Le monde universel
Ayant acquis le discours dans toute son ampleur, la philosophie se tourne vers la réalité, donnée-là. Le discours, né des grecs, nous permet de situer immanquablement tout ce qui est pensable en tant que cela est l’esprit lui-même ; autrement dit ; tout ce qui est pensable relativement à "un" monde (n’importe lequel, universalisé à partir de celui-ci).
Le discours lui-même est un effort ; n’est pas une attitude naturelle ni humaine ; dans la mesure où l’humain
installe une « seconde nature » ; la vérification du dire dans un système d’échange généralisé ; entre soi(s) en somme ; et que le discours alors est la signification, le
sens d’une « troisième nature humaine ».
Mais il se double d’un effort supplémentaire ; de ce qu’il existe pour un sujet, il s’aperçoit qu’il existe par un sujet.
Cela cèle les réconciliations de l’esprit et du monde ; mais en un sens qui n’est pas encore compris,
compréhensible...
Le sujet qui pense le discours (lequel discours pense tout), vient du monde-même, le monde non-humain. Lequel n’est déjà plus le monde « habituel » ; celui qui est donné dans la
perception connue, pseudo-naturelle, d’un monde humanisé quelconque ; monde-même qui est, cette fois, le monde « là ». Le monde tel qu’on peut le supposer scientifiquement
objectif, et qui contient tous les mondes humains inventés, qui est le monde originel, à l’origine de toutes les perspectives possibles. Mais, ceci étant dit, monde-même qui avant d’être
le monde objectif, scientifiquement, est le monde « pour quiconque » et existe « de tous points de vue », déjà-là, mais non résumable en aucun et qui se tient à la frontière
de tous les points de vue.
Voici donc le discours en soi (le savoir de l’esprit sur un monde globalement tel que le monde peut être connu a priori, quasiment, et tel que l’esprit en lui-même peut se savoir), le sujet qui interface le monde et le discours, et enfin le monde-même, là, qui est horizon.
Le monde n’est pas le « monde » face à nous ; parce que nous-mêmes sommes « dans le monde ». De sorte que l’on pourrait dire ; le monde comme horizon est le « Donné » dans sa totalité (dont on ne voit pas la clôture pour l’instant).
Se tiennent ainsi face à face ; le sujet et le donné-horizon. Entre les deux, le discours qui clôt, lui, tous les discours ; toutes les paroles théoriques n’ont de sens que dans le discours universel et cohérent (y compris la science et y compris les émergences singulières, mais en un sens plus profond). Sinon on rentre à nouveau dans une humanité (une culture quelconque) ou dans une subjectivité (un ensemble mondain de déterminations qui se donne ses propres règles ; qui ne sont pas des lois).
Sujet, donné et discours universel cohérent.
Mais il s’avère que le discours est plus ample qu’il n’y songeait ; il se révèle comme système de signes sophistiqué ; suffisamment élaboré qui puisse retenir quantités et qualités du donné ; et permettre, de par sa sophistication, de médiatiser subtilement les distinctions (les différences du donné recueillies), mais aussi de décider subtilement ; de mener des visées, des saisies, des intentions dont un seul signe peut bouleverser le jeu. Le systématique, ce en quoi nous nous repérons, est aussi ce en quoi nous décidons, et ce en quoi nous percevons et finalement ressentons. Plus le système est précis, plus il est précis, évidemment (prècis en lui-même, et distinctif dans les éléments du monde inconnu), mais alors aussi plus il est modifiable… ce qui change tout.
Ce qui le rend accessible à chacun. Chacun peut devenir le système qu’il est. Nos idéaux de traduction esthétiques du donné formulent les perceptions possibles ou les ressentis littéraires d’un tel monde-donné, de nous-mêmes dans ce monde-là. Portant à notre connaissance notre potentiel ; lequel n’est plus contingent, livré au n’importe quoi (des faits rencontrés par hasard ou de nos caprices farfelus), ni délaissé à l’incertitude (puisque le système se sait, sait ses exigences, qui ne sont pas des règles, élaborées au petit bonheur, mais des lois, de sa constitution pleinement conscientes). En somme dans notre humanisation spécifique (qui n’est plus particulière d’une culture quelconque) rien n’est chaotique, imbécile ou arbitraire ; mais est la suprématie du librement conçu et effectivement vécu, réalisé, imposé au donné. La rationalité n’est donc rien de moins que ceci ; la transformation d’un monde arbitraire (seulement rencontré dans des particularités ou dans des bricolages interindividuels ou subjectifs) en ce monde-même ; non plus un vécu parmi des tas d’autres possibles et hasardeux, mais le vécu-même (de ce qui est à vivre, qui que l’on soit).
Et la rationalité loin d’écraser l’individualité, permet à quiconque de sortir de sa contingence, de ses
multiplicités bâtardes, de ses causalités pénibles, pour filer instantanément dans la logique de sa loi. Laquelle bien qu’individuée, est, pour cela même, universelle ou potentiellement
universelle pour chacun.
Ainsi le tourment de toute personnalisation commence d'être pensable.