Le contre-esprit
Si il est vrai que le philosophique débute comme connaissance, il ne peut poursuivre comme objectivité ; la pensée ne peut pas se déduire d’elle-même. Il n’existe donc pas un lieu qui serait un non-lieu ; sauf de s’adopter comme point de vue. Il peut exister un point de vue (sur le même monde) qui ne soit pas de ce monde ; étant donné que ce point de vue ne contient rien ; il est uniquement sa propre forme, sans contenus.
Que l’on ait pu croire qu’il s’agissait d’un contenu effectivement actif, un point de vue doté d’un fond, d’un fondement, a propulsé son être. Comme tel cela permit de regrouper avec constance et totalement tout le matériel, tous les contenus disponibles inclus dans le langage et à disposition d’un point de vue en général ; cad de tous les éléments immédiatement connaissables comme tels pour un esprit dans un monde.
Cette figure de soi, cette ontologie métaphysique du discours ou du sujet-par-un-discours, laissait cependant par en dessous libre possibilité à la forme-même du sujet, vide, neutre, indifférent, de se décrire ; par-dessous le texte métaphysique, ou en transparence du texte cartésien, la pure formalité de notre être s’impose au fur et à mesure.
Or il n’est cependant pas question de renoncer au discours, à sa cohérence grecque ou classique, de même que l’on ne peut pas séparer le sujet de son identité substantielle, cartésienne ou transcendantale kantienne ; ces attitudes sont contenues dans la position du sujet vide, font partie du dispositif unique, conforment le point de vue-autre que le monde.
Le sujet se distingue précisément de ce qu’il absorbe, retient, contient, ses élans comme ses projets et les intègre en tant que structures ontologiques existentielles. Ce qui passe non pas seulement par le contenu des textes, auquel cas il serait nécessaire de connaitre les textes pour être cette structure, mais par la formulation que montrent les textes. Laquelle formulation peut bien s’exister tout autant par toutes sortes d’expression ; esthétiques ou légales et constitutionnelles ou littéraires ou psychologiques.
C’est donc la forme première de la présence au monde que la philosophie tire vers l’expression ;
Même si l’on se conçoit encore selon une processualité de contenus, la vérité est que l’on n’existe que comme forme vide. Non pas en tant que contenus, ou identités, mais en tant que reliant les contenus et ce d’une certaine manière. D’une certaine logique et sur une certaine surface.
La vérité est que l’on se rappelle encore à quel degré nous étions impliqués dans la Parole ; dans le langage entant que partagé entre tous les individus d’un groupe et en lequel se groupe existait ; le groupe validait la vérité de la transmission, et la transmission conservait d’abord et avant tout l’expérience immédiate du groupe quant à la réalité, quant au monde tel que vécu et transmis.
Le grand discours qui prétend distribuer la Parole hérite constamment de cette ampleur dont le thaumaturge, le devin, le sage, le chaman coagulaient le monde sacré dans le profane, et vice versa, et s’employaient à résoudre l’événement dans la régularité de la parole, et donc de la transmission.
La pensée, l’esprit hérite de ce devoir ; recomposer ce que le monde, le vécu, le donné décomposent. De même l’art appartient en partie à cette récupération. Sauf dans le même temps, lorsque l’intention qui mène l’esprit ou l’esthétique est cohérente et exigeante et ne se contente pas de répéter la parole des maitres, le plus souvent en l’écrabouillant bien épaisse, alors l’esprit, l’intention luttant contre sa pente savonneuse, remonte le cours de sa propre logique ; esprit et pensée doubles.