Le Miroir et les images
L’exigence et l’altérité
Les juifs inventent donc le Miroir : dieu, le Un-tout-autre. Et mettent fin aux cycles des images. Dès lors il faudra commencer de comprendre ce qu’est ce miroir, de s’introduire dans sa structure (puisque le miroir ne fait pas partie du monde, n’est pas composé de parties de monde). De même les grecs inventent les idées, et des idées spéciales ; en ceci que pour inventer et manipuler ces idées-là (qui ne sont plus des images à proprement parler) il faut les positionner et les positionner cela s’effectue par le point de l’être ; l’être est ce qui permet de créer non plus des images mais des idées (on admet donc totalement qu’il y ait eu des « idées » avant les grecs mais non pas des idées ourdies par la position de l’être, c’est cette position qui transcende ce que depuis los on nomme « idées », cad rapports, ou intentionnalisations ou machines intentionnalisatrices ; les systèmes) et non plus de idées qui tourbillonnent mais des idées ancrées. L’être suppose, contrairement aux divers absolus au-delà, qu’il est, lui, l’être intégralement « là ». Il n’en manque pas un morceau. Et de toute manière lorsque l’on pense en cohérence selon l’être on ne peut pas faire l’impasse sur le moindre élément ; donc l’être signifie « ce-qui-est est totalement ici même ». Il devient possible d’aligner les intentionnalités sans perdre leur équivalence ; l’acte de penser pense exactement ce qui est pensé, ce qui est signifié.
Si l’on veut un repère actuel pour cette histoire de miroir, on dira que « je suis Jean-Pierre » ; on voit qui est Jean-Pierre, mais qui est «Je » ?
Ce je est insituable ; et c’est pourtant en ce je, ce miroir, brute surface réelle, que l’on existe ; le moi est, dans la détermination du monde, mais le je existe. On sera ce que l'on décidera, non seulement du monde et de la détermination, mais du miroir et des plis et déplis structurels ; que va-t-on parvenir à dresser, élaborer, architecturer dans la structure du présent durant cette existence qui soit au travers et en plus des images, au travers et en plus de ce corps ?
Ce je est un miroir, un mini-miroir certes mais de fait. Encore faut-il se poser la question ; si une image dans le miroir est divisible et elle-même agglutinée à d’autres images, par contre le miroir comme surface est tout un … il n’y a pas trente-six mille manières d’être miroir. Il existe donc universellement en chacun une surface totalement identique à toute autre qui sont toutes indéterminées, sans image. Le je, le miroir forment l’horizon sur lequel se détachent les objets intentionnalisés.
La pensée, la représentation, la description de cet horizon est la finalité de la philosophie, depuis le début (que cet horizon soit dieu, l’être, le sujet ou l’altérité du réel). Dieu, le grand miroir ou l’être, rendent possible qu’il y ait des mini-miroirs, en nombre indéfini (la surface formelle peut indéfiniment se multiplier sans s'altérer, sans dépendre des compositions), et miroirs un par un, individués mais sans raison, sans détermination (le moi de chaque un n’est nullement son individué structurel mais juste un effet de cette individuation ; l’individualité et l’intériorité sont des moyens ; ainsi pour Sartre le « moi » est un objet dans le champ intentionnel, pas l’identité structurelle de chaque un). Si dieu et l’être rendent et appellent que chacun en vienne à son propre horizon et que chacun puisse et ait à élaborer des stratégies explicites, le sujet cartésien d’une part et l’altérité d’autre part (soit donc l’étendue cartésienne du monde donné là, l’être ramené à la vue de l’exister du sujet), ce sujet et cette altérité (absolument splittée) s’imposent ici même, dans l’ici et maintenant ; la structure n’a fait que progresser depuis 30 siècles.
Toute la philosophie consiste à s’introduire le plus loin possible dans le miroir, de tordre les images en idées ou de produire de telle idée des rapports intentionnels au réel (dieu, l’être de la pensée, le christique, le sujet cartésien qui dure jusque Lacan et avec lequel on n’en a pas fini, puisque c’est une structure réelle et non une « idée », les idées y amènent mais ne disent pas le sujet, et enfin des rapports intentionnels à l’altérité, nietzschéenne et heideggérienne, de même que via cette altérité suréminente de Sartre et Lacan qui dépouillent, dénudent les fils électriques de notre structure).
On ne trouvera aucune image qui manifeste le miroir ; mais on peut élaborer des images telles (y compris des récits, des poétiques, etc) qu’elles entrainent pour l’observateur une telle torsion de l’arc de conscience qu’il soit obligé de devenir structurel (sinon il n’y comprend rien du tout ; pour adhérer à quelque philosophie que ce soit il faut tordre l’intentionnalité, il faut s’y incarner, s’y convertir ; de même pour le christique ou dieu ou la pensée, il est une ascèse structurelle absolue impérative, sinon que l’on passe son chemin ; et Rimbaud ou Lynch ne sont guère "faciles"). Ces images élaborées relèvent cette fois non plus de l’immédiateté du corps et de sa satisfaction, simples images dans le miroir, mais d’une stratégie, et de l’élaboration de l’insatisfaction native, et du miroir même.
Auparavant on adorait les images, les images dans le miroir (on conférait la puissance du miroir aux images). Il s’agissait de parties de monde, mais de supposer un Miroir, un Grand Miroir, dieu, veut dire non plus qu’il soit séparément du monde ; parce que c’était ces parties de monde qui, de par leurs déterminations, se distinguaient et s’éloignaient du monde ; dieu par contre n’a d’autre possibilité que de donner dans/vers/par le monde, les nations, l’historicité, et son intervention dans la réalité comme point externe, qui ajoute et modifie la réalité (et non la justifie dans une opération cyclique qui relance sans cesse le-même-monde et le-même-groupe), dieu donne vers les êtres et les corps (de là que l’on ait pu caricaturer dieu ou le christique comme « moralité » ce qui est une réduction aberrante ; c’est bien, bien plus qu’une question de loi ou de moralité, c’est une transformation ontologique, cad radicale, à la racine ; dieu est en-plus, le christ est en-plus de dieu, le sujet cartésien est en-plus du christ, etc, c’est au-dedans de l’en-plus que réside le réel, dans le « ce qui n’est pas encore », dans l’exister, dans le présent, dans le miroir que l’on nomme ici « présent » ; on pourrait tout aussi bien dire que dieu est le présent, cad non pas seulement le temps mais ce qui est en deçà du temps, et de la spatialité).
On annule ainsi deux préjugés ; la pensée de l’être est instantanément totalement « là » (et non une idéalité qui se superposerait au monde, les idées ne sont pas un « deuxième monde », mais la phraséologie des intentionnalisations qui rendent possible de multiplement percevoir le monde donné là, c’est le groupe qui enfermé chacun dans une pseudo-vérité) ; et autre préjugé, dieu n’est pas un au-delà inaccessible, mais l’intervention ici même au cœur du monde (ce sont les autres mondes qui imaginaient un absolu défini dans sa séparation, puisque déterminé son être plaçait un autre plan, et non pas intégrait l’altérité ici même).
Ne pas comprendre que dieu et la pensée interrompent le monde, le vécu et le corps, ce sera toujours, toujours, remplacer la structure par une image, composée du monde, de parties de monde et donc morcelant l’arc de conscience ; les substituts n’équivaudront jamais à l’articulation de structure qui seule permet de créer des stratégies. C’est donc échappant ou croyant échapper à la Règle (de l’arc même) et s’imaginer être, non pas être mais imaginer que l'on est ; c'est l'intentionnalité qui confère le réel à une réalité quelconque. Mais le réel est formel et ne passe jamais dans l'être ; il le produit. Or donc on n’Est pas (en vérité rien n’Est, puisque seul le présent existe, les choses sont splittées par l’exister et même aucune chose ne serait si le splittage, le présent n’était pas premier), on n’Est pas : on imagine seulement l’Etre. Dieu et la pensée interrompent le monde en actant la séparation et la division au cœur du monde et non seulement comme une altérité qui interromprait l’être, mais en tant que l’être est relatif à la séparation ; c’est la division qui est première ; c’est l’exister qui produit l’être. De là à dire que l’exister produit l’être entre autres possibilités, peut-être faudra-t-il franchir le pas.
De ce que l’un et l’autre s’instancient ici même et interviennent radicalement, il s’en est suivi un décuplement farouche de la réalité et du réel ; la pensée et dieu diffractent le décalage à même le monde, grec, et dieu à même l’humanité ; et le christique en s’inscrivant dans le corps (que l’on soit homme, femme, riche, pauvre, esclave, homme libre, cela n’avait plus soudainement d’importance) ; la révolution anthropologique intégrale est lancée.
Il est en somme de la nature même du réel admis comme miroir de ne se tenir que d’un seul côté ; vers le devant, vers le monde, les êtres et plus du tout de se replier dans son au-delà (il n’est plus aucune distinction, détermination de l’absolu qui puisse le fixer, le figer ; il n’est plus séparément, il est la séparation même, formelle, et cette séparation est ici même, on dira même qu’elle est l’ici et maintenant brutal).
L’ensemble de la philosophie veut donc identifier le miroir ; le miroir ne contient aucune mémorisation, sinon comment recevoir toutes les images possibles ? Il n’est constitué d’aucune détermination et la philosophie élabore donc une architecture de rapports. Pareillement les Œuvres (de l’esthétique à la politique en passant par les éthiques et les idéels, la connaissance) amènent plus ou moins brutalement les arcs structurels à se constituer comme élaborés en et par le miroir qu'ils existent (ils l'existent qu'ils le veuillent ou non ; tout ce qu'ils perçoivent s'opère via les images et le miroir, nous sommes ce décalage, pas issus de ce décalage, mais le décalage lui-même ,que rien ne représentera ni comblera et dont il faut tenir la stratégie d’insatisfaction) ; le « je » inconnu et qui ne peut pas, ne peut pas se manifester dans la réalité, le monde, le vécu, le corps et qui sera toujours ce « je » inscrit comme surface du corps.
De là qu’il soit sous l’emprise de l’Autre ; il ne perçoit pas, il est perçu ; sans doute c’est lui qui perçoit le monde, les objets, mais non pas qui instruit des stratégies ou plutôt les tactiques des autres, à moins de rebâtir la stratégie individuée, en récupérant celles qui eurent lieu tout au long du temps ; par quoi l’on voit bien que l’arc individué de conscience est lié structurellement à l’universalisation, mais aussi et peut-être surtout à toutes les autres instanciations individuées, aux sujets qui se donnèrent des Règles. Les instances objectivistes ne cessent de le convaincre de son image extérieure, de son image déterminée, des médias aux psychologies et via cette idéologie du corps qu’est l’économie (et de ses besoins et désirs à profusion, de la profusion des images déversées) ; de son image perçue extérieurement. Dans la dépendance du regard des autres ; l’indépendance des arcs structurels est l’objet de toutes les atteintes, de toutes les destructions mentales. Et comme l’arc structurel de conscience est assujetti à la vérité, il reçoit tout naïvement, avec une profonde naïveté, ce qui lui vient en tant que vérité ; il est évident alors que tout arc individué doit absolument commencer de récupérer tout son devenir (ce que Nietzsche entreprenait selon sa logique d’auto-affirmation individuée absolue et manifestant formellement le structurel).
L’entreprise est ainsi absolument phénoménale, au deux sens ; totale et produisant la réalisation du miroir immédiatement dans le monde, la phénoménalité augmentée du monde et le corps-même, une bonne part de l’occidentalisation s'y emploie, l’architecture du miroir décuplant les effets, augmentant les possibilités, créant ce possible lui-même en avançant. Ce sont donc les arcs de conscience eux-mêmes qui usent des images et des signes, des idées et des rapports afin de s’augmenter, d’augmenter leur surface mais non pas seulement leur surface de satisfaction mais celle de l’insatisfaction ; il est un jeu irréductiblement profond des attentes et des dépressions, des atteintes destructrices et des entr’aperçus de la structure ; c’est par le jeu, si indescriptiblement risqué, de l’insatisfaction, de la saison en enfer, des inconcevables difficultés névrotiques et psychotiques, et l’angoisse durement éprouvée, des mois, avec eux-mêmes et les uns par les autres, que l’articulation crée le « ce qui n’est pas encore » sans doute mais surtout de tenir une sorte, un semblant, un début, une possibilité éventuelle de stratégie et d’une intentionnalisation qui puisse tenir lieu de Règle, de Règle adéquate à tous les sujets ; sujets que l’on force à ne se posséder qu’individuellement alors qu’elle est non pas individuelle mais individué et donc liée absolument à l’universelle Règle des sujets et non à l’individualité morcelée par ses déterminations qui se tiennent en vue des autres consciences de dépendance brutale ou qui rêve de se retrouver dans l'image que porte son miroir, image qui ne correspond jamais en rien au miroir lui-même. Ce sont les formes même des discours, des images, des idéologies qui contraignent les sujets individués à ne se percevoir que comme individuel, égoïstes, égocentriques ; la fameuse naturalité réaliste de l'idéologie du corps morcelé.
Or ce qui est créé structurellement ne repose pas en soi dans le monde et la réalité ; il faut maintenir et tenir à bout de bras les articulations structurelles acquises ; de même que les sociétés humaines cycliques devaient réalimenter constamment la parole commune, le monde commun, les échanges équilibrés et l’esthétique ritualisée de leur apparaitre permettant de lire collectivement la réalité. L’impuissance collective condamne les sujets à se replier sur leur détermination individuelle et écarte la possibilité des sujets individués, qui seuls sont susceptibles de reprendre l’universel en l’augmentant.
Dieu, la pensée, le sujet et l’altérité supposent, contiennent, impliquent, permettent qu’existe la dimension telle quelle de la structure. Parce que si les déterminations du monde dispersent le monde (elles sont faites pour cela ; il est une réalité parce que les choses sont distinctes en déterminations), la structure elle, étant indéterminée, vient en une fois ou pas du tout ; le morcellement de l’arc structurel, par le monde et le moi engoncé, annihile la dimension qui n’est pas divisible et qui cherche, littéralement, sa non divisibilité, sa non divisibilité en tant qu'elle est elle-même la division, la distinctivité du réel qui se poursuit jusque dans les uns de sujet, qui cherche à créer la Règle des sujets réels, la suite de la révolution, celle universelle qui eut lieu, et qui ne demande qu’à se continuer, à se renouveler, mais qui nécessite un tel degré de réflexivité dont visiblement nous ne sommes pas capables. Ce qu’il s’agit de renouveler c’est ce qui tient lieu d’horizon ultime maintenant encore et toujours, à savoir l’horizon universel, celui-là que déchire la loi du monde des petits intérêts, des corps en morceaux, cad en images ; nommer cette seconde étape, signifier sa délimitation c’est qui s’explore depuis Descartes ; la Règle en plus de l’universel. Il n’était pas dit que l’universel soit le seul horizon : loin de là.