Le point externe du réel
On s’est laissé glissé sur la pente ; on a imposé la conscience de (soi) et on a cru à un « soi » et donc au bonheur et à la réjouissance, et effectivement on a obtenu tout cela ; on se plaint mais on est heureux. Mais ça n’est pas « ça » ; ça n’est pas ce que l’on veut, on ignore ce que l’on veut puisque notre être n’est pas de l’ordre de la volonté (qui réfère au conscient) mais de l’ordre de l’intentionnalité (qui signifie la structure) ; ce qui ne signifie nullement que ce soit inférieur au conscient et à la volonté ; les contenus qui passent dans la conscience ne sont pas la conscience elle-même ; elle est une forme, un vide, que rien ne peut combler, emplir, satisfaire.
(Et de ce fait on dévore tout ce que l’on trouve. Le mécanisme qui n’est pas régulé dévore tout ce qui est. Ça va dévorer la planète et les gens.)
C’est que l’on devait réguler justement ce vide interne et élaborer l’architecture autour du vide formel ; il est formel ça n’est pas pour rien, c’est pour qu’il se stratifie et se positionne, se tienne en perspective. Mais on a cru en la réalité que le vide produisait, la réalité créée en son centre ; au moi-même, à la vie heureuse, au corps ; on a nommé cela l’idéal humain, l’idéologie et le progrès et l’économie. Et tout cela est vrai et réel, mais ça ne suffit pas : c’est autre chose. L’économie est l’idéologie, la représentation du corps ; du corps comme fondement, base de toutes les volitions, désirs, images ; tout y retourne. Mais on n’est pas son corps, en aucune manière, et donc il fallait créer une dimension qui repère et signifie cet en-plus du corps ; qui permette plutôt que de plier toutes les intentionnalités, les perceptions vers le corps, vers le bas, qui permette donc que ces intentionnalités soient supportées, admises et élevées vers la forme, la conscience et sa forme de vide ; ici ou là on s’en rend compte et on peut l’éprouver, mais comme cette dimension n’est pas du tout ordonnée, et donc pas complexifiée du tout, ce sont juste quelques éclairs, éclaircies de temps à autre.
Elle n’est pas ordonnée sauf que toute l’occidentalisation, la structuration qui a lieu depuis la méditerranée, consiste justement à organiser l’éclair de structure.
On a rejeté que cette envolée, cette élévation soit substantielle et en elle-même ; on a voulu remplacer l’élévation substantielle par la Volonté (nietzschéenne) ou l’Etre (heideggérien), ou par Marx ou Freud ou quelque idéologie objectiviste ou mondaine. Mais c’était encore recopier un contenu par un autre contenu (tout aussi abstrait et construit, et en vérité encore plus imaginaire sinon de par sa position assumée d’altérité ; le réel n’est pas « humain », pas selon l’humanisme du 18éme, tout comme la pensée n’est pas humaine ou dieu non plus). Sauf Sartre et Lacan qui orientent vers la forme-même ; la forme de structure.
On peut être heureux, évidemment personne ne souhaite le malheur, mais on doit se rendre compte que « ça ne suffit pas » (c’est de toute manière ce qui arrivera ou arrive structurellement). Qu’il fallait donc passer le cap, des satisfactions, et viser autre chose et autrement ; aucun des contenus de conscience ne peut emplir la conscience ; sinon elle ne serait pas. Et le corps n’est pas le fondement de l’intentionnalité, bien que tout incline à l’abaissement.
Mais si rien ne lui correspond, à quoi se réfère-t-elle ? On peut dire « à rien », elle est juste là pour faire tourner les réalités, à savoir les réalisations humaines ; elle permet d’acquérir et de renvoyer plus rapidement les informations ; substituant aux mémorisations massives (celles de la cervelle) une mémorisation ultra rapide et infiniment souple, puisqu’elle n’est rien, rien qu’une forme, elle n’a pas besoin de déménager cent mémoires pour se mouvoir ; il lui suffit de quelques signes pour déconstruire et reconstruire ou imaginer et inventer des choses réelles.
Mais si elle ne correspond à rien dans le monde (et donc dans le vécu et le corps), et même si elle n’indique rien (au-delà du monde), elle existe néanmoins comme telle, comme forme et c’est au minimum cette architecture de forme qu’il faudrait penser (comme Kant par ex, mais Nietzsche ou Heidegger, Sartre ou Lacan ne recherchent rien d ‘autre que l’architecture du vide formel, que l’on nomme imaginairement ce vide Volonté ou Etre ou que l’on analyse bien plus cartésiennement ce vide comme conscience sartrienne ou corps lacanien).
C’est cette architecture qui était amenée à notre attention par dieu, la pensée, le christique, le sujet (et ensuite donc l’altérité de N H S et Lacan, entre autres). Elle élaborait un diaporama précis qui permettait de montrer le surplus, le « ce qui ne rentre pas dans le monde ». Et nous ne sommes pas du monde puisque sinon on n’en aurait pas conscience ; nous serions dedans et que l’on en est conscience veut dire « nous sommes à l’externe du monde ». Quel est le point d’appui qui rend possible que l’on n’y soit pas ?
Il faut comprendre que si l’on ne re-présente pas le circuit de structure de conscience, il se présentera à nous dans et comme réalité, ce qui sera absurde et pour el dire dramatique ; dans la réalité il sera inégal par rapport à lui-même, il n’engendrera que confusion et confusion radicale ; à la racine (quoi que l’on pense, décide, imagine, désire, touche ce ne sera qu’incompréhensible). Ceci étant, lorsqu’il se re-présente ça ne sera pas afin d’en être satisfait ; il existe en tant que « ne correspondant à rien qui soit ». C’est l’insatisfaction même qui doit être orchestrée comme telle, comme insatisfaction formelle radicale.
Inutile de rechercher une unité qui serait donné là, dans le monde, le corps ni selon un accord quelconque entre l’intellect et le corps, l’image et le miroir, le cœur et la vie. Ça n’arrivera pas. Même intégralement satisfaits (et nous n’en sommes pas loin, historiquement, malgré les plaintes sempiternelles de ceux qui ne s’en rendent pas compte) il reste ceci ; que notre être n’est pas un être mais un rapport, une structure qui est construite sur le réel donné « là », dans la perception (qui lui permet de passer outre les atomes et l’adn et crée un autre champ de réel), et que prenant appui sur le donné-là et puisqu’il est un tel rapport il s’offre une latitude, une liberté qui non seulement statue, juge sur ce qui est énoncé ou manifesté mais qui également peut bel et bien jusqu’à choisir, élire, opèrer un tri dans la perception même ; on ne perçoit pas mécaniquement, on perçoit en créant une trame et cette trame dépend du sens, de l’orientation ; de l’orientation des signes ; or les signes furent produits afin, par et selon un faisceau qui puisse aisément mouvoir les choses sans soulever les choses réelles effectivement ; c’est une opération extrêmement complexe et qui rend possible quantité de bifurcations en interne de l’opération elle-même, dans la perception même.
(rien d‘étonnant, si l’on peut dire, qu’alors dans la perception se glisse ce que l’on a désigné comme inconscient et qu’il n’y ait un inconscient que pour et par une structure qui est de-conscience ; l’arc qui rebondit du donné là vers la personnalité, la pensée ou la représentation a créé la perception elle-même ; avant le conscient, qui est seulement l’énonciation d’un tri opéré dans la perception, laquelle n’est pas automatique mais déjà une articulation parce que tout est articulé ; le présent est l’articulation « non là » qu’est le réel même, comme acte et actualité et activisme radical).
Il ressort de cette construction, de cette constructivité (qui n’est nullement artificielle, la perception n’est pas un épiphénomène, le champ perceptif est en lui-même en plus et autre que l’adn et l’atome, qui codent leurs masses, la mémorisation que sont les choses et les êtres) que l’on peut orienter le sens, non pas idéaliste ou idéel, mais le sens en tant que direction ; direction dont la clef s’incarne, est incorporation ; où situons-nous notre être ? Est-ce dans le corps ou ses effets ou est-ce dans une autre transmission ?
C’est bien en ceci que la psychanalyse n’apparait pas sans raison ; la direction du corps est structurelle dans le champ du réel ; c’est l’annulation de la suprématie du contenu, du conscient, et on a cru qu’il s’agissait d’un abandon ; mais la nouvelle stratégie qui (aurait pu) s’est mise en place c’est celle intuitionnée par Sartre ; non pas selon la mauvaise foi (Sartre ne sait pas comment organiser la nouvelle forme intentionnelle qu’il présente) mais l’arc de conscience ; en tant non pas qu’il rebondirait sur un en-soi inerte, mais en tant que le donné « là » du monde est le présent et est déjà une forme ; le présent rend possible qu’il existe cette diffraction intentionnelle ; ce qui veut dire la diffraction sans laquelle aucune intentionnalité ne serait possible.
Parce que dans l’ancien système – celui du conscient – le conscient annulait qu’il y ait diffraction, il se fixait dans son super contenu (la pensée en soi ou ensuite cette réduction de la pensée que prétendait la raison) ; tout assuré et précipité qu’il était de (se) concevoir comme (contenu) ; le contenu constituait le réel, prétendument ; au point qu’aucune attention ne se référait à l’activité d’intentionnaliser ; sauf à partir de Hegel (puisque Kant permettait que soit envisageable, visualisable ou au moins soupçonnable qu’existe une structure antérieure à tout contenu, que Kant supposait encore lui-même comme « en soi » non accessible et inaccessibilité qui rendait possible la liberté soit dit en passant ;
en quoi donc il était extrêmement difficile et il reste hasardeux de présupposer un être antérieur à l’être … et donc, il serait plus logique de présupposer une structure antérieure à l’être ; qu’alors l’être devrait se comprendre comme contenu lui-même dans une forme plus grande et même Autre (que l’être). Ce que tentèrent de visualiser Nietzsche et Heidegger (outre Kierkegaard qui réfère à dieu, à l’infini), tandis que Sartre enfin et Lacan envisage réellement cette structure comme structure. Puisque cessant de repérer par le contenu mais tout au contraire signifiant le corps structurel lui-même (ce à quoi utilise Sartre le regard de l’autre et Lacan l’Inconscient).
Ainsi il n’est absolument pas vrai que la différence de l’homme, de l’humain se cantonnerait à l’intellect ou au langage ou l’outil ou ce que l’on voudra d’encore plus déterminé ; ce sont seulement des effets. Lorsque les grecs connaissent la « pensée » ils ne désignent pas ce que plus tard on nommera la « raison » ; pour les grecs la pensée se pense elle-même ; ils entourent dans « pensée » ce qui se distinguera plus tard ; à commencer par Descartes qui suppose un sujet qui origine la pensée (de là qu’il ne le réfère qu’à l’infinité-dieu, et qu’il précise « la volonté », autrement dit l’intentionnalité), supposition reprise par Kant, Hegel et Husserl (etc). C’est par là dans la pensée que l’être, l’idée ou le un signifient plus et engagent bien plus loin que simplement une « raison » toute extérieure et abstraite. Dans la pensée grecque ça n’est pas la pensée qui se met à notre niveau (comme raison) c’est nous qui nous avançons jusqu’à la pensée ; pour les grecs la pensée est l’horizon indépassable et donc l’horizon qui nous pense, forcément. Et Kant pourra bien enfin ramener la pensée à l’entendement, ce sera pour commencer d’élaborer la structure antérieure ; le sujet dit transcendantal.
L’acte de conscience était caché dans la pensée ou caché en dieu ; mais il ne faut pas l’entendre comme « ce qui est caché dans la pensée ou dieu est révélé par l’acte de conscience » ; puisque l’on ignore ce qu’est l’acte de conscience ; autrement dit on peut objectivement (et en l’occurrence hyper objectivement) délimiter l’arc mais au sens de préciser qu’il s’agit de situer « là où cela pense » ou encore « là où cela est divin » ; autrement dit depuis Descartes, Kant, Hegel, Husserl on est amené à se focaliser sur l’articulation qui rend possible la pensée ou dieu ; et cela ira en s’élargissant. Mais comme on ne peut pas exprimer ce qu’est l’arc, on ne peut pas dire « voila qui réduit la pensée ou dieu à une structure », puisque cette structure est elle-même autre et manifestation comme altérité (on ne peut en affirmer ni infirmer dieu, la pensée, le christique et le sujet ou l’altérité dénommée, Volonté ou Etre ; on se « contente » de l’altérité analysée, par Sartre et Lacan). On n’a pas retranché l’acte de conscience de la pensée ou de dieu, on a ajouté la dimension antérieure (à possiblement dieu ou la pensée, on ne sait rien de cela, mais on connait de plus en plus précisément l’articulation, le décalage ici même).
Comme on ignore ce qu’est le dit décalage (et il est rapport, et donc mouvement et n’étant absolument pas réalisé jusqu’ici) et on remobilise donc toutes les possibilités déjà inventées ou découvertes ; dieu, la pensée, le sujet, l’altérité. Toutes orientations chargées de manifester, énoncer, signifier cette structure (sans qu’aucune n’éteigne l’arc lui-même) ;
Dit autrement ; il ne s’agit pas de contredire ce qui fut avancé ici et là, ou partout, lorsque l’on s’empresse de répondre sur la nature du décalage ontologique que nous sommes (de fait, nous sommes autres que le monde et donc chacun est autre que son vécu), mais il s’agit de mener l’analyse de cette articulation, de son altérité (dont ensuite on pourra si l’on veut se porter vers dieu ou la pensée, articulation qui mène peut-être vers dieu ou la pensée ou un autre réel mais que l’occidentalisation se contente d’observer, à vif, puisque cette articulation n’existe qu’en activisme, preuve que le réel est cet agissement) et de pousser cette analyse au plus loin ; par quoi l’on s’aperçoit que c’est effectivement cette analyse qui fut lancée depuis la méditerranée (lorsque nous sommes sortis de tout monde clos et cyclique et communautaire).
Et c’est alors que l’on peut considérer que jamais personne (de suffisamment rigoureux ou cohérent) ne s’est égaré ou n’a déliré, ni à partir de quelque absolu que ce soit fut-il le plus éloigné en apparence), ni selon telle ou telle compréhension actualisée (ce par quoi se signale le monothéisme, les grecs, le sujet ou l’objectivité ou l’hyper objectivité depuis deux siècles) ; de toutes les positions aucune ne fut portée pour rien (c’est le contraire qui serait étonnant ; il serait étonnant que tout ne soit que délire ou illusion ; comme si une intentionnalité fortement architecturée d’il y a 3000 ans où qu’elle soit sur la planète, était plus stupide que la nôtre actuelle ; un tel jugement a priori est absurde ; l’inverse étant qu’il y eut toujours recherche d’une Cohérence).
On prétend donc ici que certes l’analyse fut conduite depuis le début depuis la méditerranée (pour ce qui nous intéresse ici) et qu’il s’agit de l’analyse du même décalage ; il n’y en a qu’un ; il n’y a pas deux manières d’être cette conscience ; il n’existe qu’une seule forme de conscience et croire que cette conscience est relative à tel ou tel contenu est tout simplement absurde, et si il existe une forme, unique, de conscience alors c’est la description de cette forme qui est en cause.
Il est apparent alors que la description de la forme qui entoure toutes les pensées, toutes les représentations, toutes les images et toutes les perceptions est autrement fondamentale que n’importe quelle analyse de quelque contenu que ce soit (et que par ailleurs toute description interne à cette forme tombera tôt ou tard sur la forme elle-même ; ce qui arrive à chaque fois). Lorsque l’on intellective la pensée, ce dont on s’approche, via le un par ex, plotinien, c’est la structure même du réel. De même que l’être distingue le réel des réalités ou les idées les intentionnalités du langage commun. Et comme on a vu : si la conscience est un arc qui sort de la cervelle (vers le monde donné là, et vers le « là » de tout donné du monde) alors sont embarqués non seulement le conscient, les idées, les systèmes mais toute perception, toute émotion, tout affect (de même que langage, représentations et mondes humains).
Et l’extension de l’arc c’est ce qui est montré par Sartre ; l’activisme de conscience n’est plus limité à la raison ou la pensée, ni ne se réfère à dieu ou au christique, mais depuis Descartes est activité ici et maintenant ; et dès la base du corps, entre la plante des pieds et le sol. C’est en cela que langage et signes, représentations et personnalisations, n’existent que d’être instanciés par le court-circuit qu’est l’arc de conscience ; il n’y a rien qui soit un « langage », un « monde humain », une personnalité » sans avoir été créé par la tension de mise en conscience qui consiste à activer puis créer puis sans cesse transformer tous ces systèmes ; les transformer à condition que soit mise en avant la structure nue et formelle (sous la forme de dieu, de la pensée, du sujet ou de l’altérité).
C’est qu’il faut introduire l’arc circonflexe. L’arc circonflexe est le point extrême à partir duquel commence (commence) de se modifier l’ensemble des intentionnalités. L’arc circonflexe est le point inatteignable. De même que pour les grecs la pensée était l’horizon même (celui à partir duquel on pouvait commencer de distinguer de nouvelles intentionnalités, les idées et les systèmes d’idées), pareillement le christique crée instantanément l’éclair du point absolument Autre qui regarde (et crée par son regard du un-tout-seul, votre âme). Ou de même historiquement se focalise le sujet comme citoyen et non seulement ça n’est pas rien mais c’est à vrai dire, tout. Kant ne s’y est pas trompé. En vérité personne ne s’en est trompé ; mais comme c’est d’une forme dont il s’agit il devenait extrêmement difficile de définir, dans le monde, le vécu et le corps et la société humaine ce dont il s’agissait par cette forme, cette structure ; aussi a-t-on brodé, historiquement, sur la réalité et le monde devenu accessible à partir du sujet (ou du citoyen). On n’a pas vu que le réel historique, la structure, ne pouvait absolument se traduire dans le monde, dans l’humanisation en cours et on a cru ensuite que la personnalisation, s’ajoutant à l’humanisation universelle, réaliserait encore plus la réalité ; et tout cela est vrai mais non suffisant.
Tout est, en un sens, vrai et réel, mais la forme-même échappe puisque c’est elle qui dispose tout là au-devant. Et c’est la tentative de (se) saisir de (soi), de cette structure par elle-même (alors qu’elle est non déterminée) que l’on voudrait marteler, par le christique, le sujet, la pensée, la poésie, la perception, la représentation, et tout ce que l’on voudra. Et que le moi lui-même essaie de contrôler on repérant son corps, sa perception, son inconscient n’est justement que cette repérage effectué de telle sorte qu’il (non) apparaisse ; parce que si il apparaissait il serait dans le monde.