Le système de dieu
- Hypothétiquement-
Qui se dépriment ou désespèrent de ce que le monde, la vie n’ont pas de sens, mais si la vie n’a pas de sens, cela veut dire que l’on est libre et que la liberté est le sens de ce qui existe : non que la liberté permette de créer une signification, mais bien qu’elle soit telle quelle le (non) sens du réel, ce qui veut dire son super-hyper-sens. S’il existait un « sens » comment pourrait-on être libre ? Et si l’on est libre alors le libre est le sens lui-même. Et par cela c’est enfin passionnant.
En quoi me conformer à un sens quelconque me réjouirait-il ? Par contre ourdir le complot magnifique d’une immense possibilité, voilà à quoi se sont attelés Plotin ou Kant. Et n’importe quel regard neuf et nu sur le monde et selon le corps. Selon l’autre surface du corps capable de supporter l’étendue du réel.
Et rien de ce qui fut élaboré, inventé, exploré par le christique ou par Rimbaud, Nietzsche ou Hegel ne le fut hasardeusement ; on n’y découvrira pas une trame conceptuelle puisque c’est en dehors du concept, ni une signification puisque c’est antérieur aux significations. Ce sont les mondes humains particuliers et cycliques qui font sens ; ça ne sert à rien de croire ou imaginer retrouver une telle sorte de monde. Si on en est sorti, par les grecs et le christique, c’est afin d’élaborer et de dresser le présent comme architecture, dont ce corps comme architexture.
La pensée se partage, la liberté se propage. Pour illustrer et éclaircir : une esthétique crée l’intentionnelle conscience qu’elle se doit. Sciences, esthétiques, éthiques, politiques ou philosophies sont ramenées à l’uni-dimension : ajouter une surface à la surface du réel, à la surface qu’est le réel lui-même ; la surface est la profondeur, parce qu’elle devient en plus. Ou donc ; le réel est le présent et le présent crée. Et on ignore ce que c’est qu’il se crée.
Donc dieu, s’il existe, est le système de la liberté pure. Nous reste ainsi la liberté brute. A charge que nous puissions élever celle-ci à la pureté, ce qui veut dire au plus distinct, au plus distingué possible. Aimez-vous comme je vous ai aimés, veut dire « élevez-vous comme je vous ai élevés » par mon regard, par mon intention. En haut, en haut ! Pas en bas.
C’est ce que signifie la révolution ; il n’y en a qu’une seule, puisque de structure de conscience il n’en existe qu’une seule, quels que soient les contenus, identités, images, corps, etc, mais à chaque fois une par une, un arc de conscience à la fois, c’est précisément l’orée de ce que l’on nomme « dieu comme système du libre pur » ; l’énigme que parfaitement semblable comme structure d’arc, chaque conscience soit une et une seule ; le grand challenge de ce qui existe, autant que l’on sache. Liberté-égalité-fraternité reviennent à élevez-vous les uns les autres. Et il dépend de tous et donc de chacun. Inutile de pleurer sur le non-sens : si vous n’êtes pas capables de dresser le réel de par votre seule force, il n’arrivera pas. C’est simple, c’est clair, c’est limpide : ça vous jugera, et durement, ce qui veut dire logiquement. Votre incapacité de tirer du possible que le libre soit le sens même de la réalité (qui donc n’en a pas), votre incapacité vous jugera de fait ; vous disparaitrez.
Répétons : c’est ce que vous décidez qui arrivera ; le réel qui arrivera vous n’en trouverez absolument aucune trace préalable dans le monde, le vécu ou selon ce corps-çi. Parce que ce qui arrivera c’est ce qui attend sur le Bord du monde et du corps ; ce qui attend dans le présent. Et il y a un présent pour que précisément ce qui n’est pas (ce qui n’est nulle part) existe (en sortant du réel qui nous observe par le devant, par le présent). Sinon un « présent » ça ne servirait à rien, ou il n’existerait aucun présent (et donc rien n’existerait du tout).
En bref nous sommes naturellement pour ainsi dire au bord de l’abîme ; c’est notre position telle quelle et sans recours aucun sinon nous-même ; si on ne se décide pas pour que le non possible existe, il reviendra au monde de réaliser tout ce qui est et jamais dans le présent ne surgira le « qui n’est pas » (ce que tente de décrire Badiou soit dit en passant). Nous ne sommes pas angoissés pour rien ; ça se joue de fait ici même, ici et maintenant ; tout maintenant est l’instant unique qui (se) décide. Ou si l’on préfère le rapport, à quoi tout revient, se rapporte à lui-même (engendrant tout) et se décide continuellement. Et probablement, aux plus hauts des cieux, le Un continuellement se remodèle et devient autre, encore toujours plus autre que lui-même : nous aurait-il envoyé quelques christs ici et là, afin qu’au travers de la temporalité il s’augmente plus encore ? Le présent serait alors le ruban enroulé de toutes les réalités et tous les êtres, qui ne cessent pas de s’intensifier, et de sorte tout serait libre depuis toujours et la liberté le moyeu, l’exister, l’axe même de tout l’être, l’être comme autant d’effets et peut-être toujours encore plus d’effets. Les signes viendraient alors du futur ontologiquement parlant puisque le présent est un acte.
De là qu’il y ait suite à tous les mondes particuliers l’invention et la découverte du monde donné-là et du corps tel quel ; les grecs et le christique (monde unique universel et corps singulier). Le christique prenant bien plus une ampleur incontestable (votre être, votre vie de la naissance à la mort, perçu à partir d’un point-autre) se permit donc de reprendre l’intégralité de l’antiquité ; c’est à partir de la forme individuelle que l’Europe a pu recréer toutes les universalités et évidemment toutes, chaque individualisation.
Or cependant le mal consiste à désirer tel objet, une partie du monde, en oubliant que le monde comme horizon formel est réel ; c’est choisir (et donc croire à l’individualité de cette élection) une partie, plutôt que non pas le tout (qui n’est pas, dixit Kant) mais plutôt que l’horizon. On ne possède pas un objet, on est absorbé par lui ; n’est conforme à notre structure que l’horizon et non des parties démontables de monde ; si le mal est le mal c’est qu’il réduit la vision à une partie et ce qui est du monde (qui n’est composé que de parties) meurt, disparait, souffre, s’affaiblit, se dissout ; mène à la mort intentionnelle en tous les cas, qui s’absorbe dans une obsession.
Et c’est en ceci que les mondes seulement libres s’enfoncent dans les objets de désir individuel ou conséquemment dans les empires qui imaginaient se confondre avec le monde comme un tout (romain ou américain, à partir de la Grèce ou de l’Europe et de la France). La logique anglo-saxonne est celle du libre individuel sans médiation ; la seule médiation qui puisse raisonnablement affecter les libertés nait de et par l’égalité ; de là que la révolution affirmèrent liberté-égalité-fraternité ; que les objets du monde, les parties cessent, un temps du moins, de séparer les sujets et qu’ils se conçoivent comme égaux et puissent relever d’un bien plus grand possible, devenir, réalisation. Cela seul confère un dynamisme qui autrement tombe dans le monde, dans la lourdeur collective morcelée ou individuelle dissoute. Parce que le désir dissout bien sûr l’intentionnalité, sous couvert de libération ; c’est l’horizon du monde qui enferme l’intentionnalité et l’horizon du monde c’est la mort.
La violence et la mort. Quoi d’autre ? Quoi d’autre que le monde et le corps sinon la violence et la mort ? On n’exalte le monde que de n’y être pas, y tenir c’est déchiqueter : percevoir s’effectue du point dégagé. Qui succombant à l’attirance, sait percevoir à partir de l’horizon qui n’apparait jamais, qui est ce en quoi apparait le reste, s’obligeant, impératif catégorique, réintégrer l’ensemble de toute la parution. L’horizon de son art, de sa vie, de son intentionnalité, quelle qu’elle soit.
Aucun objet n’est l’horizon et tout objet fait-croire qu’il existe un tout du monde, se présente comme le prototype d’une totalisation illusoire du monde, de la vie ou du corps. Si il n’est aucun objet, ni aucune partie du monde, pas plus de représentation ou de signe qui signifient le Bord ou de l’horizon, alors le Bord et l’horizon relèvent de l’instantanéité de la structure. Et l’instantanéité est le seul réel, mais alors par et selon un surcroit inimaginable. Qui ne parle que de la forme. Par ex du christique, ou de Rimbaud ou de Descartes, de tout ce qui s’adresse, renvoie l’adresse par-dessus. Ils furent des millions à croire à la révolution, puis aux possibilités de diverses autres révolutions, qui soulevèrent des foules. Ils en aimèrent la forme, l’horizon. L’instantanéité est autre puisque le présent, qui n’est rien de stable comme on l’aura remarqué, est l’acte brut. Tout se replie sans cesse et ne pas y croire c’est tomber dans le dedans du néant, de la destruction et de la mort.
Le présent est l’arc immense qui crée tous les mondes, chaque monde est une boucle à la surface, la même unique surface, et chaque monde est lui-même une surface, et à la surface de chaque monde quelques êtres formant un arc à part soi, de sa surface propre en tant que corps ; dans l’unique rapport gigantesque quantité de rapports, mondes ou êtres. Les réalités dans le réel sont de la sorte des plans, sur lesquels se créent d’autres plans. Puisque tout est rapports parce qu’il n’existe qu’un seul rapport. Parce que toute matière ou énergie s’effilochent dans le rien infini, ça n’est pas tant la matière ou l’énergie que ces mouvements supposent, ces vagues de réalités à la surface, que le trajet de tous les tracés, de chacune de ces formes.