Le libre comme dimension (antérieure à la raison)
La pensée se définissait comme adéquate ; à elle-même et au monde donné et vécu. Elle désirait réaliser l’Etre, mais en tant que l’Etre est aperçu seulement par l’esprit ; par la compréhension intellectuelle.
Mais le discours cohérent s’aperçoit qu’il s’origine en un opérateur qui le rend possible. Et la compréhension intellectuelle bascule comme compréhension intellective. En ceci que plutôt que de privilégier l’idée, la notion, le concept, l’opérateur du discours est celui qui oriente la pensée selon des choix ou des intuitions réfléchies ; de là on a pu croire que ces choix, ces intuitions ne se soumettait pas à la raison, sauf que l’opérateur demeure, en sa liberté même, inséparable d’un choix rationnel et que ces intuitions relèvent d’une originalité qui est à l’inverse non pas originale comme fantaisiste, mais originelle, comme effectivement réelle dans ce monde là donné tel quel.
Autrement dit, bien qu’il soit opérateur libre du discours par ses choix, le dit opérateur se décide pour et par l’être qu’il perçoit. Il y est plus ou moins adéquat, il suit plus ou moins le tracé de son être dans le monde donné et vécu.
Parce qu’il est adéquat à sa position d’opérateur du discours (cohérent compréhensif et intellectuelle ayant dépassé cette intellectualité par l’intellectif), il ne peut pas créer, inventer, produire, découvrir n’importe quoi ; bien que cela soit en sa puissance. Il doit se tenir à son être, de même que pour penser l’Etre (du discours) il devait se tenir à la cohérence (qui impose des règles à l’énoncé, en élaborant ainsi une surface délimitée qui accorde l’être, la réalité ou non aux vérités de la pensée ; dans le cercle soumis aux règles se construit la pensabilité unique de toutes les choses, ce sont les règles qui sont sensés accorder la réalité). L’Etre pensé s’établissait selon ce réel des règles (la logique par exemple appliquée aux idées), de même que l’opérateur doit se soumettre à l’évidence ici même de son être tel que là dans un monde.
L’opérateur, dit « sujet », est soumis à son être ici même ; il constate de ce qu’il est, en suivant son intuition qui n’est pas intellectuelle, mais qui dans l’intellectif contient et récupère l’intellectualité au profit de l’intellection.
Il se dégage alors durant 3 siècles une puissante élaboration de la description ; Descartes, Kant et Hegel, Husserl, Nietzsche, Bergson, Sartre, Lacan, et en retrait Heidegger.
Et ceci bien que l’on garde encore en mémoire de principe que la pensée de l’Etre soit consommable ; que ce soit un « tout » qui soit un objet pour la pensée. Alors que depuis lors il s’est avéré que c’est cet être-çi, l’être de l’homme, nommé sujet, qui décompose et recrée constamment son être propre. Étant libre cet être ne laisse pas son être en paix ; il en est travaillé, puisque le libre ne permet pas au moi d’être seulement « lui-même », étant indépendamment de tout, (il est libre, cad auto référence), il l’est aussi de « qui il est » : le libre existe plus profondément que son « identité donnée », auquel il ne tient pas absolument puisqu’il n’est relatif qu’à son être libre.
Si le libre est, il dessine, quels que soient ses contenus, une circonférence qui n’existe qu’en propre, que selon le plan nouveau que seul il pré-voit.
Or lorsque l’on dit qu’il prévoit l’être prochain, il ne le sait pas lui-même ; il ne le sait pas en terme d’identité puisque l’on a vue que le libre est en chacun plus grand, plus profond, plus instrumentalisant que le moi lui-même dont il est le libre.
C’est assigner au libre une dimension universelle que le moi, le subjectif, le vécu, le donné, ne comporte pas ; c’est une dimension, ça n’est pas un discours introduit dans le monde donné vécu. Auquel cas on ne sait trop ce qui origine un tel discours, à moins de poser qu’il se déduit lui-même de lui-même, à la recherche d’une fondation cohérente à l’élévation toute transparente des réalités en universalités (en idées, notions, concepts) ; ce qui est impossible puisque l’on ne peut pas déduire la pensée sinon en la dérivant d’un être-ici, celui de son opérateur.
Mais cela ne signifie pas qu’il faille lâcher l’opérateur à la contingence ou aux nécessités, et annuler ainsi toute universalité. Mais l’inverse.
L’inverse c’est transformer l’universel (qui existe vraiment, de fait et en droit) en dimension. Le sujet, l’opérateur est ce qui ouvre une telle dimension.
Bien que la raison classique lui en veuille infiniment, le sujet se tient quoi qu’il propose (il peut tout autant se contredire et délirer, il peut piocher dans le subjectif ou le donné), en cette dimension. Et il en est la certitude. De par son être libre qui est-à-soi-même, de fait et structurellement.
En cette certitude, il ne peut cependant se repérer, puisqu’il inaugure cette ouverture qui ne fut jamais nulle part en aucun monde humain, et qui n’était par la raison absolument pas prévu.
L’idéal demeure longtemps et encore que la pensabilité soit l’intégralité transparente. Alors même que l’on peut difficilement assigner une intentionnalité en une raison qui absorbe toute finalité et que les sujets, eux, manifestent de fait des intentionnalités en tous sens dont la raison classique ne peut rendre compte, qu’elle expulse vers le donné mondain, indifférent, contingent, nécessiteux. Raison trop étroite et dimension trop ample qui par contre ne sait pas du tout ce qu’elle veut, mais n’est que certitude du vouloir lui-même.
Si cette auto fondation ne témoigne que de son vide, tout est annulé et relatif à seulement un monde, un donné, un vécu. Si cette fondation certaine ouvre une dimension, elle entretient soudainement une autre sorte d’évidence ; laquelle est dite intellective et non plus seulement intellectuelle, en comprenant que l’intellectualité est comprise dans l’intellectivité ; de même le libre contient la raison en son être.
Si le libre n’ouvre pas une dimension nouvelle, il reste le faire-valoir d’une raison close et n’ayant pour seul désir que l’Etre, cad l’idée de l’Etre qui seule se donne sous la forme d’objet central, et dont la satisfaction ne serait qu’intellectuellement admise ou consentie. Il ne viendrait pas à l’esprit que le libre ne soit pas à lui-même sa propre satisfaction, au point que quelque chose que ce soit n’a de valeur que consentie et admise librement.