La philosophie contre tout ce qui est, partout
S’il est donc une objectivité, cad la tenue d’un discours abstrait, sur les réalités, il n’est pas, au fond, de décloisonnement, de sortie de l’incrustation de l’individualité de lui-même ; il est planté dans et par la parole. La parole entendue est celle qui compose forcément naturellement toute la réalité en tant que l’on y est. Ce qui est prononcé devant soi, autour de soi, par tous ou quelques-uns, dans le vécu même, est toujours préalable à toute position qui se tiendra ensuite comme abstraitement ; dont l’objectivité (scientifique ou technologique) ou l’objectivité (culturelle, de systèmes représentant séparément la réalité, dont la philosophie). Le brouhaha en résulte, de cette parole multi prononcée contre laquelle on ne peut rien, puisque pour l’entendre, il faut la comprendre, et déjà la faire sienne, l’intégrer ou plutôt s’y intégrer soi, étant donné que parlée, la parole situe de facto chacun là où il est.
Et ainsi non seulement on ne peut que s’y intégrer (sinon on ne comprend rien à ce que les autres, tous les autres disent, ce qui est plutôt dangereux), mais de plus elle est parlée dans les faits, dans les faits du monde ; elle ne transmet pas seulement une information, mais un état du monde et une situation de soi dans ce monde, dans telle manière de monde. Lorsque l’on prononce abstraitement une phrase, on tient au bout de cette phrase ; on distingue bien nettement ce que l’on dit, mais non pas tous les tenants et les aboutissants que causera cette phrase dans telle ou telle situation. De même, toute idée de soi se tient pour séparée et distincte, on en est sinon obnubilé, du moins sommes-nous focalisés en cette intention-là ; on ne saisit pas toutes les causes adjacentes ou primordiales qui nous forment à cette idée de soi ; cette idée de soi se déduit presque de tout ce qui nous précède et dont on n’obtient pas l’exhaustivité. On en a l’idée conclue, rien de plus. Chacun est de soi l’idée conclue de tout ce qu’il ignore qui le précède.
Pourtant même si l’on ne saisit pas tous les effets de telle phrase dans telle situation, on en mesure malgré tout relativement les conséquences ; selon que l’on est plus ou moins intégré au monde alentour. De même, on en conclut plus ou moins habilement une idée de soi à propos de tout le précédent ; tout dépend de telle situation en laquelle on se retrouve, mais on en peut décliner l’idée de soi suffisante ou non.
L’idée philosophique brise nette les situations de départ ; aux situations si précises, on oppose une aperception qui provoque les belles critiques de toutes sortes ; cette aperception de soi serait une illusion. C’est une illusion que partage chacun en ce qu’il se croit, spontanément, maitre et possesseur de son destin.
Il ne s’agit en général pas tellement de penser adéquatement selon un objectif précis, mais faire le tri et d’obtenir une visée ou vision pertinente qui juge du seul point de vue qui se tienne.
Aussi se tient-on unilatéralement et sans scrupules, au-dessus des objectivités et des dites subjectivités ; il y aurait un point de vue imprenable ; ce que tout le monde conteste. C’est en plus de tout que ce point de vue se veut ; il s’ajoute et, dit-il, relève d’une définitive perspective qui les contient toutes.
Au sortir de la Parole qui nous parle et pense notre vécu, perméable à toutes espèces de causes, masse gluante de tirebouchonnées impossibilités, la philosophie dit ; pas grave, il y en a en plus, du réel.