Pensées confuses à propos de la perfection
La souffrance est ainsi ce qui nous atteint si profondément qu'elle est originellement dans le message christique cela même qui est signifié ; même au plus loin de la douleur, le sujet existe (quel que soit la signification que l'on donne à ce terme et dont on a dit que nous n'en concevons qu'à peine le début du commencement, du grand commencement). C'est encore la souffrance que Descartes de par ce « maître et possesseur de la nature » veut contraindre (puisqu'il s'agit de rendre, aux hommes, la vie viable et vivable, et non d'exploiter la nature, comme on l'entend habituellement). C'est aussi « les plus petits » que Robespierre veut protéger, et à qui il étend « le droit à l'existence ». Ou encore c'est aux plus psychiquement atteints ou difficiles que la psychanalyse porte son attention.
Ou si l’on préfère l’ensemble de tout ce qui est, de tout ce que nous aurons à vivre, en quelque temps que ce soit, est juste le champ de perception du terme absolu, de celui qui perçoit dans et au travers des champs de perceptions que sont les mondes, les vécus et les corps.
Qu'il y ait une visibilité, que le réel se tienne précisément d'une telle visibilité est tellement effarant. Et on pourrait dire que la souffrance est réellement cela qui tient en avant encore plus de perception. Le monde n'est pas mauvais et sombre, c'est juste qu'il tombe, tandis que le reste s'élève. Et ne peut pas ne pas s'élever. Comme disait Sartre nous sommes condamnés à être libres. Nous sommes déjà hors de nous-même, et c'est pour cela que nous sommes, que nous existons. Si nous n'étions pas hors-de nous ne nous percevrions pas, ni rien ne serait.
On fait habituellement semblant d'être, et comme nous perdons, égarés à chaque fois, il est nécessaire de rembourrer le prétendu réel imaginé ; qui peut éventuellement se prendre pour un concept, l'être, par ex, ou un version de dieu ou une fixité qu'il n'est pas « le sujet conscient », ou une identité quelconque, bricolée, le moi ; de le remplir toujours à nouveau par de l'imaginaire, des images, des satisfactions du corps (addictives au pire), de pseudo-récits appropriés à la redondance de l'image, des idéologies partielles qui emploient la réalité, au lieu de la servir.
Or tout cela n'est que visible et explicitement visible, mais qui regarde ?
C'est dans ce repli, dans ce qui nous semble un repli, qu'en vérité nous percevons, et c'est là que nous existons et ce repli est dans le réel le Pli lui-même et tout le reste de dépliement d'une seule et unique absolue positivité qui exprime, s'exprime, se manifeste et non pas pour rien mais afin d'avancer dans son perfectionnement.
La perfection, on l'a dit, est le mouvement, et toujours et encore plus de mouvement, et le mouvement envoie dans les points de réalité, de réalisation, de plus en plus d’information, de perceptions, de capacités, de telle sorte que constamment il revient et re-vient, vient à nouveau, à chacun la possibilité de remodifier ce qui déjà le fut dix mille fois.
Aussi doit-on jouer de toute son attention afin de ne pas manquer les signes qui vous furent envoyer depuis l'origine continuelle du temps, et lequel instant continuellement présent, vous désigne, vous signe et vous encourage ou vous pousse, quoi que vous en pensiez, à agrandir les possibilités.
Ce que l'on jugeait le plus évanescent, le plus pauvre ou le plus indifférent, petite vague, effet momentané, à savoir le Présent, est le plus puissant et le plus gigantesque réel à l’œuvre.
Et c'est lui qui vous engage et vous signifie.
Plusieurs fois, une quantité innombrable de possibilités s’ouvrirent, s'ouvriront, vous prendront ou que vous dédaignerez, ou que vous apercevrez à peine, faute d'attention, faute d'investissement et n'en concevant pas l'enjeu réel, et ces possibilités recommenceront à chaque fois venant du passé et du futur et emplissant le même présent du même je. C'est que vous vous percevez et que vous vous envoyez des signes qui orientent et élaborent votre possibilité même, non pas votre vie seulement mais la possibilité de votre existence.
Le présent est le regard ouvert sur ses propres capacités, que souvent vous ne saisirez que dix ans ou cinquante années plus loin : dans le même déroulement.
Et la liberté se propage et la vérité se partage.
Tout ce qui ne se tient pas de la propagation et du partage, se perd dans le gouffre du temps, celui qui s’effondre par dessous, au lieu de s’élever par le haut, selon le présent. Le présent qui s'élève est en lutte contre le temps qui s'effondre.
C'est que la forme de chaque conscience est égale partout et toujours à toute autre ; il n'en est qu'une seule structure mais à chaque fois individuelle. C'est cette individualité qui constitue le réel même. Le réel est individuellement, ce qui revient à dire qu'il existe individuellement et parce que l'exister lui-même ne peut être qu’individuellement. Il est le royaume du chaque fois, qui est à ce point puissant qu'il s'autorise de démultiplier continuellement tous les chaque fois, chacun unique. La puissance-même du principe consiste à rendre l'unicité indéfiniment réelle. Afin que continuellement la perfection s'ajoute à elle-même.
Or « indéfiniment » ne convient pas puisque précisément si il est perfectionnement continué, c'est afin de créer plus de distinction ; vous serez visité (cent mille fois en une existence) afin que vous parveniez à plus précisément, toujours, distinguer et parfaire non pas seulement ceci ou cela, mais parfaire la possibilité de vous-même, parfaire la Possibilité elle-même,
et que vous puissiez, dès lors, arguer de cet acquis afin d’augmenter encore plus et plus loin votre engagement et la précision de votre attention. Toujours il faudra encore plus avancer.
Il ne s'agit pas de viser une perfection selon le monde, qui serait fabriquée comme chose, objet, œuvre, vécu, corps, ou ce que l'on voudra. Mais de perfectionner le regard, ce qui signifie l'intentionnalité ; c'est bien pour cette raison que le christique initie la possibilité intentionnelle s'appliquant au vécu, au corps, au comportement, de même que la pensée grecque lance l'intentionnalité des idées et la poussée perceptive du monde, ou la révolution celle de l'organisation activiste structurelle du politique.
Que le christique prend l'apparence, très effective, de l'intention morale est une courte vue.
La restriction qui voulut lire cette intention comme seulement « morale » est tout à fait affligeante. Il est clair que jamais auparavant, dans l'antiquité, il n'y eut un tel investissement individualisant ; et donc l'intentionnalité en question loin d'être « morale » consiste à poser la question ; qu'est-ce qui doit entrer et sortir de ma volonté, au sens bien plus considérable que de seule « volonté », puisqu’il s'agit de se prédisposer-à. D'avancer au plus loin dans l’anticipation du possible.
De procéder comme suit ; au lieu de devoir choisir entre tel ceci ou tel cela, de s’interroger sur mon attitude à adopter face à n’importe quel ceci ou cela, qu'est-ce que j'attends de cette vie qui dès lors, depuis lors de son instauration comme individuelle, se transforme en Existence.
Sous-entendu, j'existe mais un jour je serais mort. C'est instantanément la problématique que cela pose : puisque si ma vie devient une problématique (en dehors des catégorisations de telle ou telle société-monde, romain, hébreu, égyptien) alors c'est à partir d'un point-autre, d'un bord à partir duquel des intentionnalisations peuvent proposer des stratégies (ce que cherchaient le stoïcisme et l'épicurisme et quantité d'autres « éthiques » ou spiritualités).
Et donc que faut-il décider durant et par et pour cette Existence ? Auparavant tout était joué, esclave ou libre, homme ou femme, riche ou pauvre, votre vie était décidée et n'était pas du tout une existence. Et depuis elle l'est devenue ; le reste, la suite, tous les systèmes, toutes les idéologies, tous les récits ce sont des leçons tirées de cette évidence unique, univoque et massive.
Il ne suffit pas de ce décider sous la formule du « choix », mais de créer et de créer dans l'inépaisseur du structure ; nous percevons à partir du Bord, du Bord du monde, du vécu et du corps ; comment s'introduire dans l'inépaisseur de ce Bord et ajouter au pli quantité de déplis possibles ? C'est toute notre activité de structure (des esthétiques à la politique, en passant par les systèmes et les idéels, connaissances, aboutissent à nourrir et déplier le pli que chaque arc de conscience ex-siste et ne cessant d'être en mouvement, impérativement déploiera, quoi que l'on fasse ce sera en-avant, parce que le présent est cela même qui ex-siste).
Ce qui apparaît n’apparaît pas au hasard et sans raison ; et le fait est que pour saisir la véritable raison il est évidemment impliqué de se situer au même niveau de réel que ce qui eut lieu. On ne peut pas comprendre Descartes sans situer le degré de son angle de pur et brut réel et cela réclame une description ontologique ; de même la révolution ou dieu ou le christique (qui ont réorienté le monde). L'angle que son trajet imprime à la tangente qui s’échappe du temps qui tombe, par le présent qui s'élève.
Ce que personne n'attendait ; les faits structurels majeurs sont imprévisibles et changent tout, puisqu’ils modifient l'accès à non pas ceci ou cela mais à l'activité de conscience, à l'activité de prendre conscience-de (tout ceci ou cela qui puisse être rencontré ou inventé ou créé) ; ils creusent la réalité par l’adjonction du réel vertical. Et c'est seulement lorsque l'on se perd dans le monde, le vécu ou le corps, que l'on tombe vers le bas et devient incapable de saisir l'ensemble, ce qui individuellement revient à ne plus pouvoir élaborer de stratégie et spécifiquement de stratégie qui puisse se propager et se partager. Et ne plus se propager et se partager lors de l'existence propre de chacun.
Or pour éteindre le corps, le vécu ou le monde (cad l’ensemble des intérêts qui apparemment gouvernent la détermination, et des intérêts qui divisent absurdement les êtres conscients) il n'y a pas d'autre possibilité que de comprendre, dans sa chair, que l'on n'est pas de ce monde... toute intentionnalité s'ajoute et ne retire jamais rien ; c'est la croyance qu'il pourrait perdre quelque part de son réel qui nous pousse au pires extrêmes de désespoir ou de dépression ; en vérité rien n'est jamais perdu ni égaré, sinon dans le semblant, le faire-semblant.
Toute incrustation dans la réalité, comme si on y pouvait y trouver son compte, ou comme si quoi que ce soit d'essentiel nous en était retiré, demeure piégé dans le comme-si, dans le semblant (et il est des discours de « révolte », qui en fait réinstallent le monde, le vécu et le corps ; c'est bien pour cela que le christique n'est pas « révolutionnaire », il avance de bien plus haut qui emportera à la fois l’histoire et le politique et les éthiques et tout le reste), toute incrustation est une perte ; c'est de l’instanciation de haut-vol dont il est question, et de cela seul dont il s'est agi depuis le début.
Plus on prétend se libérer par excès et volontarisme, plus on s'enferme ; la toute grande leçon du christique est extrêmement rigoureuse ; le sujet n'est pas le moi, l’intention d'exister n'est pas de vivre ; une fois l'intention à peu près gagnée, il faut suivre toutes ses conséquences ; si le sujet n'est pas le moi, alors le sujet est hors du monde (ce que l'on signifie par « il est sur le Bord du monde, du vécu et du corps »). C'est que tiennent toutes les philosophies qui comptent ; quoi que l'on puisse penser d'un « au-delà », nous ne percevons (en positionnant un « monde », un « vécu » et un « corps ») que d'un point-autre : la question étant de quoi et comment est-il constitué ? Et c'est dans ce hiatus, totalement inapercevable à partir du monde, du vécu et du corps, que nous travaillons à éclaircir le mystère.
Et c'est ce que chacun accomplit, qu'il le veuille ou non et ça n'emploie pas les voies rectilignes et transparentes du système conscient, puisque l'arc de conscience est bien plus vaste que quelque conscient que ce soit ; c'est pour cela que l'arc est fondé non pas dans le conscient autocentré de chacun (le moi dans ses plus hautes performances seraient-elles objectives), mais arcbouté sur l’historicité, sur le positionnement acté de la structure (le passage du monde, État et droit romain au christianisme par ex, de l’ancien régime à la démocratie française, du roi à la nation, de l’universalisme de base à l'individualisme des années soixante, etc).
Cet arc universel (non pas l'universel dans son ampleur générique, générale mais l'arc individuel qui se déploie universellement en et par chacun) commandite instantanément votre propre position ; il suffit d'un récit, un roman, un film, une œuvre, un statut (citoyen ou chrétien ou philosophe) et vous entrez immédiatement dans le réel de cette Œuvre au sens global (esthétique, poétique, éthique, politique, idéel) en ceci qu'il vous faut adopter le point-autre à partir duquel cette œuvre est créée, et sans lequel point de vue elle vous demeurerait étrangère.
De ce que dans l'angoisse ou la dépression on demeure dans la bizarrerie d’exister et n'atteint plus, n'accède plus à l’étrangeté.
C'est bien parce que l'arc est plus large et plus profond et qu'il met en jeu votre présence même au monde, au vécu et au corps que cela peut absolument (cad formellement) passer par les esthétiques, poétiques, etc ; parce que pour entrer dans les domaines (de perceptions de champs) il est requis d’adopter le point de structure ; c'est l’ensemble qui s'élève, c'est la communauté humaine et l’individualité qui s'élèvent et non pas une simple concentration momentanée (ce que l'on nomme la raison par ex et qui fut seulement une station ; en somme la révolution n'impose pas la raison mais la capacité de jugement de chacun, ce qui est tout à fait différent , l’œuvre n'incline pas à la contemplation mais à l’activité de celui qui perçoit, travaille son attention).
On ne suppose pas, ici, un au-delà ; on dit que toutes les traces sont effectivement manifestes pour qu'il y ait un au-delà, serait-ce un au-delà instantanément positionné comme Bord de toutes les réalités, tous les vécus, tous les corps (ensuite libre à chacun de croire en un surcroît de dimension, de croire que le christique ou dieu ou quelque structure formelle prolonge ce Bord) ; peu importe ici puisque nous tentons de mesurer l'impact que le christique (qui nous est, personnellement et culturellement le plus proche, évidemment) su obtenir dans l'historicité même ; en aucune manière on ne peut entrer dans le fait structurel massif sinon par le christique pur et brut, par l'étrange position cartésienne, par l’incompréhensibilité radicale de la révolution française (qui noue dans l'extrême difficulté des exigences en apparence contradictoires, liberté et égalité), etc.
Ce qui distingue le structurel (qui positionne à chaque fois l’ensemble de toutes les consciences) est son infinité ; puisque l'on touche alors à la racine, on ne parvient jamais à déterminer selon le monde, le vécu ou le corps ce qui naît de et par et pour le Bord.
Et qui re-vient au bord lui-même, aussi bien le Bord du monde, ou du vécu ou du corps ; cette suspension dont hérite évidemment la suspension cartésienne du sujet qui, par là, apparaît ; il apparaît en tant que suspension et même si l'on prête plutôt attention à la preuve par ex, ou à la définition de soi comme « pensée » ce qui ne veut plus dire la même « pensée » que dans la métaphysique, grecque ou scolastique ; et c'est aussi la description de la forme kantienne du dispositif ou l'extension de la logique dialectique de Hegel qui ne s'applique pas d'abord aux concepts mais aux contenus de l'intentionnalité dont l'horizon est le réel, qui englobe alors toutes ses présentations dans le monde et le vécu, qui expose et là-au-devant tous les contenus, nous laissant nus,
il faudra attendre plus tard que le corps prenne toute sa fondation de structure ; le corps n'est pas un contenu ni ne peut passer pour tel, il sera une surface externe, non pas extérieure mais externe de même que le sujet n'est pas une intériorité mais interne à cet externe ; tout est en vérité déplié au-devant, tout est exposé et dans cette exposition il existe un pli antérieur qui se bâtit sur la surface-autre du corps, le corps donc mais projeté dans le champ de perception et revenant vers-lui-même. Accumulant les œuvres afin de se guider, ayant cartographié les possibilités.
Subtilité donc du ressort de l'apparition des réalités dans le champ, unique, du réel, en tant que formel (et donc recevant toutes les réalités, tous les contenus possibles) ; l'arc de conscience ne peut pas se déterminer mais excessivement se signifier et pour ce faire le sujet doit construire le champ adéquat ; on ne peut pas « penser » (ou se savoir chrétien ou citoyen, selon la liberté ou la liberté -égalité, ou être saisi d'une œuvre, d’une éthique, etc) sans le-savoir et ce savoir est un se-savoir ; cette mise en œuvre est en elle-même la dimension requise (et non pas comme une connaissance objective, qui peut laisser le moi intact dans sa structure, mais bien plus qu'objective).