Le rétrécissement du réel
Et puis la fin du monde.
A force de nier qu’il y ait un sujet, on a écrasé l’universel.
C’est que la réflexivité et ses trois composantes ne peuvent que difficilement être supportées, portés par la sorte d’humanisation limitée que nous avons instruit. Lorsque la pensée est réduite à la raison, le sujet au moi, le donné là réel à l’objectivisme et à l’objectalité (que ce soit celle du moi lui-même ou celle du libéralisme naturaliste), c’est l’ancienne ambition universelle, puis celle du sujet réel et la réflexivité incorporée qui s’effondrent.
L’ancienne ambition prévoyait une articulation gigantesque qui puisse être mise en œuvre pluriellement, mais qui réclamerait une méta-intentionnalité, laquelle devait commencer de se passer des contenus pour élaborer une architecture intentionnelle par dessus tous les contenus et les comprenant.
Mais l’attitude naturelle, spontanée de l’intentionnalité est de se préserver, de se cloitrer, de se rendre limitée par et pour des contenus ; aussi a-t-on défini l’humain comme nature humaine, le moi comme ce corps destiné, le sujet comme subjectivité.(cad sa réduction à l'objectalité et encore est-elle "idéalement").
Inversant intégralement la compréhension. Méconnaissant les textes et les machineries intentionnalisatrices en réduisant leur contenu à une disposition donnée là ; on peut en cela reprendre la compréhension heideggérienne de la problématique, mais tout reste à préciser, et notamment de n’avoir pas saisi que cette mécompréhension est tout à fait récente, par exemple que l’inversion de la compréhension de la pensée comme raison nous la devons à Kant et ce bien malgré lui, puisqu’il pensait surétablir ( méta établir) par-dessus la raison (l'entendement) un autre règne qui lui garantissait l’accès à la pensée rendue structurellement, cad en l’occurrence transcendentalement.
Le rétrécissement de vue permit fondamentalement d’abandonner l’universel, de le transformer en moyen pour des finalités basses et immédiates, dont les fondations n’étaient plus reconnues que dans la nature humaine, dans le corps du moi, dans l’objectivité et la transformation de toute réalité en objets pour des sujets niés, absentés, ignorés, puisque maintenir qu’il y ait des sujets réels eut impliqué la continuation de l’universelle pensée réelle.
Lorsque l’on a cessé de considérer la pensée grecque, le dieu des chrétiens et affiliés, le sujet cartésien, comme les sommets, non acquis encore, de notre être, nous nous sommes rabattus sur des interprétations petites, ridicules, caricaturales, limitées d’une cervelle étriquée. Il semblait tout à fait naturel, évidemment, d’interpréter les sommets en fonction de données là immédiates, plutôt que d’élaborer la compréhension de la structure, de l’architecture, de la volonté et de la puissance que la pensée, le dieu de réflexivité, le sujet réflexif imposaient de toute la hauteur de leur découpe, de la découpe de leur lame divisant radicalement, à la racine, la réalité d’une part et d’autre part le réel.
Pour se maintenir à niveau il eut fallu être en mesure de reprendre la tenue réflexive et non pas de s’abaisser jusqu’à n’admettre de réel que les réalités ; croire que l’on tenait solidement « ce qui est » en se contentant des morceaux de bouts de réel que l’on nomme les réalités, que ce soit celles du moi ou celle des sciences, de l’étatisme abandonnant la démocratie, était une idiotie, ce qui veut dire une facilité. Tout ça s’est effondré dans la facilité, lâchant la proie pour l’ombre et depuis nous errons dans les labyrinthes noirs d’une stupidité sans borne, cad mortelle (effectivement), en plus d’être mortifère (mentalement). Ça n’est pas le capitalisme seulement qui s’emploie à notre mort, c’est toute compréhension bâtarde qui ne se tient pas au niveau de ce que l’architecture, la structure de conscience visualisait jusqu’alors sous le triple de la pensée, du dieu chrétien de réflexivité, du sujet réflexif tel quel et qui s’est dénivelé jusqu’aux déterminations les plus pâles et pauvres qui soient.
Qu’en plus de l’objectalité amoindrie des mois et des sciences humaines, et des objectivismes pétrifiés des sciences limitées à elles seules, mais employées de toute manière techno-étatiquement ou techno-économiquement (ce qui veut dire pliées sous le joug d’une infra finalisation, indigne des sciences elles-mêmes), qu’en plus donc on y aille du retour des anciennetés religieuses, des racismes, des délires divers et variés, de la dégénérescence pharmacologique ou des psychotropes stupéfiés et éberlués, ou des morbidités psychiques des mois ou de finalement, finalement qu’on s’empresse de la guerre de tous contre tous, la destruction de tous envers tous les autres, n’est que la même suite logique qui clôturera l’abaissement catastrophique du niveau réflexif, qui ne sut pas tenir la hauteur initiée.
N’ayant pas su reprendre l’articulation réflexive initiée, c’est l’ensemble, la totalité de la réalisation qui tombe.
Autrement dit la pensée grecque, le dieu chrétien et affiliés, monothéiste et universel et essentiellement Un, le sujet réflexif pur cartésien, marquent les étapes à partir desquelles ça commence de tomber. Parce que l’on ne parvient pas à poursuivre la montée réflexive et que celle-ci ne trouve plus le souffle qui lui puisse ouvrir ses dimensions suivantes ; non pas que la raison, remplaçant la pensée, la nature humaine remplaçant l’universel, le moi remplaçant le sujet, soient des cauchemars ambulants mais ils le devinrent … la raison, la nature humaine et le moi, la personnalisation, étaient requis, mais maitrisés par leur compréhension structurelle ; ce que Descartes, Kant ou Hegel, Husserl ou Heidegger ou Sartre tentaient de maintenir la tête hors de la marée naturaliste et immédiate, aux infra finalités.
Ce que, ce mouvement ascendant, les grecs ou les hyper théologies de la dernière conscience possible indéfiniment réelles (dieu), ou Descartes et son sujet invisible et générateur, engendrant, imposaient et qui permettaient de structurer intégralement la vision de toutes choses, puisque les grecs, les grandes réflexivités du Un, le un du sujet partaient par principe de l’unité centrale incommensurable, qu’il était impossible de les remplacer par quoi que ce soit ; les positions fondamentales susnommées réinterprétées selon le monde, le donné, le moi, la raison seule, perdaient toute leur ampleur. En réalité ces réinterprétations n’ont pas assuré ; elles consistèrent à retomber dans les mêmes ou de nouvelles ornières ou contribuèrent au retour du pire, au nazisme, au marasme des plus abominables désordres et à la sauvagerie (cad à cette horreur dont la nature réelle a horreur, qui ne tombe jamais aussi bas), et puis ensuite à la flagornerie la plus plate, à la facilité odieuse, d'un petit monde étriqué, doté d'une naissance incompréhensible et d’une mort terrifiante (coincé évidemment à l'intérieur des limites du christ et incapable de se débarrasser du scotch, dirait le Cpt Haddock).
Réinterprétant le devenir jusqu’alors réel, par les réalités n’était pas idiot, sauf que les réalités ne suffisent pas à penser la structure, l’architecture et le un. Toute interprétation selon les réalités aboutira à réinjecter la pauvre finalité sans atteindre l’ampleur initiale. On pourra déchainer ses efforts, il n’est aucun moyen de rejoindre la structure et le un via le seul monde, le moi, ou le donné immédiat, puisque précisément l’archi des grecs, l’hyper des chrétiens et affiliés, le sujet réflexif se dégagent de cesser d’y être, dans le monde, et s’engagent justement de le surplomber par un détour radical, une transversalité autrement élaborée et si cela ne correspond pas à ce que par « réalité » le moi, la raison ou la nature humaine entendent, c’est que ces trois là se trompent, se sont engagés dans un corridor étroit, dans une technologie mentale insuffisante pour commencer à peine de maitriser l’ampleur structurelle.
Et l’important est ici ; ce ne sont pas la raison, le moi, la nature humaine qui infectent l’articulation en la réduisant, c’est le regard qui use de la raison, du moi et de la nature humaine parce qu’il en use sans ajouter au moi, à la nature humaine et à la raison d’arc boutant structurel ; il ne redresse pas la représentation ou l’organisation humaine ou le corps vers l’originel, croyant que tout s’arrête au corps donné (et non incorporé), à la nature humaine (sans l’universel), à la raison (sans la pensée, sans la réflexivité). Le problème n’est pas la manipulation de la détermination et la focalisation de l’attention sur la détermination (définir l’homme comme nature humaine) mais que cette attention soit exclusive et ne voit pas, finalement, plus loin que le bout de son nez. Ne nommant plus le structurel, il devient impossible de le saisir (et on sait que s'en saisir, c'est en fait en être saisi, transporté), sinon de sublimer tel ou tel totem, très ancestral, de tomber dans le magique et l'irréel (ce que n'étaient pas les transcendantaux, les transcendantaux s’utilisaient structurellement et portaient effets suffisants, dans le méta, de l'archi, de l'hyper et du réflexif, c'est une incompréhension tétanisante que de comprendre les transcendantaux comme illusions ou irréels).
Sa courte vue renvoie à l’horizon même de l’intentionnalisation : à l’absence fondamentale d’horizon ; on vit pour vivre, et rien de plus. Il n’est aucune, littéralement, aucune finalité assignée en l’horizon ; on est « là », bêtement « là », à vivoter et à s’angoisser de mourir, rien de plus ; pourquoi n’existe-t-il pas de finalité externe à cette nature humaine ? Pourquoi ne se donne-t-elle pas ou ne s’ouvre-t-elle pas à une fin qui la provoquerait ? Pourquoi est-ce le calme plat ontologique et donc la destruction endogène ? Pourquoi aucune finalité et pourquoi cette limitation à la seule survie que du reste nous ne sommes pas même capables d’assurer ?
Il faut préciser autre chose ; si l’humain s’est restreint à un monde sans « transcendance », c’est dans la compréhension caricaturale, cad dans l’interprétation nauséeuse, de ce qui anciennement, bien que se donnant ou prétendant transcendant, offrait en réalité, dans les faits et les effets, offrait une possibilité interne absolument réelle ; que l’on ait nommé cela Pensée, Dieu ou Sujet, sert de repoussoirs aux interprétations qui croient être en mesure de comprendre ces transcendances par d’autres voies, lesquelles sont si petites, étroites et immédiates, que toutes les interprétations ayant perdu le sens du mouvement, s’effondrent dans tel ou tel donné « là », dans la même facilité de monde, qui de plus n’explique rien du tout, et entasse sur la tête des consciences le guano très habituel.
En bref, ce que l’on nomme habituellement « transcendance » est une incompréhension fondamentale qui prend appui sur le donné là en oubliant le là du donné (ce qu'à l'origine on nomme l'être, d'où la révolte et le refus et la découverte heideggerienne)… Le naturalisme généralisé (qu’il s’installe de la biologie ou du corps ou du langage ou des sciences humaines, ou du désir ou des multiplicités, seraient-elles mathématiques) ne permet pas, ne permet plus de reprendre le mouvement structurel tel dont pourtant c’est cet élancement de tout l’être qui en fut au principe de l’ampleur bien plus extensive, intensive et dense (archi, hyper et méta).
En somme tout est devenu raplapla ontologiquement ; la vérité étant que le moi, la nature humaine et la raison comprennent les transcendances en fonction de leur propre principe, leur limitation et ne voient pas que « transcendance » autorisait une assumation bien plus étendue de l’existence et qu’au lieu d’une rupture et d’une négation, il fallait tendre une toile, un tissage, une trame intégrant la raison dans la pensée, la nature humaine dans le structurel, le moi dans le sujet.
Or pourtant l’accès transcendant ou structurel fut bien insisté par Descartes ou Kant ou Husserl ou Nietzsche, ou Heidegger, ça n’est pas faute de n’être pas prévenu. Mais ils furent utilisés à l’inverse de leurs propositions.