On peut se demander ce que puissance signifie. Volonté vers la puissance. En somme il s’agit de surseoir à la réalisation
de soi. D’introduire une distance qui permette, qui autorise, qui soit franchissement, sans perte essentielle. Le but à atteindre est très éloigné. Et comme tout cela n’est pas très précisable,
ça dérive en typologie, en typologie ontologique : là où il s’agit de juger de l’être, de la qualité d’être, de la quantité d’existence, de sa faculté d‘activer son être propre et, renvoyé à
l’interrogation suprême ; quel est-il ?
Il a bien raison Nietzsche de se méfier de la volonté rationnelle qui ratisse toute l’histoire humaine et ne laisse rien
derrière elle. Ça n’est pas fait pour ça ; ça n’est pas créé pour assurer affectivement une unité imaginaire. Sans doute il en rajoute ; il veut forcer le trait et manifester oh
combien la puissance est plus dure, plus réaliste, plus adaptée, plus adaptative. C’est un rêve. Mais il sent bien que la raison est d’une volonté d’acier ; il reste empli des dieux et des
mondes d’illusions.
La philosophie aurait joué le jeu de l’onto-théo-logique. Il ne faut pourtant pas se tromper ; la volonté rationnelle
s’est imposée d’abord en tant que discours métaphysique totalement développé, jusque Descartes, puis, à partir, comme ontologie radicale.
L’ontologie se fixait dans le discours métaphysique comme étant la science de l’être-même, comme un, tandis que tout autour
girouettaient les unités essentielles, définies par idées, hiérarchisées et recherchant un dynamisme de conception qui reflète l’élaboration objective, mais visible, du monde, mais aussi
l’enchevêtrement délibéré de l’acteur de cette pensée (dieu ou l’homme, générique).
Avec la science se développe le même calcul ; et au lieu de la visibilité (sur laquelle sont conçus les idées), on
passe dans le non visible des nombres (les nombres donnent à voir au-delà de l’immédiateté). Entre l’idée et le nombre, il n’est pas de différence d’intention, le moyen seul diffère.
Suite à l’aboutissement du discours pris pour lui-même dans toute son ampleur (toutes les idées sont pensées en un seul
discours, comme qui dirait de conception divine), l’ontologie se fixe sur cet être spécifique ; l’être de l’homme. Descartes manipule nettement le sujet comme identité, divine, en
elle-même ; le sujet est de volonté comme l’être de dieu. C’est à partir de cette fonction du sujet (ici individuel, mais à ce point abstrait de toutes déterminations, qu’il devient
individué, un simple point réel, le seul réel qui soit en fait) que l’ontologie se restreint à « ce dont il est capable ». Puisque manifestement l’être est en jeu dans l’élaboration
intentionnelle du dit sujet.
Dès lors l’être du sujet, l’ontologie, d’une part se sait, connait sa puissance, et d’autre part sait préserver ce dont il
se détient ; la raison. Impossible d’admettre un sujet qui ne soit pas de raison articulée. Autrement dit, à l’inverse, tout sujet se constituant sera de toute manière assuré de son
authenticité ; sinon sujet il s’effondrera. Il est clair cependant que sujet rationnel cela ne se dérive pas unilatéralement de la « raison ». Si le sujet est rationnel, la raison
éclate non vers autre chose qu’elle-même, ni une version réduite, mais vers une ampleur sans égale. Si le sujet est rationnel c’st la nature du rationnel qui change de modalité, de modélisation,
de variations.
Nietzsche en est l’effet, comme tous et chacun, et bien qu’il entoure son déploiement de quantités d’imaginaires, de
regrets et de soubresauts ; encore vivant, dit-il. Mais non.
C’est que le déploiement par un sujet, de lui-même en tant que tel, comme Nom, Nietzsche, le premier de ceux qui viendront,
la rupture dans l’historicité, le refus de l’idéalisme, l’antithèse, ne peut être voulu que dans un dispositif absolument incarcéré. C’est cette incarcération qui le libère puisque comme il le
sait très bien, c’est le supportable ou l’insupportable qui décide de ce dont on est capable.
Et là, il est vrai, il a raison, rien n’est joué ; il ne suffit aucunement et en aucune manière de se satisfaire d’un
sujet « idéaliste » ou un copié collé d’une leçon plus ou moins apprise. Le sujet, le sait-on, ça ne se répète pas. La vision extrême qu’introduit dans l’historicité l’imposition de
l’être, (qu’on le définisse comme discours complet achevé et cohérent ou comme étant l’être de l’homme ou comme existant comme surface-monde d’un tel sujet nanti d’un tel discours), est une lame
redoutable qui découpe et provoque le grand vide au cœur de la réalité.
C’est de ce grand vide dont tout sujet (et n’importe quelle individualité, psychologique, est intimement proche de son
individué) s’anime. Qu’on le sache ou non : cad qu’on dérive son individualité de tel ou tel machin, telle et telle fabrication d’identité.