L'angoisse et l'exigence
Il est une invention démultipliée ; celle du moi : soit l’unification d’un vécu au sein d’un monde ; qui se traite en terme d’identité, et donc investie est cette unification.
Mais le moi est une unification intentionnelle ; il réclame une unité d’intention, d’attention ; il s’emploie selon l’intentionnalité de la conscience de soi. L’intentionnalité est glissante ; elle devient à l’intérieur de son être même ; elle se plie et se déplie, se suppose et se place entre parenthèses, est un tissu louvoyant.
L’intentionnalité sait ce qu’elle veut ; tel objet d’attention ; mais elle ne domine explicitement ni les effets, ni les causes ; elle peut tout autant être portée par ces causes et visualiser vaguement les effets ; elle présuppose constamment un monde antérieur et un monde postérieur à son activité. L’intentionnalité est actuelle et active ; mais elle recèle par essence une inactualité (qu’elle dépose dans le monde, ou dans la mémoire) comme une inactivité (le fondement de son activité ; le corps par ex, l’émotionnalité, la perception même, ses objets tels que là, qui contiennent dans leur apparaitre même les informations sur lesquelles se fonde telle intentionnalité de tel ceci, etc).
L’intentionnalité n’est pas plus capable de saisir le tout ; non seulement le tout de ce qui existe, mais même ne peut saisir le tout, la totalité de telle intention pourtant précise ; elle se focalise sur une unité d’objet (désiré, perçu, imaginé, pensé, etc). Sa limitation est bien sur la nécessité même de son être ; elle est l’action localisée et se disposant à toute espèce d’activité locale. Elle n’est pas une certitude de connaissance, ni même absolument son identité, n’est pas « qui elle est », mais ce moi en lequel elle existe, est un de ses objets.
On voit bien que l’on ne sait pas se dire « soi » ; sinon dans tel ou tel état d’être ; en telle occasion du monde, ou en telle occurrence vécue. On existe donc « soi » en s’imaginant une unité qui tiendra ce qu’elle pourra, mais qui n’a pas de fondement en tant que Une Unité définie ; elle est un ensemble dont seulement telle ou telle actualité affirme la permanence. Pour cette raison, on s’imagine être ; on imagine une solidité, et c’est tant mieux, mais la factualité de cet être est uniquement imaginaire. Non que les qualités ou les défauts sont illusoires, pas du tout, mais c’est leur unité supposée qui les maintient comme étant « moi-même », qui est purement évasive.
Le glissement du moi-même solide en cet être de conscience, qui est le seul fondement actuel, provoque l’angoisse, ou l’exigence, ou la décision, ou l’activité pure ; soit ; des vides éreintants. Puisque c’est se placer sous le seul réel actuel ; plutôt que de se déplacer dans l’identité imaginaire.
Notamment en terme d’action sur le donné, le quotidien, la réalité, qui ne sont approchables que si on les identifie (cette chaise, cette foule, les couleurs, etc) et on ne les identifie que si l’on s’y déplace ; on re-présente la même scène que l’on perçoit, en s’y ajoutant soi-même afin d’y manœuvrer. Que l’on ne puisse plus s’y incruster, et l’ensemble de la scène échappera. C’est toute la re-présentation du monde et de soi dans le monde, qui s’enfuie par un trou ouvert on ne sait où.
S’y emploie alors la panique et la nécessité d’y remédier ; cela même qui est comblé habituellement, dans l’habitude d’être un moi-même, par l’imagination de soi, ou en gros l’image de soi. On remarquera qu’en somme l’image de soi, dans les faits, dans le fait d’y être, dans un monde, ne nous appartient pas ; elle vient-avec le monde, cad encore telle situation (habituelle, connue, répertoriée) de ce monde.