Différence entre la réflexion et la réflexivité
Tour de force de la raison réaliste que de nous faire passer pour ce que nous ne sommes pas ; en tant qu’existers nous ne nous réduisons pas à l’énoncé strict, tout énoncé strict est seulement ce qu’il est à savoir un langage et un langage on s’en sert, on s’en sert à montrer le monde, les choses, les objets, les âtres, les autres, les corps, les gestes, et toutes les mémoires, et toutes les perceptions ; le langage est un relais et n’a d’utilité que pour une structure qui montre. On n’a jamais rien fait d’autre que de montrer le monde, et pour une bonne raison ; il n’y a rien d’autre que le monde (ou rien que des mois). Sauf le bord du monde, le bord du vécu. Puisque précisément c’est de « là » que l’on montre (sinon on ne montrerait rien du tout, on serait).
Le hic est celui-ci ; depuis que le Un a investi sur et dans le donné là, le monde, la réalité n’est pas figée ; la réalité contient ou engendre ou provoque ou pousse à créer quantité de distinctions ; autrement dit proposant qu’il n’y a rien que le monde et le vécu, on suppose ou implique que c’est un dés-ordre entièrement rompu continuellement et empli de Uns. La capacité du Un à susciter un nombre très assuré de Uns est incommensurable (c’est en cela que le Un, étant formel, joue de tous les contenus et crée ceux qui ne sont pas, pas encore).
La malfaçon de la raison réaliste part de son principe qui la trompe elle-même immédiatement ; elle croit encore que la connaissance est le savoir, ou si l’on veut qu’il n’existe pas de savoir mais seulement des connaissances (le donné explique le donné) ; et condamne les expérimentations métaphysiques, ontologiques et existentielles (soit donc les grecs, les chrétiens et les réflexifs jusqu’aux ontologies de l’altérité, Heidegger, etc) comme exagérations subjectivistes. Ne percevant pas même que la lucidité et l’ampleur de ces « illusions » sont radicalement à la racine de sa propre position (de sujet cartésien mais rendu abstrait et évidé, de sujet renié, de sujet annulé, ignoré ; la raison réaliste est toujours contre quelque Un, au choix).
La voici, la raison, enfermée à ne plus rien saisir sinon le nez dans la détermination (et réduisant tout à la détermination, incapable d’envisager une structure plus vaste, de réflexivité précisément, et sans se demander ce qui peut bien se positionner et sur quel bord qui puisse représenter ainsi de l’extérieur la détermination ; de toute évidence c’est un réel non déterminé… autrement dit une forme).
De sorte que d’une part la raison tombe nez à nez avec une réalité dépassant totalement son humanisme (l’univers est littéralement délirant), et d’autre part suant, de toutes les cordes tendues de son registre, de martyriser la réalité dans ses effets eux-mêmes ; puisque, c’est déjà vu, l’objectivisme est lui-même pris dans l’objectalité ; une science est toujours tirée d’un moi et le moi n’étant pas un sujet, est empli, débordé, absorbé par sa folie, sa toute puissance, par la cervelle irréelle qui se tient juste derrière tout conscient.
Précisons. Le moi est tenu aux alentours du conscient (qui est en somme l’énonciation que l’on donne aux autres, une information claire dont le moi voudrait qu’elle soit « lui », ou qu’elle soit l’autre). Mais toute énonciation qui croit en elle-même est dans la croyance même, cad dans la cervelle ; elle croit ce qu’elle voit ; le moi est une synthèse, un bricolage hâtif.
Le sujet ça n’est pas du tout cela. Le sujet est une structure en plus ; il est ce qui articule la cervelle au réel ; il n’existe aucune conscience dans une cervelle ; une conscience est l’arc qui sort de la cervelle vers le réel, et autant la cervelle ignore, méconnait le réel, autant une conscience est ce qui en revient (du réel).
Une conscience est en 3D, le conscient est en 2D. Ce qui veut dire que tout énoncé, plat, tombe dans la cervelle et se ratiboise, s’écrase et s’irréalise et que pour le maintenir vivant il faut le réanimer, le ressusciter, relancer un nouvel arc de conscience vers le réel et cet arc est la performance du Un, de la forme toujours parfaitement identique à elle-même qu’est l’arc de conscience surgissant nu et sans rien de la cervelle. On a toujours la Même conscience (les contenus peuvent varier autant qu’ils veulent). Parce qu’elle est vide et sans rien, cad formelle. De même il n’est qu’une seule manière d’être « conscience », excepté que cela s’effectue une par une (forcément) et que cette séparation est radicale (rien ne la comble).
Lorsque Descartes formule le sujet (il le découvre et le crée en même temps, puisque le sujet est un rapport et que ce rapport en se-sachant se crée, à vide, formel), il ne suppose pas un moi.
Lorsque Lacan pense l’individualité il suppose le sujet comme si il était et n’était qu’un moi. Et il a raison ; il n’est que des mois, sauf qu’il existe un sujet (le sujet n’est pas de l’ordre de l’être, mais de l’exister ; autrement dit Lacan a raison quant aux mois, Sartre a raison quant au sujet… Lacan est la cathédrale en négatif du positif strict, exigeant (son éthique radicale et sans rémission), froid, presque squelettique que fut Sartre).
L’abandon de l’arc de conscience en 3D coïncide avec l’abandon de l’universel, qui stationne, sur le bord de l’histoire, révolution gelée, paralysée, qui a cru un temps se renouveler comme révolution universaliste, qui a parié sur la réflexion et non pas sur la réflexivité et fut dépassée par le libéralisme qui a continué d’exploiter (au deux sens) la réflexivité, mais une réflexivité abstraite, sans sujet, plein de mois.
Abandonnant les mois à la répétition. La répétition est le recyclage continuel, appuyé, et finalement extrêmement lourd et poisseux (célinien et sartrien) de l’idéal qui croit être la réalité ; qui n’offre plus aucune sortie à la conscience en l’incrustant dans le monde, le donné, son vécu ; mais qui va fabuleusement se renouveler pourtant par l’investissement surréel du corps, de la sexuation, finalement du Bonheur, ou de l’imaginaire, de la communication, et par-delà la représentation chacun est appelé à aider au renouvellement intérieur mais qui glisse pourtant dans le renouvellement interne parce que l’on ne peut pas échapper au processus lancé il y a 2500 ans ; la structure 3D est impérative, constitutive.
Et la formule la plus claire qui nous assaille est celle du jugement dernier ; puisque l’on est en mesure de se percevoir dans le miroir ; le jugement que l’on s’oppose à soi-même juge l’humain ; la structure de conscience perçoit instantanément l’obscure clarté du spectacle, selon que cela veut continuer d’exister ou non, et si ça ne veut plus exister, ça continuera, plus ou moins, d’être, de s’entasser, mais rien de plus, plus de dépassement. La ligne de mort emplira tout l’horizon ;
(Rappelons que la ligne de mort est le sens même du monde, il n’ne a aucun autre et tout de suite on va à la guerre et à l’exploitation, d’enfermer chacun et tous dans la nécessité sans liberté ; si on ne remplace pas la ligne de mort par un horizon, on n’a d’échanges que ceux de la tuerie ou de l’exploitation, de réduire l’autre à son moi, son corps, et non plus de l’élever comme sujet).
Descartes revient à ceci ; qu’il implante dans le monde (l’étendue) un point Autre (qu’il reporte à partir du dieu Un bizarre qu’il trafique dans sa vision ultra, ce qui veut dire sa vision méta, sur-réflexive, qui a cessé de se tenir du discours métaphysique, non pour le renier mais pour dénicher l’origine de la pensée elle-même, l’antériorité ontologique à toute métaphysique, ce que poursuivra Kant et Hegel, Husserl, etc).
Ce qui revient à dire qu’il transforme notre être en cet-être ; une bizarrerie étincelante et radicale. Commence donc la description de cet-être ; autrement dit le martyr ; parce que pour se-savoir il faut se retourner comme un gant, ce qui est impossible et que l’on usera de tous les tours et détours, en épuisant le moi, le corps, l’humain, jusqu’à l’inhumain et le surhumain, l’absurde et l’existentiel.
Jusqu’au comble de la séparation que la réflexivité provoque dans sa décision, son projet fou de ramener ici-même de l’absolu (qui est-au-delà) vers le Un (qui est ici même) ; la raison croit que cela aboutira à un aplanissement, une facilité, un étalement de la réalité, mais c’est le Un que l’on amène dans le monde ; et il se hérissera de toutes les pointes qu’incruste le Un dans le réalité, en la soulevant par le réel ; le monde débordé par l’être acéré (dont l’idée sert à diviser) ; le donné ponctué partout de ruptures et l’historicité intensément rompue par les retours impitoyables du Un.
La réflexivité n’est pas du tout la réflexion qui pacifierait, dans son idéal, le donné (en l’expliquant par lui-même ou en désirant des objets), elle ne peut pas « être » parce qu’elle ex-siste, hors d’elle-même, et poursuit avec acharnement la réflexion prise dans plus grand qu’elle-même. Ce que l’on prend pour une facilitation métaphysique ou christique ou réflexive cartésienne, est en vérité l’introduction de la distinctivité de tout ce qui est, extensionnellement divisé, grec, intensément et dimensionnellement séparé, chrétien, et dimensionnellement retourné, cartésien ; jusqu’au bord du donné là, dans son « là » heideggérien ou dans son hyper intentionnalisation nietzschéenne, ou son tranchant sartrien, nu et strict, ou sa densité lacanienne, qui soulève le moi, qui va chercher le moi là où il est ; ce-corps.
La réflexivité est donc que soudainement autour de la méditerranée, « ça » s’est retourné, sur (soi), sans connaitre son être effectif, et nous fumes propulsés sur le Bord du monde, dressant verticalement le dit Bord et élaborant sans cesse ce retour, perché sur le Bord.
Ça s’est retourné et ça a inversé qu’au lieu que l’absolu soit là-haut (ce que chacun peut tenir comme il veut), ça travaille ici même de sorte que c’est l’altérité a empli le monde.