Le poids épouvantable
La philosophie, comme toute la culture qui précède le 20 ème, a eu pour finalité d’imposer le centre d’intention généralissime du sujet. Ce qui manquait, c’était une personnalisation de chacun ; de sorte que chacun puisse s’exister comme vécu et que de ce vécu, envers et contre les symbolismes, les relations humaines réglées dans un échange et partage concentrés, de ce vécu puisse s’exprimer ou s’approcher le monde-même.
Ainsi chacun est devenu proche indéfiniment du monde, là, donné, sans interprétation surnuméraire, sans humanisation ; de cela l’ensemble des crises dites existentielles. Mais aussi l’appétit féroce de multiplicité qui s’en suivit. De même le tourment étrange, bizarroïde, insituable de ces personnalités ; qui ne voient pas qu’elles sont avant tout des personnalisations, cad des processus, et non pas des identités éternelles ou en soi. Le moi, qui est une libération de cette unité centrale pour elle-même et décentrée quant à la régulation collective du monde humain, devient ainsi le verrou même qui clôt le devenir sur un « état », un être-là.
L’universel, qui fût promu lui-même par la philosophie et toutes disciplines concurrentes, s’en tient pour sa part à son abstraction ; le droit, ou l’idéal culturel restent semblable à celui , rêvé, du 18éme et 19 ème. L’art est encensé, bien qu’il ait désiré cent fois rejoindre le vécu, il y parvint mais dans des formes nouvelles (cinéma, mass média, toutes espèces de cultures du 20ème ), et en signifiant de fait autre chose que l’unité idéale du Sujet tel qu’il fut désiré, attendu, conquis et imposé, mais abstraitement universel par artistes créateurs. Dans les nouveaux moyens d’expression, le moi se perçoit lui-même comme centre du monde ; qu’il en soit la gloire ou la déréliction manifestes. Cette unification permit de cataloguer l’ensemble possible des vécus ; de les imager (si il ne peut comprendre le concept, le moi saisit immédiatement l’image, puisqu’il la subit …) ; sans quoi, ces mois se seraient perdus dans des immédiatetés incommunicables, des masses du monde donné, des fétiches et des obsessions, des déperditions. Que l’on ait à communiquer une image de soi, soulage du poids.
Du poids natif.
Ainsi non seulement il conviendrait que l’universel ait à cesser de se limiter à l’abstraction de ces formes (Etat, droit, idéal symbolique du moi, culture idolâtrée, etc), mais aussi le moi, cette concrétion historique libératoire, sent bien qu’elle n’a pas vraiment abouti. Qu’elle blêmit encore dans l’irréel.