Démonstration, monstration et démontages de la philo
Grosso modo.
Il y eut trois grands espaces dans la pensée. D’une part au sortir des mondes particuliers, l’invention ou la systématisation de l’universalité (le langage en lui-même contient l’universalité mais elle ne se représente à elle-même ses propres fins, et cela ne se peut que hors du langage ; la fin comme la finalité du langage devient l’idée de l’être, ce qui change tout) par les grecs. Et d’autre part le devenir conscience affirmé et pour la première fois dénommé en tant que la dernière conscience indéfiniment possible est dieu, qui comme tel revient vers-nous en tant que jésus, dépassant la loi (juive et toute légalité abstraite) et réalisant la personne.
Vient ensuite que les deux s’emmêlant en tous les sens possibles de leur cercle propre (le christianisme et affiliés, y compris musulmans, reprend intégralement la pensée grecque, puisque l’un et l’autre font-office de la même réflexivité généralisée qui s’étend à toute l’humanisation), se heurtent absolument à Descartes (en tant que à la fois repère et signe d’un mouvement qui naît bien au-delà du seul Descartes, mais comme la philosophie est la discipline qui rend compte, manifeste, expose « ce qui arrive », le dit mouvement est exprimé, littéralement, par Descartes ; il décrit).
En réalité les heurts et malheurs du devenir se réalisent dans le Même devenir ; parce qu’il n’en est qu’un seul. La réflexivité (des grecs, chrétiens, Descartes et suite) est unique ; ce sont les mondes particuliers qui sont multiples (encore que les synthèses diverses manifestent la même sorte de réflexivité mais dite immédiate, ce qui n’est pas péjoratif ; elles se concrétisent simplement avant la réflexivité ‘qui se sait’ comme réflexivité, ce que dit nommément la philosophie, il n’est plus de langage, plus de groupe, plus de monde donné là).
Le mouvement est entier et il ne faut pas tomber dans le piège du « modernisme » (en fait déjà usé) qui consisterait à déconstruire de manière générale la philosophie, la pensée, la raison, la liberté, le sujet, etc. Le modernisme se fonde sur l’exactitude et croit absolument que la dite exactitude se calque sur celle des sciences ou des mathématiques ou des prouesses technologiques. Alors on démonte tout. Et que l’on démonte tout, est très bien, sauf à croire que ce démontage est l’ultime finesse accessible. La vérité est que en démontant on n’aboutit en résultats qu’aux divers bricolages, lesquels nous sont essentiels et même cruciaux mais ne s’installent pas au même niveau qu’initialement.
Pour exemple, il est ridicule d’expliquer dieu par une psychanalyse, même si tout ce qu’elle en dit est vrai ; la question n’est pas là, elle est que ça n’est pas suffisant. Ce qui veut dire que ça n’explique par vraiment. Que ce qu’elle en explique soit vrai, signifie que la véritable compréhension contient cette explication là. De même il est confondant de comprendre que l’on croit encore qu’il existe une vérité telle qu’elle dépasserait les « animaux humains », comme Badiou les envisage. Une vérité générique qui serait l’essence de l’homme ; négligeant absurdement l’individualité (soupçonnée sans doute de dérive petite-bourgeoise). Qui accepterait une humanisation (universelle) sans une personnalisation (fondée sur le libre-même mais les fanatiques de la vérité comme seul repère ne pensent pas le libre pur) ?
C’est que dès le début prenant conscience de soi comme universalisation, la pensée entreprend de se démontrer, d’affermir sa fondation unique (quand bien même partirait-elle dans tous les sens possibles qui lui sont accessibles ; la pensée n’est pas assignée à une-vérité mais au principe de vérité et se joue des systèmes, c’est sa structure même, c’est encore regretter on ne sait quelle vérité exclusive et ne rien comprendre que de croire encore à une vérité qui viendrait nous réchauffer). De cette démonstration, elle passe à la monstration ; elle fait-voir, elle dit « voilà c’est ici, que cela se passe ». Puis ayant assisté à sa propre monstration (Descartes), elle se tient du sujet cartésien (mais abstrait et absent, celui de la science) et commence de tout démonter ; de Marx à Foucault en passant par la psychanalyse et toutes espèces de sciences humaines compris.
Entre ces devenirs du mouvement général, il est la position du dieu et surtout du christ ; ça ne montre pas la conscience de chacun à proprement parler. Ça attire et ça crée la conscience de chacun ; que chacun ait une conscience et ceci sous l’égide de l’une-seule. L’une-seule conscience, dieu, est indéfiniment réelle ; elle regroupe qu’il existe des quantités de consciences. Et ceci pour la raison qu’elle les fait exister ; c’est dit nommément (Saint Paul, je ne vois pas pourquoi on réfléchit parfois, les choses sont dites littéralement tel quel).
Remarquons que ce faisant on ne prend pas position sur l’existence ou non de Jésus, de Dieu, de Bouddha ou d’Allah ; de cela on ne sait rien du tout ; on peut y croire ou non. Parce que l’on ne sait pas jusqu’où existe notre être ; on se limite à faire le tour de ce qui, ici et maintenant est constatable (parce qu’ailleurs et autrement on n’en reçoit aucune information, de fait, et que cela ne peut donc pas former le substrat d’une conduite universelle ou réglée).
En somme le mouvement général consiste, éperdu, sans repères suite aux effondrements des mondes humains particuliers, on se retrouve soudainement à réfléchir ; parce qu’il faut établir des règles là où font défauts les groupes humains, les cultures diverses, etc.
Mais le surprenant est que ça n’advient pas par nécessité seulement, de réguler le désordre. Ça surgit comme soudaine réflexion sur notre être (là aussi c’est dit nommément) ; ça n’est pas une négation, c’est un surgissement en plus. Il se trouve que ça se nomme les « grecs » ou les « chrétiens » ou « Descartes », mais c’est le mouvement qui compte.
Et si c'est le mouvement qui compte, alors ce qui "apparaît soudainement" (de mille façons et se propage), n'est pas un système d'idées ou une série aliénante (interprétations prétendument lucide des modernes), mais la formulation même ce qui est, par lui-même.