DEBORD Guy Ernest
Il n'est pas possible de comprendre Debord si l'on ne saisit pas ce qui est en jeu ; à savoir, l'expression.
L'esprit en l'homme est ce qu'il le pousse à définir, en général, et traduit la réalité en systèmes de signes ; de sorte que ces signes puissent être retravaillés, transmis, et portent ainsi à l'organisation de l'action et du vécu.
L'esprit c'est ce qui se dit, globalement, entre les êtres humains ; il est plus ou moins assujetti, parce qu'il lui faut se centraliser ici et là, de sorte qu'il sache en conscience « ce qu'il dit » ; quelques-uns ou beaucoup sont affectés à cette auto surveillance, qui est telle ; régulatrice, mais aussi répressive. Qui est donc aussi explicitation de soi comme esprit ; il entend "ce qu'il dit" de lui-même, du monde, des hommes, des réalités, du temps, etc. Il faut bien que quelques-uns en fassent leur travail. Y appliquent leur attention. Et cela doit suivre des règles précises.
Mais de simple transmission entre les hommes (à des fins organisationnelles souvent utiles mais limitées, parfois délirantes), il devient tout à coup pour
lui-même et en soi ; il se pense comme ayant à se développer ; de fait selon sa propre fin. Le vrai pour le vrai. Et c'est cette notion-là que nous retenons ;
nous en définissons l'humanisme qui fonde droit, culture, statuts, personnalité psychologique. Ceci, cet engouement pour l'esprit vrai, en soi et indépendant, Debord nous dit que l'on nous
en prive.
Selon l'humanisme l'esprit devait se partager entre tous, en égalité ; et chacun en jouir, ou le faire fructifier (ce qui revient au même, et cette
double idée nous ne la comprenons même plus, mais elle hante nos consciences à leur racine même; nous n'en désirons plus que la jouissance laquelle décline en pseudo-jouissances).
L'esprit devrait constituer l'essence même du démocratisme. Rappelons que l'Etat est à cette fin ; que l'esprit soit. Entre tous. Mais bien que hégélien, cet esprit se réfugie par là dans
son abstraction ; ou plus exactement ; Hegel ne pouvait pas imaginer une suite à la réalisation abstraite de l'Esprit dans l'histoire ; réalisation telle qu'elle fût poursuivie si
précisément depuis 2 siècles. Hegel pense la prédominance absolue du savoir ; ce qui s'est effectivement réalisé. Le savoir étant le discours en tant qu'il développe tout son
potentiel ; mais ne prévoit pas que, hors du discours, il existe un sujet, qui pense et active ce discours ; lequel sujet dispose d'une survie bien plus imposante que le discours
lui-même (limité à son moment historique); et que essentiellement et de plus, le sujet est dans-le-monde.
De même que Hegel n'imagine pas les sciences et les technologies dans leur déploiement, il n'imagine pas cette concentration psychologique et sociologique du moi
comme régulation du monde humain ; bien qu'il ait, Hegel, exposé entièrement l'idée d'un monde dit humain, enfin humain (après toutes les vicissitudes de l'histoire).
Or Debord non plus ; il ne comprend pas que l'hyper développement du monde humain, manifeste, expose, déploie, exprime toute la densité comme la quantité du monde humain en tant qu'il est
devenu un monde de mois psychologiques, de personnalités (qui se doivent d'être assurés de leur droit intrinsèque et inaliénable ; ce dont nous sommes encore loin du compte).
Par contre Debord est absolument dans le vrai quant à l'ordonnancement des flux. Des productions industrielles ont capté les densités et les quantités dans la représentation humaine de l'humain ; ont détourné l'énergie et l'effort humain en pures pertes diverses et fantaisistes.
En cela la société du spectacle n'est pas le conglomérat mass médiatique, mais l'ensemble de la production en tant qu'elle disperse l'énergie humaine et dilapide
l'esprit ; ensemble qui ne fonde rien selon le savoir, le partage ou le discours, rien dans la transmission elle-même mais est utilisée dans une représentation irréelle de tout ce qui est,
cad de tout ce qui importe, et que cette production égare, est déjà perdue ; ayant quitté le sol réel.
Qui n'est donc plus ni historique (puisqu'elle fait croire ou croit être ce qui seulement "est", là, inerte, sans autre justification, incapable de se justifier), qui a donc également perdu non
seulement ses finalités (temporelles et historiques), mais ne sait plus même les exprimer ; et ce faisant, tous ont perdu la faculté en soi d'expression. L'esprit n'existe plus ; il est
devenu un monde littéralement, d'objets-là, et un monde produit, mais produit sans réflexion aucune, bien qu'il repose en sa base sur ce même esprit, oublié.
Ce qui est l'analyse la plus claire, impérieuse et définitive qui puisse s'exprimer à tel moment de l'histoire. Et qui donc, réintroduit l'historicité en réinterprétant Marx dans et selon le
logos hégélien (lequel est la vérité absolue de son moment et donc du nôtre, encore).