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instants philosophie

Causalité interne du réel

9 Janvier 2021, 10:10am

Publié par pascal doyelle

Glissement dans l’irréalité

Il se trouve que depuis les années soixante nous sommes tombés, évanouis, dans l’irréalité. Il n’y eut plus que l’encadrement capitaliste. Tout est ordonné à sa, à ses lois.

Il suffirait de prendre Sartre, Debord, Lacan, et Céline et puis Ph K Dick pour comprendre l’intégralité de l’essence même du 20éme. Céline met en scène le petit bonhomme individualiste qui perd toute vision universelle, et s’effondre mentalement et historiquement et intellectuellement (on en connaît les conséquences pour Céline lui-même) dans la plus immédiate individualité vivante et bien qu’il garde quand même l’universalité en arrière fond, en arrière salle, afin de montrer son mensonge généralis. Ph k Dick décrit l’irréalisme absolu qui enveloppe et noie nos âmes, la conscience du monde et des autres (l’empathie reste la toute dernière limite de l’humanisme, survivant en l’individualité exacerbée). Tout s’effiloche dans la conscience que l’on en a (la réalité se dissout, autrui envahit la psyché, la noirceur est non pas tant méchante que délirante, les ténèbres délirantes et donc souvent rigolotes). Reste alors Lovecraft, un univers au-delà de toute humanité, au-delà de toute représentation et de toute imagination ; soit donc l’univers inhumain qui cerne de toute part notre petit cercle irréel.

Comme il est question de regard et que toute image (au sens large) impose en elle-même et en même temps un regard, on se perçoit via les dites images ; et donc on veut, croit, intègre, incorpore y ressembler. Tout comme dieu nous a fait « à son image », et absolument dans la même proportion. Sauf que ce seront, dans la société des consommateurs, des images selon le monde, et comme du monde on n’a pas de perceptions immédiates et valides, ce « monde » est celui qui est produit. Produit jadis par le groupe, la communauté, et dorénavant produit industriellement ; les images qui peuplent notre esprit, ce qui veut dire notre perception, tout entière, sont produites industriellement. Les personnalités sont produites industriellement. L’industrie est même la mise en place (et en scène ) de notre personnalisation. (signification de Debord).

Il n’est pas dit que ça réussisse évidemment. Mais l’intentionnalité de chacun est aimanté et accaparé dans le Regard en ceci ou cela, l’objet vu, l’image vue, c’est la position selon Sartre de l’en-soi (et sa densité, laquelle est imaginée évidemment) perçu par la conscience (qui profite ou jouit par anticipation, par l’imaginaire, qui se voit vue en tant qu’image, ce que la conscience n’est pas du tout).

Et bien sûr comme de par le même mouvement chaque je fut lâché dans la nature, les mois en profitèrent et créèrent une profusion de possibilités ; chaque moi est une résolution de l’équation de chaque vie transformée en existence. C’est pour cela que chacun en est sidéré et absolument passionné (par sa propre existence). Y compris dans l’invention des névroses, obsessions, sociopathies, illusions, libérations, réalisations, entreprises (y compris économiques et techniques), etc. Prolixité de la possibilité délivrée (tout ce qui n’est pas interdit est autorisé).

Mais que le Vu soit reçu comme Regard, veut dire que chacun devrait s’employer à récupérer ce Regard ; il n’y a pas de raison qu’il appartienne à d’autres (voir Sartre et autrui, énorme problématique) ; il faudrait même qu’il n’appartienne à personne. Sauf à dieu, la vérité ou la liberté. Qui sont vides et donc exigeants, d’une autre sorte d’exigence. Même si il m’appartient, le regard me trompe ; ainsi la psychanalyse qui consiste à mettre sous le regard dégagé ce qui autrement était un - regard du moi sur lui-même - (sous la condition de l’Autre, pas tellement des autres ou d’un autre que de l’Autre, en quoi il était politique au sens le plus grand possible ; comme l’impératif « tu es toi-même : jouis ! » qui est une pure folie « collective » individuelle, traumatisante, l’esprit de telle ou telle époque).

Beaucoup ont présenté les choses comme suit ; la transformation de chacun en individualité, soit donc comme producteur et surtout consommateur, c’est cela même qui a brisé toutes les représentations précédentes. Surtout « consommateur » parce qu’ en tant que producteur chacun était en mesure de se regrouper dans un syndicat, un parti, une lutte des classes, une historicité, des revendications, ou une sorte d’identité mais le consommateur est seul. Absolument seul. Et il aime cela, il se-satisfait.

On dira, ici, que ça n’est pas tant l’individualité qui a pu embrasser la belle vie de satisfactions offerte à tout un chacun, qu’une certaine compréhension de « l’individualité » ; à savoir la déconstruction du sujet et sa bascule vers cette sorte de composé, bricolage qu’est un « moi ».

On a cessé de comprendre l’individualité (terme générique) comme sujet (terme métaphysique ou surtout ontologique depuis Descartes, Kant, et même Hegel, et les idéalistes allemands et les romantiques ensuite et les poètes et artistes qui constatèrent le démantibulement de la Vision de sujet et sa dissolution par le vie, la société (Rousseau premièrement).

Et on a commencé de le ré-artificialiser comme « moi « . Tandis que par ailleurs il subissait, l’individu, sa transformation en « être humain générique », socialisant ou communiste ; homme des besoins et individu de désirs s’opposant.

Et ce parce que constituer le sujet métaphysique ou ontologique était évidemment trop compliqué et paraissait une pure tautologie, inefficace, voire illusoire ; tandis que le moi (qui remplace le sujet) se saisit et se déploie dans le monde, doué d’un corps vivant, d’un relationnel de plus en plus touffu, d’une méta-organisation bien pensée (toute société commence de s’élaborer comme Constitution, système de Droit, etc), et déborde dès lors de possibles (qui étaient restreints par le cadre des anciens régimes de toute sorte ; non plus « out ce qui n’est pas autorisé, est interdit » mais « tout ce qui n’est pas interdit, est autorisé »).

la richesse paraît toute entière dans le moi et chacun est alors en charge de son vécu, de son vécu de plus en plus étendu et multiple. Il n’y a aucune raison de s’en priver et il est vrai qu’en comparaison le « sujet » est kantien, et pas vraiment drôle. Sauf que dans chaque moi, le sujet aurait du se continuer et non pas s’absorber dans ce vécu et ce corps et dévoré par la recherche de la satisfaction, mais bien comprendre que la plénitude ne se trouvera pas dans le monde ou le vécu (et donc elle devait, cette insatisfaction originelle, originaire, s’explorer et s’expérimenter autrement, se penser et tisser ses propres possibilités ; c’était cela le sujet), et ce qui devait également faire office de sujet c’était le tressage collectif, la représentation partagée de la médiatisation généralisée (de la photo aux jeux vidéos, en passant par le cinéma et la télévision, et tout support de représentation). De sorte à embrayer sur une conjonction de chacun et de tous, une coordination, une représentation humaine et humanisante, personnelle et personnalisante de nos vies.

Tout cela eut lieu, plus ou moins et plus ou moins selon de véritables finalités ; et souvent également s’exténuant vers le bas, vers le monde, l’intentionnalité piégée dans des immédiatetés, des satisfactions imaginées et irréelles. C’est bien là le point central.

La transmutation de la satisfaction naturelle, vers quoi incline tout corps vivant, en satisfaction fantasmée et d’autant plus attirante (et fausse, parce qu’un « idéal » de cette sorte n’a aucunement sa place dans le monde et la vie ; Céline, la mort ou la détérioration de l’individu qui croyait en l’humanisme, ou Houellebecq la dégradation du moi qui croyait en la personnalisation et ses heureuses finalités, ironie et humour, même si l'ampluer est bien plus grande dans le Voyage).

On s’est beaucoup révolté. On s’est révolté contre dieu, mais aussi contre la raison, la raison universelle, l’humanisme même, oubliant décidément (ce qui veut dire « de par décision ») l’universel comme tel ; puisqu’ayant acquis la liberté et l’individualité, la personnalité on a cru être en mesure de se passer des bases, sans lesquelles la liberté de chacun s’effondre. Ça n’est pas un hasard si les Usa se créent en et par la fuite protestante, et bâtissent une utopie (la seule de toute l’histoire et sur toute la planète, à les écouter). Il s’agit de la victoire de l’imaginaire sur la raison, la raison européenne, cad la pensée.

Ce qui est très simple c’est que étant donné que chacun reçoit sa liberté alors celle-ci par définition peut se passer, structurellement, techniquement si l’on peut dire, de tout le reste ; il revient à la liberté de reposer sur elle-même ; il n’st pas du tout étonnant qu’elle prenne la première place et se substitue à l’ensemble de tout ce qui fut (outre les formules de sociétés de groupe ou communautaire ou holiste ou collective ou traditionnelle, comme on voudra les nommer), et remplace donc dieu, la pensée, l’humanisme, et dissout tout lien qui existerait hors d’elle seule (de tout groupe social, de toute ethnie, de tout peuple ou nation, de la famille ou du mariage, etc, bref tout).

Et donc il revient, absolument, à la liberté de se substituer à tout. Et étant une articulation, par définition, la liberté doit être articulée… soit une articulation faible, soit une articulation forte ; mais il faut se méfier parce que l’on ignore ce que faible ou fort signifient ; depuis le christique, qui initie cette possibilité comme fait majeur historique (que l’on y croit ou non), la faiblesse et la force obéissent à une sorte d’hyper méta logique que l’on ne comprend pas. Mais qui n’est pas du monde. Il ne devait pas se croire être ceci ou cela et emprunter de pauvres vêtements ou donc quelque identité que ce soit, et encore moins se perdre dans les objets.

Et il y eut une telle torsion opérée historiquement que toute liberté s’est réalisée mais est tombée dans le monde (dans le vécu, dans le relationnel, dans le corps ; le moi faisant office d’articulation ; ce qui le rend régulièrement fou, désespéré, ou irréel). Dans le monde et en chaque vie elle s’est écroulée, en se remplissant. Mais tout fut également exploré ; on a tenté diverses possibilités

C’est qu’elle n’avait aucune idée d’elle-même, aucune pensée quant à son être, qui n’est pas un être. Que l’on ait pu croire qu’elle était un « quelque chose » c’est ce qui l’a dépréciée. Une chose parmi toutes les choses et les corps du monde était de bien peu de consistance. Elle fut absorbée dans sa structure, remplie à déborder de toutes sortes de beautés mais de beaucoup d’insanités. Et surtout chacun a cessé de se mesurer à la pensée (à la vraie pensée, celle qui vous positionne par rapport à la vérité, au divin ou à l’infini, l’in/finité de l’intention) et n’a plus compté que sur sa vie, sa pauvre vie qu’il pouvait ou semblait capable de transcender en une réussite ou à tout le moins en une adéquation ; adéquation de la volonté définie comme désir qui naturellement ou réalistement devait se transposer dans le monde ou le vécu ou le relationnel ou le corps, perspective que nie la positon métaphysique ou ontologique ; le désir est non structurel, c’est comme une partie du monde donné, tandis que le structurel impose que nous ne sommes pas du monde, ce qui est évident puisque nous en sommes conscients et donc autre.

Or par « conscient » et c’est toute l’ambiguïté, il ne faut pas entendre « raison », mais arc de conscience, ou donc intentionnalité ; et ce qui s’instaure par la révolution ça n’est pas la pensée rationnelle, mais le jugement, ce qui s’applique en tout et partout et non pas spécialement aux catégories philosophiques ; de sorte que dans le même temps s’ouvrent quantité de champs nouveaux (qui relèvent par ex de la vie individuelle qui n’est plus « castée » par un ordre établi mais aussi quantité de politiques possibles, ce que la France expérimentera dans tous les sens, bien plus qu’une autre nation, en multipliant les régimes puisque la formulation de base est plus complexe, constitutionnellement).

Il y eut, en un mot, une inflation totale du champ de conscience ; et si la pensée y a joué un rôle, très conséquent, c’est en rendant possible la démultiplication des intentionnalités et ce de façon concertée puisque les idées forment des systèmes qui rendent accessible la cohérence et donc le contrôle, la maîtrise ; ce qui veut dire, classiquement, que la pensée demeure au sein de la pensée et que son être de déterminations use de signes transparents ou les plus clairs possibles ; mais qui semble supposer que la nature même de la pensée, son ‘essence’, est constitué « de pensée ». De même que les mathématiques seraient antérieures aux choses mesurées (puisqu’apparemment les choses obéissent aux lois calculées) ; mais on a vu que le nombre est juste le rapport (de soi à soi) d’une chose ou d’un être ou de quoi que ce soit.

Or toute conscience sent bien que si on peut postuler que la-pensée est cohérente et exprime totalement tout ce qui est, et alors il s’agit somme toute de la pensée qui est celle de dieu (scolastique, reprise de toute la pensée grecque dans la systématique philosophico-théologique du christianisme), cependant l’arc de conscience, la capacité de conscience est beaucoup, beaucoup plus qu’universelle ; ou alors, en conservant la mention d’universel, évidemment, il s’agit de définir cet universel comme la forme, absolue (parce que formelle), du sujet ; le sujet est l’universel fondateur qui occupe chacun tel quel. Ce qui ne manque pas de paraître boiteux.

Si l’universel seul effectivement réel est non pas la pensée en mouvement mais le mouvement de la pensée (Hegel), il n’est pas en soi pensable ; il est ce qui permet de penser et perçoit ses résultats (les pensées, les idées, puis les systèmes) comme autant de positions par rapport … sa totalité, la totalité des pensées rassemblées et rendues certes logiquement (selon la dialectique), mais le mouvement lui-même reste la seule ‘négativité’, qui permet de passer d’une idée ou d’un système à l’autre ; la cohérence, dialectique, est celle de l’horizon général ; la pensée (sa logique) est l’horizon des pensées (qui ne sont plus contra-dictoires, ce que l’on reprochait à la philosophie, à condition d’admettre que le mouvement de la pensée existe comme système des systèmes ou savoir de soi de l’esprit ; ce qui fondamentalement laisse sans voix, et sans voie ; parce qu’alors qu’est-ce que la-pensée, l’esprit ?

À moins de supposer que la-pensée existe en elle-même et que tout le reste déploie multiplmeent ce qui se présente unificativement dans l’idée (il y a une idée de l’arbre et plusieurs essences d’arbres et des milliards d’arbres particuliers). Pourquoi la-pensée existerait-elle ?

Or pourtant elle est, mais dans le champ d’observation ou de description d’une conscience. On dira ; pourquoi la conscience existerait si on doute de la pensée ? Parce que la conscience est le rapport des rapports. La conscience est « ce qui met en rapport » et on a dit qu’il en est ainsi parce que le « sujet », la forme « sujet » est seule cela capable de se modifier soi-même et donc d’agrandir le possible ou plus exactement la possibilité du possible.

Si il n’est que l’être, ce qui est, est. Il est déjà inclus tel quel et ainsi rien n’arrive (il y aura une fixité d’une manière ou d’une autre). Si il n’existe que la forme d’un rapport, il n’est rien du tout. La solution est que tous les êtres (et les choses) expriment le rapport ; le rapport est l’ensemble des rapports qui le manifestent. Tout changement dans le rapport produit d’autres effets. Le devenir est ainsi à la racine des variations de positions ; dieu n’a pas la même position que le christique mais le christique ne contredit pas dieu, et ne contredit pas non plus l’universel grec et la pensée et l’être, de même que le sujet cartésien intègre le christique et réinstalle la raison, mais autrement, dans une autre configuration ; il précise la position christique en somme, par lui la structure existe ici même. Kant s’obligera au criticisme et Hegel au rassemblement de toutes les positions théoriques ou intellectives (métaphysiques) ; et surtout il y aura un nouvel universel, le sujet, applicable en et par chacun, chaque un.

Par cet un, de chaque sujet, on est loin du Un qui clôturait la pensée universelle, grecque pour simplifier, celle du discours qui définit son objet mais bute toujours sur le Bord de la pensée ; le Bien, la pensée de la pensée, le Un. En somme le un du sujet simplifie les autres configurations ; il désigne ici même le « lieu » du un.

Or qu’il y ait ici même le un, pose quand même un sacré problème ; comment se fait-il que dans la réalité, dans le monde de la réalité il existe un « sujet » ? Comment un sujet, qui est ce qu’il n’est pas et n’est pas ce qu’il est (qui est, donc, une intentionnalité qui fait varier ses contenus) est-il possible ? Si l’articulation que l’on situait en dieu, dans la pensée (grecque) ou le penser (hégélien), se découvre dans l’ici et maintenant agissante, alors elle récupère l’ensemble de l’articulation ; ce qui est littéralement le fait même du christique ; que dieu (qui était « en-dehors » et autre) devienne comme corps-sujet ; ce qui est invraisemblable, sauf si on ne comprend pas ou ne comprenait pas ce que par dieu ou la-pensée il fallait entendre.

C’est une recompréhension de ce qui se donnait auparavant comme divin (dieu ou la pensée), et donc séparé (du monde, mais aussi du vécu, du corps, de la perception) qui est proposé, et à laquelle recompréhension on est introduit ; ce qui mérite bien un baptême ou un cogito. Baptême et cogito inaugurent mais surtout initient non pas la révélation seulement du réel tel qu’il existe ici et maintenant, mais crée cet être spécifique.

Si on applique à cet être les caractéristiques qui relevaient de la pensée et de dieu, on retrouverait une sorte de divinité selon le monde, de pouvoirs augmentés, de super volonté, etc, ce qui n’est absolument pas du tout le cas ; si l’être du sujet est la résolution, est l’actualisation réelle de ce qui autrefois se nommait dieu ou la pensée, il est nécessaire de reconstruire cette caractérisation ; et c’est bien ce que le christique avance ; on ne sait pas ce que cet être, spécifique, veut, peut, désire, attend. De même que les juifs ne comprennent pas ce que dieu leur veut ; que veut-il ? Comment instancier dans ce monde la nation juste élue ? Comment organiser une telle nation en interne ? De même le sujet cartésien (qui est originel et finalement un simple début d’aperçu) ou kantien (qui commence de déployer ce sujet, comme transcendantal) : la question la problématique, l’interrogation dans tous les sens de ce sujet, de cette structure, de la structure de l’attention ; à quoi doit-on faire attention ? Pour reprendre une formulation kantienne ; que puis-je faire, espérer, savoir ; dont on voit bien que l’enjeu est l’orientation que doit/peut prendre notre être, tout notre être.

C’est qu’en croyant visualiser, dans le monde, la structure de conscience on l’interprète et elle se cristallise et se fixe comme déterminations ; sauf parfois quelques formules qui apparemment ne disent « rien » ; je suis celui qui suis - l’être est, le non-être n’est pas - aimez-vous comme je vous ai aimés - je pense donc je suis - liberté, égalité, fraternité.

La difficulté est de tenir dans l’incertitude tout en considérant qu’elle est certaine. La liberté-égalité n’était pas du tout évidente avant son déploiement, non qu’elle ait été ignorée mais elle n’obtenait pas son affirmation instantanée et de structure, par laquelle, ensuite, on perçoit et conçoit et organise (et encore est-ce très difficile à tenir un minimum, puisqu’il s’agit d’une formulation et non des intérêts ou immédiatetés du monde, ni du vécu de chaque moi, bien en peine avec son sujet). Que chacun ait une âme infinie n’apparaît nulle part avant le christique (il y a une âme plus ou moins fondue dans un éventuel absolu, par ex).

Tenir l’incertitude pour certaine, on l’a dit déjà, est du ressort la foi ou de l’évidence transcendantale ou, ajouterons-nous, de la capacité stratégique ou de l’intuition de structure. La capacité stratégique c’est ce qui commence avec dieu et la pensée. Il s’agit de calculer l’intention (puisque dieu est l’intention brute et pure, hors de tout champ qui les crée tous, dans le donné, et qui engage l’humain à poursuivre la suite du projet).

L’intuition de structure débute avec Descartes ; c’est pour cela qu’il entame la réalité par celui-là qui est hors-de toute réalité (serait-elle imaginée ou folle ou ce que l’on voudra ; la structure est absolument hors-de, et donc inidentifiable). Et qu’il accroche ce sujet à l’infini (l’autre intention). Infini étant le symptôme, le signifiant du signifié qui est la possibilité du possible. La Possibilité est la structure initiale de tout. Le réel se définit comme étant « le possible » même.

C’est par cela qu’il faut intervertir le regard. Soit le regard s’accroche à sa certitude, soit il se prend pour ce qu’il perçoit, pour ce qui est perçu. Et on a dit que la certitude du regard tel quel est l’incertitude (la forme de tous les contenus, réalisés ou non). Abonder sur le contenu c’est le commencement du glissement dans l’irréel ; on se situe toujours dans l’irréalité (puisqu’aucune image n’est une réalité, mais signes dans un champ intentionnel). Et on s’en garantit, habituellement, de cette dérive, par le regard des autres. Ou de dieu, ou de la raison, ou de l’État. Il est clair que si dieu, la raison et l’universel, l’État ou l’avenir se dissolvent, toute conscience tombe dans l’irréalité des intentionnalités qui prennent pour loi leur facilité, la contrainte, ou leur intérêt dépourvu de toute autre considération ou les sombres fins qui haïssent le regard même ; ce qui veut dire qui ne voient pas pourquoi chaque possible doit s’étendre vers une plus grande possibilité.

C’est ce qui s’applique par exemple sur la pensée ; elle se doit, en tant que système clair, d’organiser et pré-organiser de la plus petite idée à la plus globale. Mais non pas seulement de telle sorte que le système s’établisse comme objet clos sur lui-même (ce que l’on présuppose habituellement), mais afin que toute conscience s’y attachant puisse à la fois éclairer tous les cheminements et encore plus que le système revienne à chacune, et ce afin que le mouvement de conscience obtienne son miroir. Qu’elle soit l’image du miroir et le miroir de l’image. Ce que l’on ne comprend qu’à la fin ; c’est parce que le cœur du réel est le sujet, l’articulation et que donc ce qui est manifesté est autre que ce qui manifeste, mais ce qui est manifesté n’est pas seulement une réplique (comme idée serait la copie d’elle-même, adéquation) ni un effet (comme dans toute causalité rationnelle) mais au sens où le manifesté augmente, à rebours, ce qui manifeste …

Ce retour, temporel, cette inversion de la causalité pour ainsi dire, n’est pas un effet dérivé ou secondaire mais la finalité elle-même. En ceci que le sujet, la structure-sujet est justement d’agrandir la cause par les effets qui retournent à lorigine, de sorte que le rapport puisse se modifier (la détermination, la manifestation de la structure n’est donc pas opposée à la structure, mais ce sont là ses conditions mêmes de structure qui doit se-percevoir, le Percevoir est toute la raison d’être qu’il y ait « une réalité ») ; de même que dieu veut agrandir sa création (et donc lui-même) de par notre participation et surtout de par notre propre création de la liberté, de la vérité et du possible ; ce qui ne s’instancie que de « se vouloir », puisque « liberté » est un rapport exigeant à (soi) qui n’est plus un soi … mais un possible.

C’est cette non-limite interne (qui n’est pas intérieure puisqu’elle doit se rendre réelle, de même qu’il ne suffit pas d’adorer le christique mais de le réaliser, l’interne aboutit à l’externe réel, tandis que l’intériorité s’oppose à une extériorité qui est toujours, de toute manière, une reconstruction) qui, toujours actualisante (comme ‘naturante’) se dirige vers le monde, le vécu, le relationnel dans ce vécu, et le corps. La différence, donc, qu’ici naturante passe en et par une articulation dont on ne peut pas faire l’impasse ; il y a une réalité ‘naturée’ parce qu’il y a d’abord et absolument un réel ‘naturant’. Et ceci ne se produit pas sans le caractère pur et brut du réel, sa violence (qu’il s’agit d’élever) ; ce retournement interne du réel n’est pas « ce qui arrive à » quoi que ce soit ; c’est « ce en quoi et donc par quoi » il y a quelque chose ; une réalité, et donc nous, à tout le moins et donc sans préjuger de ce qui, au-delà de nos imaginations, est possible et sans croire que l’on saisisse tout de cette articulation, qui est, a priori, supposée comme l’infini de tous les infinis.

Que le réel soit plus grand que lui-même veut dire que le sens de tout est de créer encore plus d’infinité à partir des infinis. C’est la nature de l’infinité d’être mise en jeu. Quel autre sens y aurait-il sinon ? Si nous ne sommes plus dans le contenu (serait-il l’idée d’infini de l’être de la philosophie, cet infini-objet n’ayant pas grande signification) mais dans la forme (du sujet) alors nous existons dans et par l’infini non pas au-delà ou en deçà ou n’importe où, mais ici-même (cartésien depuis lors). Qui indique que cela se passe ici-même.

Puisqu’en réalité, dans les faits eux-mêmes, puisque le système structurel de la conscience produit, toujours, son propre champ, elle crée constamment ; créer son propre champ (et elle ne peut que le créer puisqu’elle est un rapport qui crée des rapports) implique imperturbablement que l’on élabore du nouveau, de la nouveauté (de là que le christique qui s’attache à chacun, soit la réflexivité du renouvellement, de la re/naissance, du vrai sens de l’historicité ; le temps recommence par chaque conscience qui ouvre sa propre capacité, parce que si auparavant il s’agissait d’entités collectives, le groupe humain (et il y en eut quantité de structurations, tribus, royaumes, empires, civilisations) par contre après le christique (et dans un monde humain préordonné, par Rome entre autre) le centre s’instancie en et par chaque un (et il y eut profusion de mois, de personnalisations).

Ce mouvement incessant de la création des mois, des personnalisations, fut la passion de chacun, et ce jusqu’au bout de l’incorporation de (soi) et essentiellement depuis les années soixante (décuplant la production industrielle qui s’est auto dépassée en pluralisant la mass-médiation ; que chacun puisse disposer de ‘son’ monde, potentiellement) ; mais y eut-il retournement du moi de chacun en ce sujet singulier ? Sans doute, mais il n’y eut pas de conséquences suffisantes  puisque l’organisation générale est demeurée sur les routes de la reproduction et de la production de chaque « moi », sans qu’il y ait coordination pour les intérêts suprêmes ; en bref le fantasme (l’image, la reproduction mentale, la société du spectacle en gros) a rempli, étanché, asséché la structure en ré-imaginant constamment la psychologie, le vécu, l’idéal ou la vie rêvée, et ce « sous le regard » même de, qu’est l’image (au sens large, et internet est, en partie, la capitation absolue de l’attention ; comme partout on sera jugé comme on jugera, on deviendra ce que l’on choisit). Un étouffoir. Le mouvement, certes, mais sous le seul apparaître de ses effets ; les effets sans la cause, et sans le retour sur elle-même de la cause. Par lequel retour cette cause (le réel) pouvait se représenter dans la réalité.

Il est clair que seule la cause elle-même est susceptible de se re-prendre dans sa forme native, qu’elle n’a jamais quittée, mais le sait-elle ? Oui, depuis le début et sous différentes formulations, on l’a vu en long et en large. Et comment, sinon d’avancer dans la compréhension de la structure de l’attention ? Comme de l’intention (ce qui débute avec le christique, mais également avec dieu, à moins qu’il s’agisse purement de révélation). Par quoi donc nous sommes passés de l’intention, de dieu, aux systèmes d’idées (intentionnalités), à l’intention christique (l’intention mais celle qui transforme le vivant en existant ou inversement selon le christ, qui se présente comme « le chemin, la vérité et la vie »), puis à l’image-miroir du je cartésien (qui n’est plus une image et vous force à instancier, actualiser le je ici et maintenant), au creusement et à l’exploration de ce je (Kant, Hegel, Husserl, Sartre, Lacan et accessoirement la révolution).

Ou donc ; le sujet est justement cette structure qui crée des stratégies. Sans sujet elles n’existent pas. Il ne reste que des tactiques dont les finalités sont orientées vers le bas. Une pesanteur plus ou moins élaborée, qui permet d’installer beaucoup de systématiques, d’organisations, mais quantité de mondes humains ont disparu ; la finalité vers le haut, elle, est reprise comme historicité. Et les mondes fabriqués ne tiennent en fait que des structures ; sortir de la formulation liberté-égalité-fraternité (qui est la plus élevée obtenue) conduit à l’effondrement des semi-mondes construits à la suite de cette formulation (tel ou tel groupe, tel regroupement d’intérêts s’éteignent dans leurs immédiatetés).

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