De l'intellectualité (comme unique horizon)
Mais la philosophie ne déroule pas seulement ce que l’intentionnalité peut, elle tente de décrire ce qu’elle est. L’esthétique ou le littéraire manifestent expressément ; dans l’expression, et ce faisant tirent l’intention là où elle ne sait pas. Dans les franchissements de mondes, mais aussi dans et vers le monde-même. L’être au monde, puisqu’il ne peut se déverrouiller que dans l’expression (sinon notre regard ne situe rien), ne fut jamais éprouvé par un sujet nu, sans parole symboliquement orchestrée et ordonnée au-dedans d’un groupe et organisée de ce dedans du groupe (occupant l’épreuve de la vérité de par lui-même).
La livraison d’un sujet au monde est sensiblement la déraison même ; il regrette si infiniment que la parole qui l’occupe n’ait plus aucun sens ; qu’elle ne soit plus reprise par et dans le partage symbolique ; pas même le partage symbolique imaginé (celui d’une communauté de foi, qui se substituait au partage réelle entre tous d’une tribu de visu). Puisque se dresse la densité du monde, la matérialité du corps, l’envie des choses, et que face à cette présence constante, l’imaginaire n’y suffit plus et s’efface, alors que la parole symbolique bien que n’étant plus qu’un lointain souvenir, impose encore son être de fait, en tant que le langage est toujours et à jamais l’entente.
Aussi littérature et esthétiques se rendent en une complexité sans égale ; une intellectualité. Seule l’intellectualité fait mine de parole et se communique à soi et entre les quelques soi qui y comprennent, se communique une expression de l’insoutenable.
A rebours de cette intellectualité nécessaire du libre pur des sujets, aguerris et maintenant la vérité dans et contre tout ce qui est du monde, mais aussi donc, dans ce même monde ; et sans rien en négliger, à rebours s’extrapole les mois ; les mois qui subissent tous les contrecoups du défaut symbolique, mais aussi du manque imaginaire. Il ne leur reste que leur corps ; et à défaut d’imaginaire leurs fantasmes bricolés. Les mois sont rigoureusement esseulés dans ce qui leur semble un marasme, une déliquescence, des effondrements du monde, soupçonnant le cataclysme des mondes eux-mêmes, annihilant la richesse des mondes comme écueils du navire humain s’y brisant absurdement partout.
Pour un moi, qui n’a pas entamé son sujet à être, aucune parole ne retentit plus où que cela soit ; elle renvoie, dans ce silence, au corps défenestré ; aux symptômes et aux paroles enfermées dans un « corps » ; il est la seule consistance qui soit parce qu’il est la seule consistance perceptible et que l’on ne croit plus aux mots qui sortent de la bouche et encore moins qui surgissent de l’esprit ; tout cela est annulé et remplacé par un être-là, ce seul corps.
Le moi ayant ourdi son sujet commence par contre de comprendre que la parole est partout reprise par qui la sait ; qu’en somme la parole ne peut plus exister symboliquement ni plus même imaginairement, mais par contre qu’elle est, et absolument, intellectivement déployée comme jamais.
Or un moi ne peut pas se savoir intellectivement ; pas sans effort ; et il ne voit pas le sens, l’orientation d’un tel effort (qu’il limite à tel domaine spécialisé d’experts, une professionnalisation), parce que le seul sens, orientation, de ce qui est, qui lui tienne, consiste en son corps donné, là, formidable inertie qui ne mène, n’a de sens définitif que la mort. Il est piégé ; soit ses fantasmes bricolés (qui n’ont ni queue, ni tête, propre et figuré) soit ce corps de mort indéfinie.
Autrement dit, il n’est aucun moyen de s’en sortir, vivant, en un tel monde, dépenaillé et dont seulement l’intellectualité peut instaurer le règne tout à fait autre.
La parole, partagée (symbolique au sens propre), annéantie, mais aussi l’imaginaire symbolique (en lequel la parole s’adressait en un Sens désiré), annulé par le monde présent produisent l’apogée du fantasme bricolé, qui ne signifie rien, et ne reste plus, humainement, que l’intellectualité qui y puisse créer.