre.
Mais choisir l’homme c’est aussi s’enfermer dans une identité ; celle de l’homme naturel, de l’animal raison, du moi-désirs, du corps-langage. Comme si tout était donné immédiatement dans le monde et puis vaguement nous serait accordé médiatement pour ce qui est de l’humanité (au prix de quelques sacrifices au principe de réalité ou d’effort et de réussite personnelle).
Mais rien n’est simple. On le savait si bien autrefois que dans la religion, il nous est dit et expliqué que l’on ne trouvera pas dans le monde, le vécu ou le corps, la satisfaction. C’est seulement à partir du 18éme que l’on admet l’humain comme un donné naturel qui naturellement trouvera dans le monde et son vécu réussissant, sa résolution ; si vous êtes un être de désir vous trouverez votre réalité.
Encore faut-il préciser que la métaphysique (cad l’ancienne formulation du décalage qu’est notre structure par rapport au monde, au vécu et au corps, ancienne formulation qui sous « idées et systèmes » tentait d’adapter notre intentionnalité aux réalités vécues, perçues, via ces systèmes d’intentionnalités que sont les pensées philosophiques) est battue en brèche par le christique ; « ça n’est pas ici que vous existez » (et de comprendre cela, alors l’inattendu a déjà commencé). Et c’est cette incertitude qui très exactement ouvre seule la Possibilité qui est nôtre ; par là on obtient une mise en perspective que les autres interprétations réduisent à telle ou telle définition et selon lesquelles sous couvert d’objectivité ou de « vérité » ou de systématique ou d’idéologie on succombe sous un regard non exprimé, qui ne parait, n’apparait pas dans son propre discours, sa propre mise en forme et qui n’expose pas l’intentionnalité même.
Le christique tient de ceci (c’est pour cela qu’il est la pierre de toute une civilisation) qu’il signifie le regard, tel quel, et le maintient (la foi) mais qui disparait ensuite et vous laisse en face de ce regard non visible appelant de fait le votre, et qui conserve, par cette disparition, cela même qu’il avançait, qu’il énonçait, qu’il lançait dans le monde ; à savoir : qu’il faut n’y être pas, pour en exister.
Ainsi ce qu’il nomme « amour » c’est la sur-réciprocité. On reçoit de l’autre l’intention aimable d’être reçu soi-même. Soit donc le plus grand plan, la plus grande stratégie possible ; non seulement votre acte de conscience est et sera encore plus vaste, mais il rendra possible que l’ensemble de tout ce qui est, et non seulement les autres actes de conscience, les autres je, sera aperçu dans toute son ampleur (ce qui se nomme l’éveil de la création, la re-création du monde, l’enfantement de la réelle réalité). La sur-réciprocité qu’il veut transformer en active-réciprocité effectivement réelle ; si vous n’accordez pas confiance (en l’autre, au monde, et à vous-même) vous perdez. Si on ne peut vaincre le maitre par les armes, on le vaincra par l’esprit.
Il s’agit d’élever l’arc de conscience si haut qu’il atteigne enfin et décisivement sa propre mesure (qu’il soit sa propre mesure, ce qui veut dire tout le possible étant sa Possibilité même, puisqu’étant le rapport et qu’il n’existe qu’un seul rapport qui ne soit que le mouvement, et si il est sa propre loi c’est d’être précisément sa Loi, et non pas n’importe quoi). En ceci que votre intérêt réel dans le monde, le vécu et le corps, n’est nullement l’ensemble de ces médiocres petits intéressements mais que votre intérêt n’est pas dedans le monde mais en plus du monde ; aimez-vous les uns les autres, veut dire « élevez-vous les uns les autres ».
Ce qui une fois posé, implique que nous recherchions cet intérêt suréminent. Et que sans celui-ci les intéressements, même nécessaires (de survie et de vie tout court), ne valent pas. C’est uniquement si ils permettent de passer au-dessus qu’ils trouvent leur réalité propre. Parce que la forme des réalités est plus grande que ces réalités, et perdre de vue cette ampleur (sous quelque bon prétexte que ce soit, on se donne peu souvent de mauvaises raisons, mais la volonté de dégradation existe réellement, elle est même constitutive du monde sous la formulation de la ligne de mort, ultime horizon d’abolition qui gouverne la réalité limitée, qui s’enferre dans ces limitations) et c’est perdre tout.
Perdre tout : parce que l’intransigeance du christique est fondamentale ; sans moi, rien. Sans procession, la récession. On s’enfonce inexorablement dans la petitesse, indéfiniment, éloigné. Sans une grande vision de la stratégie (du monde et de l’historicité ou de la politique, du donné et de la perception, du corps et du sujet) ils ne viennent à paraitre que de minuscules tactiques qui s’enferment dans la ligne de mort du monde, lorsque les intéressements aidant, l’enjeu s’impose comme l’humiliation, l’exploitation ou le meurtre de l’autre (et de soi). Et de soi. Se pardonner beaucoup n’est pas une garantie. Il faut se pardonner sous conditions, si l’on obtient de soi-même la Possibilité d’un encore plus grand (que l’on nomme ce plus-grand comme l’on veut).
Ce qui est supposé c’est évidemment qu’historiquement ce qui s’est présenté comme absolument la forme incomparable et fondamentalement positionné c’est désignée comme christique. Et au point que passant en revu tout ce qui suivit, la formule christique est non épuisable et ne parvient à se dérouler que peu à peu sans jamais qu’on atteigne à son ampleur. Ce qui est tout à fait stupéfiant. Non seulement en ceci qu’elle suppose un regard tout à fait autre (que le monde et le donné, dieu le père, en tant qu’intention qui demande que soit parachevé la création, que soit poursuivi le monde à condition de l’élever au plus haut, cad à la plus grande possibilité) et que de plus il faut inscrit le regard, l’intention comme relevant d’un corps, « ceci est mon corps », humain mais aussi naturel et vivant et encore d’un corps individuel, qu’il puisse supporter et porter l’intention elle-même. Et ce sans admettre rien d’autre que l’évanouissement de celui qui s’en va et nous laisse le regard même : ici et maintenant cela commence.
Parce que l’on ne pourra plus se dégager de ce regard, de cette intentionnalité, livrée nue et sans rien et donc sans divisions qui appartiennent au monde, au vécu et au corps, excepté le hiatus qui n’appartient à rien et à partir duquel on perçoit tout le reste et si un tel point existe, alors c’est lui qui existe (et le reste est second, mais à condition de tenir ce point-autre, ce qui est tout l’objet de cette stratégie lancée et mise en place) ; on est de fait de l’autre côté. Sur la face du présent (qui n’en comporte qu’une seule, l’autre est absolument mystérieuse : le réel est d’un seul côté, ce qui est effarant). Ce qui revient à dire qu’effectivement cela commence par le présent, qui acte tout ce qui fut, est, sera. En une fois. On n’est plus dans le temps (ni l’espace) parce que le temps est lui-même dans autre chose. Et c’est cette autre chose qui se fait voir, qui supplante le visible, étant ce à partir de quoi, à condition de s’y tenir, le visible est perçu.
Les conditions de l’invisible sont très exactement ce qui est exploré. Ce que l’on a moqué mille fois comme étant l’esprit ou l’âme ou tout de ce genre, étaient seulement des expressions, des manifestations de la structure du réel (qui entoure, prélude, instancie les réalités) et il ne peut exister, dans ce monde, que des signes, puisque c’est « de là » que l’on perçoit. Parce qu’il est bien évident qu’il n’existe pas un autre-monde derrière ou en plus du monde donné là : à quoi servirait-il de dédoubler le Même monde ? C’est autre chose, qui existe autrement, qui ne double rien du tout, mais contient, instruit, formule et informe le monde, le donné, la détermination. Et c’est cette forme, cette surface (sur laquelle viennent prendre place les arcs de conscience et sur laquelle se produisent les réalités, les mondes) qui est décrite ; ou donc si l’on préfère, qu’est-ce que le christique, Platon, Descartes ou Nietzsche ont vu ? Se sont-ils trompés, illusionnés, batifolés, égarés ? De quoi parlent-ils ? Non pas où est-ce que cela va mais de où cela vient-il ?
On suppose donc le réel, et cela tombe bien : il existe. Le plus grand réel possible est assumé soudainement par le christique qui suppose ici même, sur ce monde, le surdivin, le dieu en plus, celui qui supporte d’avoir un corps et soulève la création, la réalité. Et son apparition renouvelle le regard et impose à chaque corps qu’il soit relevé, et ce faisant toute la création, toute la réalité est élevée ; soit au sens strict pour le croyant, le converti, la foi, soit au sens très exact (qui n’eut jamais lieu auparavant) que chacun est le centre de son regard, sous entendu « par le regard du christ, vous existez » équivaut au « je pense donc je suis » qui n’est rien moins que l’expérimentation d’existence et d’exister absolue « c’est ici que cela agit, est agissant ». L’articulation est-ici. Il en a tellement conscience, René, qu’il précise bien comme dieu est ou peut être tout à fait Autre que nous l’imaginons ; la volonté ici est seulement une approche de l’étrange Rapport dans le ciel, si l’on peut dire.
Point besoin d’atteindre la pensée grecque qui vous conférerait quelque éternité, ni d’être un héros : le plus petit d’entre tous est-déjà in-fini. L’existence est élevée par le regard lui-même, en tant que même si il n’agit pas directement (en commandant aux esclaves de se soulever contre l’empire romain par ex) le regard sait néanmoins qu’il convaincra, et vaincra bien plus profondément que si tous les romains étaient passés au fil de l’épée de l’esclave, et que c’est ainsi que la vérité devient le réel. Même si cela prend 18 siècles, et la liberté-égalité-fraternité.
Mais cet arc d’ampleur, cette stratégie superlative ne s’adresse pas aux partisans ; elle cible, de fait, cela même par quoi elle existe, à savoir la structure telle qu’instanciée sur le présent, sur la surface en tant qu’elle est « le réel », et ce à quoi ont affaire tous les arcs de conscience ; elle doit donc s’installer pied à pied. Arc réel que personne ne possède, et dont aucune représentation ne simule le mouvement. Il faut que cet arc soit retiré hors du champ, sinon il apparait dans le monde et s’emplit d’intéressements, non pas mauvais en eux-mêmes, mais limités et enchainant l’arc de conscience. On aboutit ainsi à une non-intention. Ce qui veut dire que tout est Intention.
Ou plus exactement (parce que l’on ne pense pas que l’on puisse exactement formuler le réel en une fois dans le monde) « intention » est une manière de dire et d’approcher le « rapport » qu’est tout ce qui existe. Et il faut bien commencer de définir ce que le « rapport » est, sans se contenter de cette généralité, et c’est ce à quoi s’attèlent dieu, l’être, le sujet ou l’altérité ; ce à quoi ils s’utilisent eux-mêmes ; c’est le « rapport » qui use de tours et retours pour se signifier (il n’existe qu’en mouvement puisqu’il est le mouvement). Et évidemment étant mouvement, rapport il se communique pour et par cela même qui, autant que l’on sache relativement à notre expérience limitée de la réalité, peut supporter ce rapport ; l’arc de conscience est le rapport ici même, arc et donc ouvert, ce par quoi il est rapport, puisque si il était rapport déterminé il ne serait pas un rapport, mais juste un être, déterminé par l’atome ou l’adn.
Et c’est à partir de cette signification de structure que dieu, le christique et sujet, l’altérité impriment dans la réalité, signifient, lancent des signes, réorientent la réalité, le vécu, le relationnel, le corps ; c’est bien pour cela qu’ils prennent des tours et retours et détours qui peuvent être jugés aberrants ou difficiles ou extrêmes ou ahumain, surhumain, inhumain ou en l’occurrence pour dieu, divin et pour le christique surdivin.
Nous sommes issus de ce réel du Bord du monde et du vécu et du corps ; le nier c’est affronter que dans le monde ou le vécu ou le corps, cela revienne, et dans les plus catastrophiques disruptions. Outre qu’alors, enfermées dans le monde ou le corps, nos intentionnalités s’y tordent de douleur d’existence (dont les fameux affects, angoisse, etc, que Heidegger interprète selon l’être et Sartre selon l’existence, autrui, l’histoire, etc, et Lacan selon ce corps qui sup-porte le hiatus). On voudrait que les choses mêmes prennent consistance, que le bonheur soit cette disposition du corps, qu’il suffise de se croire chrétien ou juif ou musulman, qu’inscrire liberté-égalité-fraternité s’impose à la réalité ; c’est évidemment faux, on ne peut pas faire l’économie de l’intention, de la conviction et de la décision ; notre activité ne consiste pas à copier coller la réalité (ce que l’on nomme habituellement la raison ou le réalisme ou la nature humaine) mais à créer le réel ; autrement dit on ne peut pas ne pas pousser plus loin le Créé et le Créé n’est pas du monde, il est de structure et inattendu (il n’appartient pas au monde, ce que Badiou repère éventuellement comme logique) : une fois que tout est dit, rien n’est dit. Le réel, le sujet ou l’être, le christique ou dieu ne sont pas de l’ordre de la représentation, mais de l’activité ; conversion, intention et décision se jouent dans le réel.
Or pourtant on a fait commerce du désir, on l’a déployé et démultiplié, alors que le système économique (qui s’est imposé comme idéologie du corps, l’humanité n’ayant aucune propension suffisante au structurel, elle ne peut user que de ce paramètre du corps, du vivant, ce qui n’est guère glorieux) le système économique donc ne devait qu’assurer cette organisationnel minimum en quelque sorte, sureté de la vie certes impérative mais insuffisante, raisonnabilité que l’on a outrepassé en énormisant les imaginations et en prétendant que ces désirs étaient en eux-mêmes « le sens de la vie ». Et ceci au point que l’on ne parvient plus même à imaginer quel autre type de régulation, de vérité il pourrait s’agir au cours d’une existence et que le moi fait office d’unité d’un ensemble de pulsions hétéroclites qui sans cesse le dégrade ou l‘anéantisse comme unité (sans cesse reconstruite ; procès qui se nomme l’enfer, mental, structurel, sur terre).
C’est cette absence de procession, de propension, de tension élevée, qui a été remplacée par l’imagination du corps, repus, qui ne se perçoit plus que dans les images et non dans les idées ou les intentions, abandonnant même le principe de la liberté ou de la conscience au profit de fétiches plus ou moins hébétés, et imaginations, facilités qui nous condamnent. Dieu, l’être et l’universel, le christique et le sujet, l’altérité ne relèvent absolument pas de l‘imagination. Ce que Kafka ou Rimbaud perçoivent c’est selon le regard de dieu ou le regard christique (le surdivin). Ni l’être, ni dieu, ni le sujet, ni l’altérité ne sont « imaginés » ; ils relèvent d’une autre forme d’intuition, de vision, radicalement indépendante de tout autre mode.
On sera incapable de remplacer la nécessité et la rareté qui nous servaient de contrainte extérieure, d’armature et de contenance par une cohérence intérieure que l’on a cru figurer, simuler par cette nature humaine de désirs (ou de besoins pour le système communiste), cette image débridée de « soi », entièrement éparpillée. La cohérence interne du sujet n’étant absolument plus assurée, le dedans, qui se projette extérieurement se fige partout alentour et se brisera comme du cristal. Seul ce qui relève de la structure (soit d’une non-intuition sensible, imaginée, imaginaire) ne faiblit pas dans le devenir. Dieu, l’être, le christique ou le sujet ou la révolution résistent aux remontées continuelles du monde, du vécu et du corps qui veulent envahir et noyer le faisceau de conscience, d’attention, de stratégie et emplir la structure, alourdie jusqu’au niveau du monde donné là. Elle était écrasée dans les nécessités du monde, et s’en libérant, pouvant raisonnablement acquérir une légèreté, elle s’est prise dans sa propre pesanteur et a cru à ses mirages, des nécessités libérée elle instruisit sa lourdeur.