Puisque les théories, diverses et variées, sont si obnubilées de définir notre être comme désir, il faut bien voir que ce faisant c’est juste une manière de laisser libre court au corps, et bien que de cela on traficote tellement notre supposé désir qu’il n’a plus rien de naturel, de donné, de déterminé, mais s’ébaudit d’une surnaturalité très bizarre, voir au pire d’un fourre tout qui laisse passer les plus immédiates expériences, très amusantes sans doute, mais qui ne mène qu'au retour, à la dissolution dans le monde (le monde étant naturellement porté à se dissoudre, voir à mourir, comme chacun sait).
Donc pas de sortie de ce côté-là. De ce côté-là on va recycler mille fois les mêmes déterminations ; et ce pour une logique très simple qui consiste à présupposer que dans le monde il n’est que du monde, que de la détermination ne résulte que de la détermination, et que sinon on ne peut pas penser ; sinon de croire, s’imaginer, hypostasier, s’illusionner que dans le monde, dans le vécu, dans le corps, il est autre chose que le monde, le vécu ou le corps.
On peut saisir ce dont il est question dans un tout autre registre ; l’Etre heideggérien n’est rien qu’un fantasme philosophique et ce bien que l’intuition, la perception, la saisie heideggérienne du problème essentiel soit parfaitement juste et extrêmement clairvoyante ; autrement dit la question est formidablement posée (comme elle ne le fut jamais), mais la réponse est délirante, structurellement délirante (ce qui veut dire que même cette erreur est significative au plus haut point, c’est la différence entre une erreur banale et une erreur philosophique … comme la philosophie part, et revient, de la réflexivité, lorsqu’elle se trompe ce sera si rigoureusement, étant pris-dans la structure même, que les déviations sont excessives et excessivement parlantes ; elles montrent).
Et donc le désir est une sorte de prétexte qui sous couvert de localiser notre être dans le monde (le désir est censé appartenir ou se causer du monde, ce qui rassure en ceci que si il est du monde on trouvera les idées qui le répertorient) ne manque pas pourtant de s’évaser infiniment, selon l’inconscient, le langage, le corps, le sexe, la mort, les autres ou l’Autre (autre sorte de succédané de dieu ou plus réellement du christ, ce qui est encore plus retordu), et de la sorte tout en faisant semblant de théoriser en dur (par des déterminations, du mondain, du donné, du corps, des pulsions ou des sortes de trucs dans le genre) on s’évade infiniment, et on ment à tout le monde.
L’ancienne métaphysique (des grecs à Descartes) ou l’ancienne ontologie (de Descartes à Husserl) ne mentait pas ; elle dénommait littéralement notre être comme pensée (cad un vide formel ; l’être, de si grande renommée, est forme abstraite vide, et c’est pour cela que via l’être on a pu découper extensivement ou intensément toutes les réalités) ou comme sujet (un vide structurel, et par ce sujet on a créé Kant, Hegel, Husserl).
Tandis que lorsque l’on en a voulu à la pensée et au sujet (de ne pas tenir ses promesses … on se demande ce que l’on entend par là, parce que la pensée a créé des quantités de possibilités, des universalisations dans tous les sens, des systèmes et des vocabulaires entiers, et que le sujet cartésien est au fondement de toute révolution, un sujet qui se tient de par soi est libre, au sens ontologique, et on passe sur l’Etat, le droit, la constitutionnalité des sociétés humaines, les sciences, etc),
tandis que l’on en a voulu à la pensée et au sujet, on a remplacé ceux-là par des « choses », des trucs, des machins, encore plus abscons (l‘inconscient, le corps, le langage, l’économisme, la neurobiologie, le structuralisme, tout ce que l’on voudra), et plus abscons non en eux-mêmes (il est tout à fait nécessaire de penser ces compositions) parce que l’on a chargé ces représentations de la puissance du structurel (que formulaient la pensée et le sujet) alors que justement ces représentations, très déterminées, sont dans l’impossibilité d’assumer ce qui dans le vide de l’abstraction « être » ou dans la positon excentrée du sujet se traduisait sans s’épuiser ; on obtiendra alors une « volonté », un inconscient, un langage, super doués, qui tiennent leurs fabuleuses possibilités on ne sait de où ; et chacun y va de sa recette, toute grosse de capacités nerveuses en somme.
La position de base est tout à fait simple (bien qu’incompréhensible si l’on veut s’en saisir métaphysiquement ou ontologiquement) ; lorsque l’on aboutit au sujet (qui n’est pas créé par Descartes mais dont Descartes rend compte, il le montre, il montre ce qui est et ce qui sera actif, y compris en de tout autres domaines que la philosophie, évidemment), aboutissant au sujet on y reste. On va s’imaginer, à partir du sujet, comme « volonté », comme désir, comme structuralisme ou comme neurobiologie.
Et de la position du sujet (qui est alors rapidement partagé par tous et partout), on théorise la science, le droit, la révolution, le langage ou l’inconscient, autrui ou la matière énergie, etc. Depuis que l’on a obtenu le sujet, on n’a plus besoin de la métaphysique (Descartes le sait et pense ce fait monumental), et on n’a même plus besoin de Descartes ; le sujet n’est pas une création culturelle, c’est une position acquise dans le réel ; pas besoin d’avoir lu Descartes pour être sujet et du reste une révolution, un Etat, un droit se chargeront de propager tout structurellement le statut de sujet à quiconque (et ce quiconque s’en formera un Moi).
Les idéalistes allemands s’aperçoivent bien de ce fait énorme ; mais ils s’embarquent pour penser ontologiquement le sujet dans de tels circonvolutions (toutes absolument passionnantes) qu’elles sont impraticables (et pourtant toutes nécessaires, à la pensée exacte près). Le fait majeur étant ; un sujet sait qu’il existe. Et dans cette tenue vers lui-même il sait tout ce qu’il y a à savoir, mais on ne comprend pas ce que cela signifie…
Il faut voir que l’on ignore en quoi on s’engage ; on n’y comprend rien du tout, mais on avance. Il est extrêmement difficile de se mouvoir d’une seule avancée minimale : c’est lutter à chaque fois contre toute, toute la pesanteur, aussi bien psychique que physique.
Et si on y comprenait quoi que ce soit ce serait beaucoup moins amusant.
Et comme on n’y comprend rien, il faut saisir comme c’est une structure, un arc de conscience vers le réel, qui inventorie chacun de ses déplacements sans percevoir où il met les pieds ; le réel sur lequel on avance ne peut pas être circonscrit.
Il faut assumer Descartes pour discerner sur quoi il progresse, ou Nietzsche, ou Lacan. On ne peut pas faire autrement que de prendre la forme de conscience de l’un ou de l’autre, parce qu’il est clair que chacun s’est instancié là très exactement en assumant tout le possible de son ici même, et que celui-ci n’apparait sinon d’y exister.
Et comme chacun est, en notre temps, bloqué, figé, gelé dans sa forme de moi, il devient de plus en plus difficile de penser-autre, et pourtant c’est comme cela que l’on pense. Aucun autre moyen.
Ou donc ; si l’on croit que l’on a tout compris parce que l’on pense selon une reprise du nietzschéisme, d’Heidegger ou de Marx, on n’a rien compris. On se tient encore de et dans le sujet cartésien (non qu’il soit de Descartes mais dont Descartes décrit la structure ou commence d’exposer le méta, la réflexivité, qui attendra encore, cette même structure, Kant et puis Hegel et puis Husserl, Sartre et en opposition Lacan). Si on ne comprend pas cela, on ne sait pas de où l’on pense et on s’use à agiter mille déterminations à partir de cet être structurel, formel donc, abstrait, vide et sans rien ; des déterminations que l’on prend pour « soi ». Qui seront donc, puisque le moi est ce qui opère dans le monde la transcription du sujet, qui seront donc des symptômes du moi ; nous enfonçant encore plus lourdement dans l’épaisseur du moi, abolissant et noyant le peu de sujet que l’on est dans des figurations pathétiques. Le moi voudrait observer dans le donné là, la division dont il est l’effet (qui est littéralement son sujet, lequel on l’a dit est impossible ; si le sujet était possible, il ne serait pas sujet, c’est évident) et ainsi le moi désire des objets splittés, composés, qui lui remémorent sa séparation, de tout avec tout (puisque la conscience est autre-pour-elle-même, elle est la forme qui est rien que Autre, autre sans raison, sans détermination, une pure et brute altérité).
Car comme on l’a vu, sous prétexte, en partie justifié, les configurations de la pensée, de dieu-le christ, du sujet ont été remplacées par la raison, la naturalité, le moi humanisé (adaptant au donné là ce qui relevait du « là » du donné, adoptant dans la réalité la puissance du réel, du Un) ; et on a définit comme principe dit « réaliste » (sous caution qu’il se produit là sous nos yeux, sous les yeux du sujet justement, sujet que la science absente, le moi ignore et les théories négatrices annulent) cette logique qui voudrait trouver là sous la main ce qui n’est nulle part dans la réalité ; le réel n’est pas dans la réalité ; le réel est le Bord de toutes les réalités, y compris les vécus et les corps.
Il est tout à fait légitime de substituer à la pensée, dieu-le christ, le sujet, de leur substituer la raison, la naturalité, le moi humanisé … mais il ne fait en nier la source interne et externe structurelle ; les grecs seuls parviennent à désigner le réel, soit donc l’être formel (hors les grecs cela se transforme soit en sujet et réflexivité, philosophique donc, soit en ces divisions sujet-objet, subjectif-objectif, raison-psychologisme), et les chrétiens (et affiliés) seuls se situent du Point-autre absolument externe qui permet que chacun soit un Point interne (cad une conscience de (soi). Hors ces configurations, aucun salut. Le marasme d’une détermination qui, oubliant les formes arc-ticulées au réel, s’effondre dans le donné.
Et si l’on a voulu définir notre être comme « désir » aussi alambiqué soit-il, c’est afin d’éviter ceci ; que le Un, le formel, le vide structurel dont nous existons, ne présuppose rien. De le poser comme désir pouvait laisser soupçonner, espérer qu’il comportait une résolution quelque part, dans le monde, le corps, le vécu ; mais il n’y a aucune résolution de l’équation, parce que c’est l’équation qui existe. Elle engendra quantité de solutionnements, mais n’en sera aucune.
On comprend bien que positionner la pensée ou le sujet, comme formes abstraites vides de notre être (cad de notre exister), c’est supposer d’effroyables distorsions, d’indéfinies possibilités, et que ces formes vides on ne les saisit pas (comme d’un objet objectif) mais qu’on en est saisi, et la philosophie est précisément ce mouvement ; appréhender, admettre, accepter comme on est saisi, tout cru, de la structure arc-boutée au réel que l’on existe.
C’est pour cela que la pensée ou le sujet sont saisis de l’Autre (tandis que le moi se morfond de n’être que lui-même, de la composition, de la décomposition).