Le sujet désespéré, le moi déprimé
Rappelons que l’individualité est originellement un corps vivant coupé en deux de bas en haut, par le signifiant ; de bas en haut cela veut dire que dès lors ce vivant est déraciné, coupé de lui-même, il n’est plus le corps qu’il est, mais une distance qui ne correspond à rien, puisqu’alors elle s’institue vis-à-vis d’elle-même ; soit donc un rapport ; ce qui existe en tant que rapport est (avant toute autre détermination) ce rapport lui-même. Il peut nommer cela « maya » ou dieu ou pensée ou sujet ou réel, ce sera un signifiant qui se re-désigne et donc échappe, en cette minuscule part, à tout le reste (sinon cette distance ne serait pas un rapport, mais un être).
Le sujet en tant que rapport sent bien qu’aucun contenu n’arrive à la hauteur de son être à lui, qui justement n’est pas un être ; Hegel et les allemands, idéalistes, s’useront à tenter d’élever (croient-ils) le sujet à la valeur (supposée) du concept ; mais ça n’est pas un concept. On prétend, ici, qu’il est beaucoup, beaucoup plus grand que n’importe quel concept (ou à rebours, que dans un concept il tend bien plutôt à s’oublier, à dénier, à étouffer son Existence).
Coupé en deux, mais dont l’un des « bouts » du rapport manque… or si un bout du rapport manque, l’autre bout manque également ; c’est non pas le début ou le terme qui comptent mais le rapport lui-même, ce mouvement ; le pur et simple étant entendu que le rapport ne signifie pas ceci ou cela (sinon comme signifiants représentatif, qui de fait s’instaure comme pur signifiant ; dieu, l’être, le je, le réel ; sont les formes, les formules vides, vides mais formelles et donc encore plus existantes que n’importe quelle détermination, l’exister étant plus grand que l’être),
mais se signifie lui-même ; en tant que formel, il se situe hors de tous les contenus (et ainsi peut broder des contenus qu’il saisit ou plus encore inventer tous les contenus qu’ils lui seront nécessaires) ; il suffit, on s’en souviendra, d’un minimum de décalage, dans l’arc de conscience pour instancier quantité de possibilités ; la moindre variation de signes modifie la phrase, c’est connu ; il est largement plus facile de déplacer des signifiants, plutôt que de mouvoir les choses… jusqu’à ce qu’ils puissent s’incruster dans les choses mêmes, par la pensée (qui rend accessible l’humanisation, par la raison ou par le christique, qui donne à chacun … qu’il soit chaque un), et donc plus généralement par l’intentionnalisation (registre total, tandis que l’universalisation, rationnelle, est relativement limitée ; ou dit autrement l’intentionnalité, qui conquiert toute l’humanisation puis toutes les personnalisations, est plus grande que la rationalité, ce qui ne retire rien à celle-ci, au contraire).
Mais donc le corps est coupé en deux et ne sait pas de où existe cette coupure ; pour l’animal vivant « il est perçu » ; ce qui est synonyme de danger (si je suis vu, je vais être mangé, en résumé) ; source paranoïaque complète mais également nécessité de tout signifier, pour le parano tout est signifiant ; ou de signifier au maximum ; puisque l’on n’est plus limité par la rigueur du groupe, qui devait veiller à la stricte transmission du trésor du langage, et dès lors se déploient quantité de langages, les maths par ex, les esthétiques, les littératures, les philosophies, etc, y compris un début de personnalisation).
Qu’il soit un rapport et qu’un bout soit insituable, rend le rapport lui-même insituable ; puisque son contenu, réel, dès lors, échappe ; il renvoie (éternellement ou infiniment) à lui-même (mais un lui-même formel, qui lorsqu’il adviendra comme moi, cad en tant que personnalisation suivant l’humanisation universelle de la révolution, se prendra pour son corps, sa vie vécue, chaque vie vécue est envoyée vers elle-même, règne de l’individualité brute). Il pourra cependant, inversement à cet égarement ou déréliction, s’inventer et inventer sa représentation, son corps à nouveau vivant. Évidemment si il y eut le Corps du christ, ça n’est pas pour rien ; chacun pût alors percevoir en négatif pour ainsi dire sa vie en tant qu’existence (ce que l’on a traduit alors par ; le christ est le Vivant, que nous réintroduisons en tant qu’il est l’Existant, celui qui transforme les vies en existences qui se désignent elles-mêmes, via le christique d’abord ; ils sont perçus par le dieu Existant, puis réintégré en chacun par Descartes ou la révolution, chacun advenant alors à soi-même.
Le je fut d’abord ce sujet du désespoir, puis au 20éme le moi déprimé ; différence entre l’individu célinien et le moi houellebecquien, somme toute (la dérision en est comique, en mesurant l’envergure du premier et l’incohérence ou la délictueuse qui noie le second, mais c’est aussi sa finalité). Pareillement il fut le sujet nietzschéen ou quelque enthousiasme que l’on voudra, Rimbaud par ex, qui se double d’un anti-héros, tout comme Nietzsche soit dit en passant) et à partir de la moitié du 20éme le super héros représentant le moi individuel énormisé et fantasmatique (ou faussement fantasmatique, puisque le fantasme est bien autrement psychique et non pas psychologique, différence entre le behaviorisme et la psychanalyse au fond, entre l’apparaître et le signifiant, le conscient dans son durcissement et la compréhension par l’inconscient réel ; le super héros est un super moi, qui répétons-le, ne relève pas du fantasme au sens psychanalytique, mais du fantasme psychologique, qui vise à illustrer ou renforcer la cohésion du moi et qui, a contrario, le dissout dans l’irréalisme, du fantasme d’objet ou son corollaire le « leader », le « führer », de mégalomanie disruptive ; soit le pseudo sujet irréel, soit l’objet inerte, que l’on fait passer pour le désir).
Le sujet, à l’époque moderne, c’est retrouvé déjeté dans le grand monde, soit donc l’univers, et ne sût plus comment récupérer ses billes.
Il faut saisir d’abord que le sujet moderne est délivré, tel quel, libre, ce qui veut dire supposément un. Autrefois le sujet s’échappait hors de lui-même, par dieu, la pensée ou le sujet christique (et avant le christique, il n’existait pas de « moi » ; évidemment chacun comprenait bien qu’il existait en tant qu’individu, mais cette individualité n’entrait pas dans la représentation ; il était homme ou femme, libre ou esclave, riche ou pauvre, païen ou juif ou de tel ou tel groupe ; par le christique il est « vu », regardé lui-même en tant que lui-même, et certes égaré, perdu, pécheur, mais récupéré par le regard du christique ; il se percevait donc en cette représentation, par une sorte de négativité ; une négativité alors même qu’aucune positivité ne lui venait spontanément, ni réflexivement ; en fait il faut attendre Descartes pour que dans la représentation, le sujet s’introduise, lui-même, comme positivement existant ; il est libre, la liberté en lui ou sa « volonté » est le sceau-même de dieu ; et étant libre il faut front avec-lui-même ; de là qu’il se devait que ce soit au moins un, un seul, tout seul, qui revendique cette existence ; il a pour nom Descartes (même si il y en eu auparavant et qu’il y en aura ensuite, « Descartes » est une marque, un signe, une balise, un repère et évidemment en tant que particulièrement bien détouré, dessiné, exprimé, et planté là sur toute l’étendue du monde, ou version pascalienne perdue dans l’étendue des espaces infinis ; Pascal invente le signe du « moi », comme Descartes celui du « sujet ».
Blaise crée instantanément le champ existentiel (jusque Céline et Sartre, entre autres) ; au lieu du flamboyant je cartésien, lucide, courage, généreux, qui comprend sa capacité de créer des rapports (que lui délègue dieu, le Grand Rapport de tous les rapports, et vers lequel légitimement tout converge, perfection de tous les rapports, ce qui veut dire de toutes les distinctions ; rappelons que le rapport est en lui-même distinction, distinctif, et emporte toutes les déterminations ; les choses sont des distinctions qui se définissent de se distinguer, l’espace temps est lui-même l’opérateur de toute la singularité, pierre angulaire de tout ce qui est, et ce sont des distinctions, ce qui veut dire des mouvements). Blaise qui se rapporte aussitôt au seul grand rapport qu’il sait ; le christ.
Et c’est à la fois rené et Blaise qui ont gagné ; l’un comme l’autre.
Le premier, rené, parce que toute individualité se signale du sujet ; et le second parce qu’effectivement en pleine déprime, le sujet devient un moi. Et il y eut une effusion de mois.
Le sujet est celui qui fait retour sur lui-même et obtient un repérage de son être, qui se transforme donc en existence ; le moi se constate tel quel, et croit que son être est « là », composé de monde, de réalités, de vécus, de désirs et d’objets, d’images et au fond d’une identité.
Bien sur à la fois chacun est plus ou moins un moi et plus ou moins un sujet. Par exemple le roman permit à quantité de mois d’apercevoir leur sujet. Puisque dans le roman est exprimé et représenté, ce qui rend possible la personnalisation d’un sujet (on se souvient de Werther…)
Le sujet est la forme théorique, théorétique du je ; le moi sa formule selon le monde, la vie, vécue et le relationnel humain, humanisé ; et le « je » est la forme originelle indescriptible, qui ne rentre en aucune désignation (et encore moins en un concept) et tel qu’il se prononce et dit « je ». Et ce je n’est accessible qu’à lui-même (et à dieu, et vis-à-vis de l’universel il est antérieur et in-finiment supérieur à l’universel, il en est la forme native, bien plus grande).
On a vu que si l’être humain est divisé, c’est de bas en haut, et que cette division est première et aussi dernière ; aussi faut-il comprendre le mouvement et non quelque illusoire effet ou résultat, qui ne permettent jamais de remonter jusqu’à la structure du mouvement). Le moi déprime parce qu’étant intégralement constitué à partir du mouvement, il n’éprouve plus aucune velléité d’intentionnalisation (de désir, dit-on, dans le vocabulaire naturaliste supposé réaliste des deux derniers siècles) ; supprimer le mouvement, tout s’effondre, toute la construction du moi, qui est un bricolage vite-fait, et ne tient que de son intention ; rappelons que le christ « jugera » cette intention ou plus exactement, comme le christ pardonne, tout, c’est cette intention qui se jugera, qui découvrira la finalité qu’elle voulut se donner durant sa vie vécue, son existence ; en quoi on apprend ceci que l’intention est bien un rapport qui connaît sans doute ses départs et ses égarements, mais ne connaît pas à tout coup ses aboutissements et ses résultats réels …
Ce qu’est bien venu signifier le christique ou ce que cet événementialité nous à prescrit ; nous révélant ou nous instruisant que notre être (qui n’est pas un être) est un rapport, et que donc dès son actualisation, dès son émergence il est-déjà plus-grand que lui-même ; un rapport c’est, littéralement ce qui existe déjà encore plus (sinon il ne serait pas rapport ou alors on rétrograderait le « rapport » à tel ou tel contenu, toujours réducteur, serait-il, ce contenu, la pensée, la raison, le désir, etc).
Ne plus désirer d’objets ou se rendre compte que notre « désir » n’a pas du tout d’objets, mais qu’il doit se saisir lui-même comme structure, cela ne peut s’effectuer que de reprendre l’ensemble si possible ou à tout le moins une des possibilités dans l’historicité même ; dieu, la pensée, le sujet et le réel. Mais il est bien clair que le trajet complet seul offre « d’en être saisi ». par quoi seul il existe en tant rapport, lequel est déjà plus grand que lui-même.
Aussi peut-il se glisser dans ce rapport quantité de nécessités ou de causalités, évidemment, mais aussi un ou des inconscients ; qu’elle soit un rapport est effectif dans le moment du rapport, qui est tout à fait minuscule (mais ce décalage suffit pour transformer de fil en aiguille, mais parfois brutalement ce que nous sommes ; l’exister est déclenchant, l’actualité déploie son propre champ, puisque l’intentionnalité est un champ (qui n’existe que dans l’activité).
L’analyse du moi déprimé ou de sa sur-amplification par le règne du désir, et donc des objets de désir, est évidemment considérable ; c’est l’entièreté de ce qui fut inventé depuis la révolution, et ce, souvent, envers et contre le christique ou le philosophique ; qui conseillent bien plus la régulation des désirs, en tant que fausses résolutions et de toute manière résolutions indéfinies en nombre, puisqu’aucun ne parviendra au niveau de l’arc de conscience ; il n’y a de désir (toujours non naturel) que d’un champ intentionnel, qui ne s’adresse que secondement à telle ou telle partie de monde ou de vie vécue. Rappelons qu’autrui n’est envisagé que dans et par le christique, ou dans et par la liberté cartésienne, etc. Dans le même temps tout sujet (théorétique et formel) devait s’incarner, c’est manifeste, et le christique aussi absolument révélateur qu’il ait été, nous enquérant d’une transparence exhaustive sur notre existence, notre exister, la structure existentielle réelle du rapport, devait nous déléguer la capacité d’inscrire de nouveaux rapports en quantité et en pertinence et en précision.
Le ‘négatif’ christique avait pour but, fonction et peut-être finalité (pour les croyants) de rendre accessible le positif du rapport en et par chacun (via ce négatif qui n’en est pas un, et qui consiste en « être vu » et ainsi signifié, ce qui n’eut jamais eu lieu auparavant, un par un, et d’intérioriser ce regard, jusqu’au point où suffisamment certain il s’extériorise de et par lui-même, cartésien ; afin d’obtenir ce regard sur soi, ce qui n’a pas manqué, St Augustin par ex ; rien ne peut, dans le monde, s’opposer au regard divin). Investissant que chacun ait une vie vécue et donc un ensemble infini de rapports potentiels ; il est autre, cad divin (le sacré est une partie réservée du monde, le divin existe séparément, puisqu’il est l’intention, formelle et non composable, originelle ; créateur de tout ce qui n’est pas lui, et donc de « tout »). il est autre parce que le rapport n’est aucun de ses contenus (ni donnés, ni inventés, ni potentiels). On ne crée pas des contenus (on les compose, d’éléments donnés là) ; mais ce qui est créé ce sont les intentions (qui manifestent quantité de contenus ; retirer le regard le tableau n’est qu’un mélange de taches, qui ne parle à rien ni à aucun autre vivant) ; qui sont autant de tissages de rapports, effectifs dans et par un champ intentionnel, quantité de champs intentionnels ; soit donc l’historicité.