Typologie de notre être
L’être séparé c’est la condition de chacun en tant qu’ayant subi la personnalisation, au sein de l’humanisation, il n’a plus aucune référence à quoi que ce soit en quelque monde que ce soit. L’être séparé est devenu la condition de chacun, parce que le langage et toute la cervelle sont organisés nommément dans la relation et qu’autrefois chaque monde humain se parlait lui-même en communauté et en partage, entremêlant, mais distinguant, chaque étape et chaque chose ; toute réalité intentionnalisée retournait dans le cercle commun de l’expression et le groupe entier renvoyait au monde et à chaque chose.
Dans la réalité séparée, le poids du monde, du donné, du vécu et du corps repose sur chaque moi et tend à l’écraser ; autrement dit son intentionnalisation tourne à vide vers les autres et chacun doit assumer une intentionnalisation manquante, claudiquant, qui rate son effet à chaque fois, mais ré-imagine à neuf, à nouveaux frais à chaque fois, sa correspondance intentionnelle. C’est dans une telle construction que l’on se projette constamment afin de maintenir le cercle d’intentionnalisation (ce que l’on attribue habituellement au langage, et il est vrai que ce cercle est inscrit dans et comme langage, qui existe d’être partagé, mais qui relève plus structurellement de l’activité de conscience).
Dans la réalité séparée, chacun doit assumer le poids du monde, du donné, du vécu et du corps et simuler l’alter ego ; l’autre conscience qui entre en résonnance d’avec la sienne propre. A mon intentionnalisation je fais correspondre, répondre une autre intentionnalisation, par cela seulement la mienne s’entend.
Or une conscience qui intentionnalise le monde, le donné ou le vécu, ne peut pas admettre qu’une telle correspondance soit de son fait, qu’elle soit construite ; cette conscience doit impérativement croire que l’autre conscience, que la correspondance entre son désir et son objet par ex, est spontanément réelle, que l’objet appelle le désir ; que l’autre soit l’attirance même et cela se dénommerait la vérité, qui est identique alors à la réalité.
Or la réalité est bien toute autre par rapport à cette vérité, et bien plus grande.
Le monde particulier de chaque tribu se refermait sur sa complétude ; toute parole énonçait les choses, et toute chose énoncée dans une parole, et chacun transmettait le même trésor du même langage.
Dans le monde séparé le monde est devenu cette réalité, et la réalité plus large que l’énonciation ; et si chaque moi assume le poids du monde du moins est-ce seulement dans la simulation, or chaque moi est le donné là d’une activité de conscience et la conscience presqu’aussi large que le monde, au sens où si le moi et le conscient parlent le monde et le vécu, l’activité de conscience reste dans la disposition du monde, du corps, du vécu, des océans de déterminations ; c’est sa structure même.
Mais la conscience doit être distinguée du conscient ; le conscient est dans la réduction comme dépôt de cet activisme de conscience arc bouté, tendu vers le donné là, la réalité (et structurellement au « là » du donné, au réel de la réalité). Conscience et réalité passe par-dessus le moi et le conscient ; et passe par-dessus ce que simule le moi, sa correspondance avec laquelle il partage le monde, le donné, le vécu, lui permettant de l’assumer, de telle sorte que son intentionnalité entre en résonnance avec au moins quelque chose, et au mieux quelqu’un, une autre intentionnalité, de telle sorte qu’une expression soit aussi entendue et n’est parlée qu’entendue, et au fait n’st exprimée qu’entendue par une autre conscience, et conscience qui est sinon une conscience réellement existante du moins une conscience imaginée, reconstruite, de telle manière qu’au fond on parle à une autre conscience qui n’existe pas, de laquelle on se tient, parce que l’on ne peut pas admettre que l’autre conscience soit une construction, et que nous nous efforçons de croire que nous y sommes entendus, attendus.
De même que l’on ne saurait situer « conscience » dans un moi, est-ce l’objet qui nous regarde ? Ou qui regarde l’objet ? De où cela est-il perçu ?
Toute conscience se présuppose comme Autre ; et ça n’est pas seulement une « aliénation » (version qui croit encore en une « authentique conscience ») mais une structure ; toute conscience est réellement autre pour elle-même ; sauf que si on l’ignore, on croit à cette autre conscience comme étant telle ou telle, tandis que le sachant on sait cette autre conscience comme étrangeté (ou comme dieu ou comme sujet ou comme pensée et universel pur, peu importe puisque dans tous ces cas on en connait pas ce que l’on sait, sauf à tomber dans un dogmatisme, fanatisme, idéologisme, etc ; en somme le dieu réel, la pensée réelle, le sujet réel sont la place vide, la forme pure et simple, le Un non-étant, ce qui est la définition même du Un, celui qui ,est par-dessus l’être, l’exister pur et sans doute brut).
C’est la fonction structurelle qu’assumait dieu, et vint ensuite le christ. Réintégrant l’altérité en chacun (la conscience étant de fait elle-même Autre radicalement mais pour elle-même). Cependant dans la déperdition d’une part et l’assurance d’autre part que le réalisme de la raison, de la naturalité et du moi (incluant l’humanisation) ont apporté à et retiré de notre conscience, l’altérité fut bannie par en-dessous ou plus généralement éloignée au-delà des limites (d’incarcération que définissent raison-nature-moi humain) ; on a voulu admettre ce monde, ce donné et ce vécu comme allant naturellement de soi, en écartant qu’il puisse recéler une effroyable altérité interne et externe, (l’altérité est de fait et structurellement autre… cad effroyable).
Dans la vie aménagée des mois, l’altérité est réduite et restreinte dans et par ces autres consciences, réelles ou imaginées ; les consciences réelles sont effectivement là, mais tout à fait insupportables ; on ne peut pas supporter, enregistrer, prévoir, comprendre, saisir l’autre conscience, c’est uen impossibilité torturante. Et l’autre conscience imaginée bien loin de nous apaiser renverse notre propre intentionnalité, double horrible et malsain parfois mais surtout essentiellement autre de sa structure même et ainsi totalement terrifiant, de ce qu’il décentre la conscience que l’on est… Et lors même que nous nous vivons bien calmement dans l’aménagement du vécu et du monde humain pacifié, c’est uen tout autre horreur ou étrangeté ou bizarrerie ou un délire profondément structurel qui prend place en cette autre conscience supposée qui reste l’envers de cet idéal (raison, naturalité, moi, normalité, désir dans son objet, etc), la face noire d’un idéal dont on a voulu qu’il soit réalisable dans le monde, mais sans voir comme cet idéal et sa réalisation (le monde humain raisonnable avec des mois naturellement eux-mêmes au-dedans) supposait toute une architecture intentionnelle et produisait ses propres doublures intentionnelles.
Et comme un moi ne se définit nullement par sa conscience (qui lui parait seulement une fonction) mais comme un contenu, tout ce qui relève de l’activité de conscience glisse hors de son champs (qui se focalise sur tel ou tel contenu explicite).
Le moi et le conscient occupent donc un cercle restreint dans l’élargissement de conscience et encore plus isolé dans l’océan de la réalité, et chaque conscience étant seule et sans rien (sans plus le groupe et la parole qui entouraient les choses et le monde) perçoit par-dessus le langage et le conscient et son moi, par-dessus les contenus en ceci que le langage est utilisé comme plaque tournante, mais de même ça n’est pas seulement le langage mais tout appariement ; les choses ou les objets de désir, les signes ou les autres consciences, le corps ou les vécus ; non que la conscience structurelle connaissent tout cela, mais bien qu’elle active les horizons au fur et à mesure et suscite sa présupposition d’altérité.
Ça n’est pas parce qu’elle connait tout cela, mais bien parce qu’elle en ignore tout qu’elle les recompose hors d’eux-mêmes, hors de ces dépôts dans le monde, le donné et le vécu.
L’instanciation de la conscience structurelle est absolument fragile et sans rien, mais pour cette raison même elle surnage et revient, constamment. Ce que l’on nomme « conscience » n’est pas du tout et en rein le conscient ou un super conscient mais radicalement l’inverse ; un rien structurel, cad une forme, qui s’ajoute à chaque fois au reste, à tout le reste et suscite le point d’altérité le plus autre qui soit ; d’exister comme forme sans rien, qui ne peut ni composer avec telle ou telle réalité ou contenu (et donc tous les contenus ou les réalités peuvent défiler) ni se composer et donc déterminer la forme qu’elle est.
De ce vide tournoyant, le moi ne sort pas indemne … Il dérouille, pour ainsi dire. Il se stabilise bien ici ou là, mais l’océan est d’une puissance incontrôlable ; si le moi se conquiert d’un conscient (tout emmêlé d’inconsciences et de cervelle et de langage et des autres et du vécu et du corps, etc, le moi est une synthèse bricolée), il se focalise sur un contenu et délaisse qu’il soit une conscience formelle sans rien, non pas une conscience « universelle » (on ne sait pas du tout ce que cela signifie), mais un point de conscience unique et un formellement ; de sorte que ce point puisque le moi ne le situe pas (il ne le peut pas et lorsque l’on nomme le « sujet » on entend par là qu’il est « impossible », mais n’en existe pas moins ; en ceci que le sujet est la conscience qui accepte de ne plus saisir, mais d’être saisie de, par, pour le un non-étant), puisque le moi ne situe pas sa conscience (comme structure ; il croit qu’elle se nomme un-tel), la conscience le perçoit … et l’instrumente étrangement, voir bizarrement ; comme « conscience » crée instantanément l’Altérité (et l’altérité la plus Autre qui soit ; l’altérité purement vide et sans rien), tout moi (qui est comme un repli dans la « conscience ») est pris dans les mouvements souvent pacifiés mais toujours (par en dessous, par le côté, par le bout ou d’ailleurs surgis) insituables de « conscience ».
Nous n’existons pas sur deux plans (moi-conscient-donné et d’autre part sujet, conscience, réel) mais à la fois dans le monde et sur le bord du monde, et c’est de là que « ça perçoit », de là qu’il est regardé par-dessus l’épaule.
Il est alors possible de se demander ; que se passe-t-il si mon exister de conscience prend le pas sur mon être de personnalisation ?
Ce qui est arrivé à Descartes. Et aux autres depuis Descartes (et spécifiquement aux grand sujets qui se sont épuisés et détériorés à vouloir saisir le sujet, l’origine structurelle de leur conscience-mécanisme, étant depuis Descartes au plus proche de la Source formelle). Et ce qui est toujours arrivé à ceux qui tentaient le sujet, qu’ils soient hindouistes ou bouddhistes ou chrétiens ou grecs. Ils se défaussent, ils glissent, ils se perturbent, ils délirent du délire non pas « fou » mais structurel ; ils éprouvent la structure même.