Philosophie, entendement et volonté
Il n’y aurait pas de vérité ; la vérité serait hors de notre acquisition. La difficulté étant, dans cette histoire, que l’on ne sait pas très bien ce que par « vérité » il faut comprendre.
D’une manière générale, on a voulu tenir pour seul repère « ce que l’on dit », de telle sorte que l’on puisse se fier à cette parole et qu’en s’y référant, on puisse en toute compréhension s’orienter ou transformer les choses, le vécu ou le monde, de manière certaine, assurée. Ce qui est énoncé, est entièrement transparent et nous permet de bien saisir ce que l’on fait, les conséquences de ces actes, mais aussi de bien discerner les tenants et aboutissants de toute décision, et donc généralement de formuler une intention tout à fait correctement.
Autrement dit, il n’y aurait pas de finalité ; puisque tout serait a priori décelable, décelé, sorti de la réalité et décrypté. Les finalités seraient déjà connues et déjà appliquées. Ce qui peut sembler un idéal. Il suffirait de se réjouir en somme. On consommerait la vérité et la réalité de la même déglutition. Les oppositions et les antagonistes et les obstacles se réduiraient à mesure ; ils existeraient à peine.
Tant que cela demeure un idéal, ça fonctionne. Mais si cela se réalise effectivement, on ne voit pas bien ce qui en ressortirait, quel sorte de monde.
Est-ce que l’on serait heureux ? Peut-être à considérer que notre être désire la contemplation ou cette action régulée, déjà, qui confine à son propre déroulement.
Il n’est pas certain du tout que notre être désire la paix. Du reste qu’il se serve de l’idéal de vérité atteinte afin de conquérir devrait nous mettre la puce à l’oreille. Il serait alors « volonté » ; en quoi Nietzsche n’est pas délirant.
On aurait ainsi le choix, très cartésiennement, au fond, entre une vérité qui régule la volonté et la volonté pure qui joue de la vérité (n’importe laquelle).
Il se peut aussi que la volonté soit l’objet du savoir ; que la savoir soit l’enroulement de la volonté telle qu’elle non pas se veut elle-même, mais telle qu’elle produit, crée, invente, devient.
En fait il parait quand même déraisonnable de séparer volonté et vérité ; la volonté de toute manière pour même se vouloir elle-même (par jeu, jeu métaphysique ou super esthétique, etc), devrait pour juger de son avance ou de son retard, d’une grille d’interprétation et on ne voit pas comment de tels critères puissent s’élaborer en dehors de tout principe (le beau ou le magnifiquement expressif ou la réussite ou le pouvoir forment eux-mêmes des gilles discutables).
Mais par contre il est indéniable que la volonté ne peut pas seulement dans le savoir ou la « vérité » atteinte se satisfaire et encore moins se résoudre ; la volonté dépasse de toute manière n’importe quel entendement.
Serai-ce sagesse que de s’astreindre à limiter la volonté par l’entendement ? Peut-être mais à condition que l’on retrouve dans la vérité toute ou suffisamment de la réalité, ou alors accepter au nom de la vérité atteinte, close, de manquer tout le reste. Y a-t-il un reste ?
C’est donc là qu’est le problème ; la volonté voit bien, peut-être à tors, que du reste, il y a.
On peut admettre qu’elle s’illusionne ; ce serait un trouble majeur que de se perdre dans des désirs , des intentions, des décisions qui seraient illusoires, inventées, puisque ce qui est réel, c’est ce qui entre dans la vérité. Qu’il suffirait d’étendre la vérité pour qu’elle recouvre les réalités (illusoires sinon) et rejoigne la volonté (dans ses intuitions fulgurantes, peut-être vraies, peut-être fausses, le savoir, retenu, seul nous l’intégrerait).
Le fait est que les volontés ne parviennent pas, mais pas dut tout à admettre la vérité, close, comme seule réalité suffisante à leur être.
Or cependant, il faut aussi et avant tout reconnaitre que la majorité des volontés ont intégré la vérité, le savoir, l’universel, l’objectivité, le droit ou la culture, comme partie intégrante de leur existence. Il n’est pas très acceptable de considérer l’universel ou le droit comme des détériorations de l’ampleur de la volonté ; elle est fondée en l’universel, en la morale ou voir l’éthique, par la culture et en conséquence par la propagation et le partage.
La volonté qui se veut seule indépendamment de tout le reste est une absurdité. Elle prend sa forme, parfaitement une, pour tout ce qu’elle peut. Ce qui est tout à fait spontané et naturel et en un sens logique, mais sans effet.
Or on sait depuis Sartre que la volonté sans effet, la liberté sans monde n’existe pas même, ne parvient pas à exister ; le libre n’est que de dépasser un donné. Et Sartre ajoute ; elle n’est que dans le dépassement (elle n’a pas de réserve « intérieure », mais elle préserve par contre la pure unité formelle en tant que telle ; sinon on ne voit pas bien de où elle sortirait ses ambitions).
Cela ne comporte pas que la volonté, adhérente, se satisfasse de l’universle tel que déjà réalisé, mais plutôt qu’elle souhaite étendre l’universel, alors même qu’elle n’y voit goutte et ne perçoit pas du tout comment et par où l’universel puisse s’agrandir, ni même peut-être désespère de garantir le peu d’universel qui soit historiquement réalisé. L’universel étant constamment envahi par les volontés noyées d’immédiatetés, finalisées dans un quelconque monde humain particulier, mais aussi absorbé par des connaissances qui étouffent, objectivement ou religieusement ou moralement, l’universel lui-même.
C’est qu’il est deux versions de l’universel ; celle dans laquelle la volonté se reconnait et celle par laquelle elle se soumet. Et c’est d’autant plus dangereux et parfois indiscernable en ce que puisque c’est l’universel qui lui intime l’ordre, de se soumettre, elle n’y peut pas grand-chose opposer.
En ceci on voit donc qu’elle sera obligée de s’attacher à l’universel et le remodeler… de l’intérieur ; autrement dit, on ne peut pas faire l’impasse d’une intellection, d’une compréhension de l’universel et le reprendre de là où il est, (légitime en soi, illégitime pour une volonté bien née).
Par ailleurs, si la volonté excède l’entendement, la connaissance, la volonté philosophique ou esthétique ou politique ou éthique en eurent immédiatement la conscience. De révolte en recommencements. Lors même que pas un seul ne veuille réellement annuler la vérité, et alors même que dans la négation de la vérité et de l’universel, plus d’un s’égarèrent.
Du nietzschéisme au marxiste et toute idéologie qui nie le démocratique, ou toute attitude non seulement excessive, et il existe de nombreux avatars de la volonté qui peut se couler dans n’importe quel mouvement, désir, mystique, illusoire, mais aussi dans toute vérité partielle ; cad de ces vérités qui ignorent l’ampleur de la volonté et se satisfont de telle théorie, telle connaissance particulière, quand bien même seraient-elles universelles au sens d’objectives, ou de légales ou de morales ou culturellement élevées. En réalité il n’est que la philosophie qui non-identifie « ce que c’est que l’être » ; toute proposition philosophique qui semble si affirmative voir dogmatique, à tout le moins « énonce », et toute énonciation peut être remise en question de ce que simplement elle se justifie et peut donc être contredite, faisant appel à en tout point de vue, au moins conséquent.
Une philosophie qui s’imposerait dans la réalité, dans le vécu, cesserait d’exister en esprit … Et tout serait annulé de ce fait. Si la philosophie s’est imposée, (elle notablement, elle le fit), c’est de convaincre et du dedans de chaque volonté.
Aussi est-il aberrant de nier à l’universel son efficience ; c’est essentiellement ne pas s’apercevoir que toute autre option que la volonté ( que l’on engage contre l’entendement, vitalisme ou socio économisme, etc) est un simulacre de celle-ci, un avatar, une fixité. Et surtout ne pas comprendre ou ne pas admettre que l’entendement, le savoir, l’universel ne sont pas à se représenter comme « corpus clos et totalité inerte », (pas plus que l’universel n’est l’objectivité scientifique) mais sous l’égide du Un. L’universel se représentent comme réflexion de la volonté sur elle-même ; comme courbure. L’universel est, non pas le concept, mais le statut de la volonté quant à sa technique d’être.