Le moi et la liberté
Si l’on passe outre les agrippements modernes ou post modernes qui voudraient nous convaincre de la discontinuité de la pensée, il faut alors considérer la totalité du déroulement du sortir des mondes locaux (monde immédiat-langage-groupe) jusqu’à l’explosion contemporaine ou peu s’en faut de la personnalisation.
Notre monde humain se caractérise par ceci qu’au 20éme il fut inventer le moi. Le moi comme continuation de l’humanisation elle-même fondée par l’universalité (de la raison, des sciences, du conscient, de l’Etat ou du droit, de la culture universelle nommée acculturation généralisée, etc). La personnalisation est donc un acquis absolu par lequel chacun fait retour à soi, mais contrairement à l’humanisation et l’universalité, le moi est fondé structurellement sur le libre-même (et non sur l'autre principe ; celui de vérité-il-y-a).
Il faut donc en conclure que le libre est lui aussi la réalisation de l’universel, en tant que l’universel, devient, s’incruste, se réalise, se rend réel ici même en et par chacun. On voudrait nous convaincre que le libre (puisqu’il est retour sur soi) se fonde lui-même et n’a d’autre paramètre que sa seule volonté. En réalité le libre n’est possible que comme surcroit de l’universalité et de l’humanisation ; sans quoi le libre disparait, cesse, s’anéantit, se rend en un mot impossible.
C’est que l’on crut pouvoir se passer de l’universel et de l’humanisation, et les remplacer par une sorte de spontanément soi et d’évidences des finalités qui naîtraient de la nature humaine en tant que libre, en tant qu’êtres libres, qui seraient si immédiatement eux-mêmes qu’ils trouveraient bien les fins leur convenant et de cela automatiquement réelles et donc vraies. (on voit donc que le principe s'inverse ; le vrai ne résoud plus le réel, mais le réel le vrai).
En fait chacun peut bien croire en cette finalité immédiate, mais chacun se situe déjà dans un monde humain (d’Etat et de droit, d’acculturation généralisée, de science installée, etc). de sorte que l’on ne peut qu’opérer une relativisation sur ce point de vue qui ne perçoit plus réellement ce qui est en jeu, faute de comprendre comme son être « spontané » est construit et préélaboré dans et par l’universel et l’humanisation.
Chacun en tant que moi tend à considérer son être comme absolument spontané, et croit en cette vérité. Il est absolument impossible de réduire cette croyance ; elle est incrustée et pourvoit à l’ordonnance même de son vécu ; le moi est indissolublement lui-même et reconstitue sa racine, son immédiateté et sa synthèse totalement en soi, au point qu’un décrochage hors de cette racine est une angoisse absolue, un déraillement, une perte ou qu'une synthèse absconse, absurde, délirante, rend impossible le vécu lui-même. Et cette synthèse est profondément enfouie dans le donné même du vécu.
C’est donc en plus, en-plus, que s’installe non seulement l’universel (qui décentre le moi, ou la synthèse fut-elle celle d’un groupe) mais aussi que s'anime le libre réellement consenti ; le libre comme élaboration. Ce qui n’est pas évident du tout, tant le libre se confond pour le moi avec son désir (et fondamentalement son désir d’être, jusqu’au sens psychanalytique lacanien ; dans la ou les racines de sa synthèse immédiate, du corps-le-là).
Pour tout moi, incrusté en sa synthèse indissoluble, non seulement la vérité et l’universalité, mais aussi le libre-même sont non pas de l'immédiateté mais une construction, une élaboration ; on n’est pas né réflexivement, on le devient, et on le devient forcément (conformément à notre être, au sens où l'on est-libre de fait, mais non pas tel un état inerte, évidemment), mais l’on peut accueillir, ou recueillir ou augmenté (par l’universel) ou accéléré (par le libre assumé) cet être. Sauf qu’il faut bien être conscient qu’en aucun cas l’accession au libre et à la vérité comme principe, est périphérique, en-plus, et ne dénoyaute pas le moi dans sa synthèse spontanée.