L’invention démultipliée (du moi de chacun) peut paraitre un pur fiasco ; en quoi un vécu peut-il prétendre à exister
pour lui-même ? Il est mélangé et résultat(s) d’interférences absurdes et d’aventures totalement hétérogènes ; il n’y a pas d’essence, de destin, de vérité, d’unité là-dedans.
Mais justement il ne vise pas à manifester une essence, une unité ; c’est juxtaposer une identité à ce
processus ; croire qu’il y a un « moi ». Croire qu’il y a un moi, c’est absolument nécessaire pour quiconque ; parce que quiconque est dans l’obligation logique de réunifier
tout ce qu’il voit, désire, reçoit, éprouve et endure en une fois. Mais hors de cette nécessité logique, il n’en est pas ; pas de moi. On dira ; oui, mais il meurt, un jour, il cesse.
On prend donc la mort pour une certitude de soi. Ça prouve quelque chose, que « quelque chose » est, est bel et bien « soi-même ».
ça n’est pas faux ; rien de tout cela n’est faux ; au contraire, il est vrai qu’il est essentiel que le moi-même
que l’on ne réalisât jamais en quelque période humaine qui fut, est absolument cad historiquement un acquis essentiel et confondant ; au point que la main mise des monopoles, des factions de
pouvoirs, de tout pouvoir, vise précisément à démantibuler l’acquis d’un moi-même, la sécurité d’un habitat, broyer le statut de chacun (en ce sens que l’économique veut détruire le statut
constitutionnel et politique du Chacun, de même que les dictatures annihile le caractère privé de la vie vécue).
Mais que ça ne soit pas faux, le moi-même, ne signifie pas que cela soit tout, que le moi-même soit tout le possible. Et en
essence il advient qu’il existât un possible précisément de ces moi-mêmes.
Tout dépend du concept que de soi l’on se forme. Se forme-t-on un « concept » de soi ? Est-ce que l’on n’est
pas simplement « soi-même » de fait et considérant cela comme un Fait justement ? Mais si l’on a des questionnements ou des tourments dans le vécu, si l’on s’y éprouve comme en une
épreuve, si l’on doit faire face à ceci ou cela, si il existe des psychothérapies ou des, enfin, religions, c’est que de soi, on se formule un concept ; on a une idée de soi. et si on tend
si aisément à s’enfoncer comme un fait donné, c’est que ce concept de soi est, on le sait, en partie inexprimable ; soit il est finalement « ce corps-ci », soit il est irrésolu et
imaginaire (cad que l’on s’imagine être tel ou tel ; ce qui au moins permet une adaptabilité ; l’imagination est mouvante et peut se couler en telle ou telle situation, remodeler l’idée
de soi).
Du concept de soi, on ne voit pas pourtant en quoi et pourquoi il cesserait ; sauf en ceci ; qu’il est utile,
qu’il est fonctionnel ; il fonctionne dans telle situation sociale (et cette idée de soi autre ne fonctionne pas en tel autre situé). L’idée de soi est ainsi profondément délimitée par
le reflet dans son monde ; et son monde est le miroir de son unification personnelle. Si la forme « idée de soi » est en elle-même universelle (c’est une idée, une formulation, et
elle est une manière commune à tout moi-même), elle n’existe par contre que déterminée ; on que celui-ci et non pas cet autre, on est un-tel.
Ce qui est aberrant. Aberrant parce que la forme Idée de soi a visiblement accès et potentialité d’être universelle
entièrement ; par nature, par essence. A croire que ne trouvant pas de quoi se nourrir, elle se rabat sur tel moi-même, un-tel bien défini. Or cependant il est tout, littéralement tout, à sa
disposition ; de la politique à l’art en passant par la science, l’éthique individuelle, ou la connaissance ; la totalité des universalités possibles est à disposition de chacun.
En cela on peut s’imaginer que art ou éthique ou pensée sont comme des extensions d’un moi-même, entre autres. Entre autres
choses, toutes extérieures. Mais c’est faux ; art ou éthique ou pensée forment un autre-soi. On n’y entre pas sans atteindre de son moi une explosion radicale ; le moi-même se centre
sur soit un état-de-fait (« suis un-tel »), ou soit sur un état imaginaire (« moi-même ») ; le devenir universel le décentre entièrement et promulgue la loi ; ceci,
art, pensée, éthique, vaut universellement ; pour n’importe quel moi-même, qui est dés lors un sujet (comme tout sujet).
Cela implique ceci ; que l’art ou la pensée ou l’éthique ne valent, ne sont vraiment compris qu’en un tel
décentrement ; sinon c’est de la distraction. Ou, encore, de l’imaginaire de soi. Tout moi-même préfère se réfugier dans l’illimitation de son état-de-fait, son corps, ou de son imaginaire
soi ; qui restent une unification facile et disponible. Il est clair que se vouloir éthiquement, est une contrainte, voir parait une rigidité en comparaison de la plastique psychologique
d’un moi-même donné et imprécisé. Tout moi-même au fond réside en une indescription de soi, une vacuité, ou une ordonnance délimitée par telle situation socialisée uniquement fonctionnelle, et
finalement non-existe.