Le corps augmenté
L’extension du corps, soit donc le résultat qu' implique l'investissement dans un corps vivant de l'autre-surface, celle des signes, signifie ainsi que ce corps, jusqu’alors seulement vivant, perçoit plus.
Et il perçoit considérablement plus. D’autant que si jadis il était limité par le trésor collectif, communautaire du langage de chaque monde séparé (maya, égyptien, etc), depuis que le judaïsme lance le dieu un unique formel et tout-autre (cad l’intention purement formelle, le premier rapport, qui crée tous les rapports suivants) et depuis que les grecs inventent au-devant le monde donné-là (le monde unique en dessous de tous les autres mondes humains séparés) et depuis que le christique impose que chacun soit infiniment lui-même, puisque chacun est le rapport-à-(soi), et le corps de chacun symbolisé par le-corps-du-christ, alors l’intentionnel, le monde universel, le sujet se sont effectivement produits tels quels dans l’historicité de la réalité (et il y a historicité de par ces trois là),
Alors l'historicité connaît un démarrage fulgurant qui implique que chaque conscience non pas soit elle-même, mais le devienne. Le temps devient la substance même du devenir, puisque s’entame le Possible.
(comme illustration parlante de ce devenir des rapports possibles, dieu, pensée, sujet, réel, pensons à l’extension potentielle du nombre, les mathématiques ; les nombre est et n’est rien que le rapport à soi de n’importe quelle unité, toute réalité peut théoriquement être comptée)
Raison pour laquelle furent et surent se créer des littératures et des esthétiques. En vérité, l’ensemble de toute la représentation (outre la nécessité d'organisation interne de tout monde humain) aboutit à étendre la perception. Sinon, serait-ce pour contempler le Beau ou le Vrai ? Bien plutôt afin que le réel soit. Et le réel est l’ensemble de tous les devenirs, lesquels ne-sont-pas-connus. Si le devenir existe, c’est parce qu’il, le devenir, ne connaît pas ce qu’il peut (le réel est plus grand que lui-même, sinon à quoi servirait-il ?)
On a vu, ou à tout le moins dit, que le possible est ce qui oriente la réalité, jusqu’à ce que évidemment tout (tout le possible possible) soit réalisé. De sorte que tout le néant est, strictement pour le coup, réalisé (mais il n’a rien à prouver ni créer, et il est tout un, et en lui-même infini) et qu'à la toute fin du temps, de la possibilité de l’exister, tout l’être est devenu réel ; soit la finalité est la réalisation possible du possible.
De ce qu’il faut exprimer, cela veut dire que dans l’apparaitre du présent, comme actualité et donc comme activité, vient à paraître le possible, cad ce qui peut être. Ou inversement, nous apparaît cela qu’expose la poétique, la littérature, les esthétiques, et en leur mode les sciences, mais également il dépend de chacun qu’à partir de son moi, il se dispose au je, et qu’il puisse entendre sa subjectivité en ses possibilités absolument hyper objectives ; c’est ce qu’a voulu Baudelaire.
Le champ de correspondances, dont on se demandait bien ce qu’il prétendait (sinon une facilité banale du poème en général), peut enfin être développé comme résonnances ; résonance, autrement dit correspondances, ou plus précisément échos qui doivent être prononcés afin que, nous revenant, il se draine l'ensemble ou les plus grands ensembles possibles de rapports que tout au lointain, serait-ce la mort ou la décomposition du monde, tels qu’ils reviendront à l’écoute. Et ajoutons que les étendus rapports tissés par la poésie qui affronte tout ce qui est, tout ce qui est donné, mort et déchéance, horreurs et jouissances, délires et vapeurs, vertiges et gouffres, s’imposent comme étant la poétique même, laquelle s’impose, donc, comme absolument objective. En quoi consiste cette objectivité absolue telle qu’elle s’impose à tout moi qui lorsqu’il lit se transforme en son je, son je impossible ; celui qui voit par devant, tout le temps, tout l’espace, celui qui voit à partir du possible qui sera et réunira toute l’indéfinie multiplicité des vies, l’indescriptible pluralité des mondes, l’irréconciliée réalité qui peut seulement se Voir depuis la fin de tous les temps.
C'est que dans l'actualité de l'écriture ou de la lecture, ce corps perçoit, perçoit d’autant plus qu'infiniment est écrite la lecture, est lue l'écriture. De sorte que les signes s'intègrent en ce corps, puisque ce corps est recouvert des signes ; il est l’autre-surface du corps ; coupé en deux de haut en bas, de A à Z, et ce, sans reste aucun. Sauf l’inconscient. Il y a un inconscient parce que le-corps, celui donné là, ne peut pas se transposer dans les signifiants (qui sont tous et chacun tissés de tous les autres signifiants). L’unité tendue en l’inconscient se nomme le moi. L’unité, impossible, du sujet se dit comme je.
Si il est un inconscient qui remonte à partir de la rupture du corps vivant que l’on est, il existe également un inconscient mais dynamique (du reste, l'inconscient interne est lui aussi insaisissable ; la ligne des signifiants se remodèle incessamment) ; puisqu’aucun signifiant ne contient la rupture du corps, sinon d’inconscient il n’existe pas, et qu’ainsi le défilement des signifiants se branche sur et par la dite rupture, qui alors donc ne cesse de tisser ; soit le collectif ou la communauté brode le retour du sacré (et sempiternellement, puisque cyclique) ; soit l’individu ne cesse de désirer, comme on dit, mais plus exactement de signifier (de là qu’il y eut quantité d’esthétiques, littérature, poétique, etc, et éthiques et politiques).
depuis la survenue du moi dans l’historicité (depuis les années soixante en tant que déclaration du droit formel de tout moi d'être lui-même, individuellement, en somme et grosso modo), celui-ci se couvre de signes, d’images, d’objets évidemment, et de toute une panoplie de communications, de recherche d’autrui, de soi, bref de tout, essayant, bien vaillamment de retrouver ou de ne pas perdre une spontanéité ; sans laquelle il s'égare, sans la répétition indéfinie de signes ou d’objets il annule son intention, entre en dépression (ou diverses folies, relatives ou graves, ou addictions, bref, ce que l’on voudra) ; il supprime son exister même.
Autrefois, il pouvait dès l’abord passer outre lui-même et se perce-voir via dieu, la pensée, le christique, la liberté ou l’humanité et la révolution, etc ; mais livré à son moi, à lui-même, il doit ouvrir en lui le désir de vivre, d’animer une vie vécue. Apparemment, soit il réussit, soit il manque sa vie et cela dépend de lui-même, mais nativement, il a obtenu la possibilité de s’orienter. Évidemment, on ne conçoit pas ici, nullement et en aucun cas, que l’on puisse “se perdre”, manquer ou faillir. De même pas plus que le moi puisse se suffire (à la mode nietzschéenne ou baudelairienne, entre autres) et qu’il se satisfasse des signes ou objets ou images (Baudelaire et le miroir : vivre et mourir devant le miroir, ceci dit non par auto satisfaction mais, baudelairiennement, dans la fonction cruelle de la description), développement personnel et bonheur assagie ou hystérique, etc, toutes les “solutions” que s’est inventé le moi pour se sortir de sa profonde et constitutive limitation.
(il s’est tellement objectivé, rationnalisé, socialisé, psychologisé, aliéné comme on disait jadis, qu’il ne - peut - plus rien excéder, intensifier ; il hait la philosophie, la métaphysique, la religion, le divin et même l’universel, puisque la rationalisation est devenue une maniaquerie et non plus l’ampleur de la pensée).
Limitation qui le juge proportionnellement à l'étendue de son intentionnalité ; croit-il vraiment qu’il puisse exister ou que quoi que ce soit puisse exister dans le grand possible ? Autrement dit, une « réalité », la réalité même est-elle concevable, admissible autrement que via et par la plus grande possibilité possible ? Et qu’est-ce qui peut assurer et assumer le dit possible, sinon ce qui existe « en rapport », se tenant en avant et en plus de soi-même, et donc déjà astreint à l’hyper objectivité ?
Ce qui veut dire que dans le moi, dans la vie vécue, on incruste ici, absolument, qu’il y a un sujet. Une structure absolument réelle. Le moi, dans ce piège historique immanquable, ne peut plus, ne sait plus admettre un arc de structure plus grand que lui, considérant qu’un tel sur-devenir nierait son être, et devenu incapable de comprendre qu’Arthur aurait pu rester Arthur, sauf qu’il est devenu Rimbaud.
Cela a-t-il amoindri son être ? (et bien que cela lui fut tellement difficile qu’il a dû renoncer, lui qui entendait tout le possible (et tout le passé), autant que Baudelaire écoutait toute la pluralité des horreurs et des extases du présent ; en quoi le devenir “sujet” n’est nullement une facilité ni une perfection acquise mais une lutte absolue).
Plus généralement on dira donc que le réel (le “réel) n’est évidemment pas la chose ou l’être déterminé (auquel cas tout cela s’effondrera, disparaitra, et cessant d’être plus rien n’existera, ce qui est identique à une réalité non seulement absurde mais idiote),
mais le “réel” est la forme avançante (raison pour laquelle il existe un présent ; afin que le possible advienne) et si l’activité du réel est le devenir, alors son principe est le possible (et non un ordre déjà réalisé on ne sait où) ; mais si le principe est le possible alors il n’est qu’un seul résultat admissible et digne ou au niveau du principe ; et ce résultat est le possible lui-même ; le possible réalise le plus grand possible possible.
De même que toute œuvre (esthétique, poétique, politique, etc) a pour finalité d’augmenter la liberté de tous et de chacun ; de même que la philosophie apprend à penser et non telle doctrine, pareillement les esthétiques apprennent à percevoir (le monde, la réalité, la phénoménalisation reçoit par telle et telle œuvre une extension in-définie, une extensivité à chaque occurrence par toutes les œuvres ; rappelons que par « œuvres » on entend aussi bien les esthétiques que les éthiques, etc).
Ce que l’on a traduit ici comme ce corps recouvert de signes, comme autre surface du corps donné là vivant, et ajoutant cette perception, via les signes, les signifiants. Dont les horizons s’imposent ainsi comme dieu, la pensée universelle, le sujet (christique et cartésien), le réel. Ce qui se signale comme Rapport (le rapport distinguant explicitement le signe comme tel). Comme on verra.
Que le “réel” soit un “rapport” nous le rend quasi adéquat et compréhensible ; ça n’est pas un “être” mystérieux, dont la consistance nous subjugue certes, mais nous perd, nous exclut. Le rapport implicitement signifie en et par la structure de notre “être” (qui n’est pas un être mais un exister, un possible, un intentionnel ; et c'est cet activisme extrême qu'il faut penser).