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instants philosophie

La perte du réel

15 Avril 2023, 08:34am

Publié par pascal doyelle

On a dit qu’aucun discours ne tient de par lui-même. Mais ça ne signifie pas qu’il faille ignorer les objectivités ; il y a de la connaissance et c’est immanquable.

L’arc de conscience est celui, tendu, par-dessus les savoirs, et c’est ce qu’il fut réellement, dans l’effectivité même, durant les siècles précédents ; c’est compte-tenu des sciences et des connaissances, du droit et des institutions, des esthétiques et des littératures (et non forcément toutes les occurrences à la fois, évidemment).

C’est pourtant cet objectivisme des discours qui a poussé à rétrograder la conscience en tant que ‘subjectivité’. Tout s’organisait tout à fait convenablement ; il restait au subjectif un terrain de jeu. L’ensemble de l’objectivité pouvait alors tenir le naturalisme et le réalisme. Dit autrement il n’existait plus de possibilité pour que l’intentionnalité, l’arc intentionnel puisse établir son champ de réel au-delà des réalités déterminées, cad organisées politiquement et pensées objectivement ; tout était livré à la détermination et la détermination ne nous parle que via des discours, qui sont pris comme étant la réalité même (et non pas comme figurant cette réalité, et donc alors sujette au doute ou à la remise en question). La subjectivité n’affectant qu’une certaine détermination spéciale, tout à fait limitée et sécurisée pour ainsi dire.

Ce qui avance de plain pied d’avec le gel de l’historicité ; il n’y a qu’une révolution, elle a eu lieu et reste à aménager ici ou là, des accommodements, mais plus aucune nouvelle compréhension ne permettrait quelque nouvelle pensée de cette idée étrange de ‘révolution’.

Reprenons ; la révolution est le programme qui n’en est pas un, aboutissant à donner à chacun sa possibilité en propre. Programme qui n’en est pas un, sauf que … on verra.

Évidemment pour le libéralisme économique qui va courir tout au long du 19éme (et du 20ème et du 21éme du reste), il y a en aura qui posséderont plus de possibilités que d’autres ; ils seront récompensés. Moyen pour réduire ou annuler l’ensemble des libertés au profit de quelques unes, dans une oligarchie. On ne se pose alors pas même la question de redistribuer les possibilités afin que véritablement le maximum d’individus puissent accéder à leur réalisation, ce qui veut dire, de manière formelle, absolue et universelle, de manière à ce que chacun atteignent à tous ou une partie certaine, certaine, de rapports réalisables.

L’idéal se réalise en France et ce sur deux siècles, puisque la « France » est ce peuple qui sait articuler la liberté et l’égalité (en ceci par ex qu’autrui est déjà-toujours admis et choyé dans et par la littérature, les esthétiques, etc) ; soit donc l’intégration, l’incorporation du christianisme en un peuple puis une nation qui est saisie de son historicité en propre, à savoir se rendant compte « qu’elle existe » en tant que nation. Liberté, égalité et fraternité miment la coordination interne, intérieure et intime du réel d’un peuple. Et inventant à l’occasion l’État moderne.

Rappelons que le christique impose par-dessus la Loi (du judaïsme, qui nous trouve toujours coupables) la supériorité de l’Intention ; par laquelle il est toujours possible de nous pardonner ; et que cette intentionnalisation de l’humain impose la liberté, égale, de tous et de chacun. Puisqu’il s’agit toujours du même rapport de conscience (la conscience n’étant rien que ce rapport lui-même, en personne en fait, puisque l’on fait « un » avec soi, une unité formelle et non pas déterminée), la pensée grecque qui relève de la même structure intentionnelle, pourra être reprise intégralement par la théologie.

On soumet ce qui précède par exemple à la théorie d’E. Todd, sur les systèmes familiaux, et épinglant qu’effectivement la famille nucléaire égalitaire (frères et sœurs égaux dans l’héritage, ce qui n’est pas le cas en Angleterre par ex, liberté distinctive oui, égalité non) et système qui caractérise absolument le centre et le nord de la France, effecteurs de la dite unique Révolution (il y eut cent variations mais une seule forme).

Lorsque l’on dit que l’arc de conscience est recadré dans le subjectivisme (et les romantiques auront beau faire les jolis cœurs ou désespérer infiniment) c’est que le dit arc ne peut plus, ne pourra plus s’élancer comme mise en forme structurelle absolue, cad formelle, de la réalité ni de l’historicité.

Tous les rapports sont monopolisés par le libéralisme économique bien sur mais également par la formulation objectiviste de toute la naturalité et de toute la réalité, y compris la dite ‘subjectivité’.

Puisque finalement ce qui fait office de « pensée » c’est ce qui s’est nommé « idéologies ». Il n’y eut aucune autre pensée ou méta pensée que ces idéologies. Des discours. Qui n’offraient aucun point de vue structurel, excepté le fondateur, celui de Rousseau.

Or les discours, qui passent comme étant les réalités elles-mêmes que, pourtant, ils exposent, diversement du reste, et donc de seconde main, ces discours sont construits par d’autres que soi, par d’autres qui sont  « quelques-uns », et absolument pas « tout », ni aucun des je. Outre évidemment qu’un de ces discours ne peut prétendre à saisir l’ensemble de tout ou l’être ou la forme du réel, encore moins ; ce ne sont pas leurs objets, qui sont toujours limités et dont on ne peut déduire ou induire le réel.

On en a vu la raison ; le réel est formel et revient à la décision et donc plus profondément à l’intention que l’on en a. Or évidemment c’est « le réel » qui est en jeu en chaque je, puisque chaque je manifeste « le rapport lui-même » (et donc tous dans l’unique horizon universel).

Comme la réalité s’est engagée comme discours, clos, ou comme fantasmes, le réel s’est dissout dans la détermination, étant entendu que nous ne sommes accrochés au réel que via dieu, l’universel, le sujet ou le réel. Pourquoi ? Parce qu’ils sont des rapports et qu’ils imposent que cet arc soit hyper structurés, au-delà donc de tel ou tel contenu (qui finit par coller à la conscience, et qu’elle croit être).

Le réel est formel et à vrai dire les points de structure, cad les œuvres, qui comptent, échangent non pas des discours ou des parties de discours, mais des points de vue ; non pas des mesures ou des objectivités mais des sujets ; Descartes ou Rembrandt sont des je ; ce sont ces je que l’on rencontre (avant de n’avoir plus affaire qu’à des objets ou des images d’objets).

S’il est une insistance du rapport que seuls existent les je, c’est que c’est bel et bien en ce lieu là que se présentent ou non les possibilités, cad les possibilités de rapports. Vos rapports dépendent-ils ou pas des moyens que l’on vous octroie ou qui vous appartiennent ou devraient être vôtres ? Mais ne le sont pas. De même qu’entre les deux, idée et image, les objets sont les médiations même que sont les rapports sociaux. Si la description des rapports est réduite aux discours, alors vous en êtes coupés de cette capacité.

Que les idéologies soient l’expression, cachée ou non, des rapports sociaux (Marx) aboutit à la Société du spectacle, en tant que les images sont la conscience (fausse) des mêmes dits rapports. Mais sans idéologie… cad sans même plus d’idées et ainsi totalement dissimulés. Rien que des images et donc des rapports encore plus dissimulés ou des images encore plus cruelles ; qui rendent les gens fous ou idiots.

Ce qui revient à dire qu’une société humaine est astreinte à subvenir à chacun, et qu’aucune excuse, justification, prétexte, interprétation ou finalité prétendue, ne peut s’y soustraire. On n’a même jamais tenté de mesurer, de calculer, de paramétrer, de délimiter l’ensemble des nécessités humaines suffisantes ; on s’est contenté de suivre les désirs et les décisions des uns et des autres en pariant ou admettant d’office leurs justifications ; entreprenez ! Entreprenez !

En vérité les nécessités internes aux sociétés furent remplies plus ou moins et plutôt moins que plus (sauf en France) en usant du surplus généré par l’extension des activités humaines, par l’économie et la technologie décuplées ; retirez ces hyper production et hyper consommation et tout l’ensemble, la sécurisation, n’étant pas institutionnalisée, régresse. Les retraites par capitalisation, par ex.

Schématiquement ou caricaturalement plus on produit plus il y en aura pour tous, mais en aucune manière il n’est requis, demandé de réfléchir aux besoins ou aux désirs, ni à la régulation, ni à la compréhension préalable.

Il n’y a rien d’organisé dans une société humaine qui compte sur ses surplus, sa plus-value ou même le fragment de quota de cette plus-value pour subvenir aux besoins et au minimum de désir ou plus exactement en contrôlant la production et la consommation fantasmatique des objets. Il n’existe aucune théorie du minimum acceptable (ni même vital).en réalité tout est dans le laisser être du « désirable » et du « réalisable » ; rien n’est pensé.

Ce qui veut dire que l’on se fie, se confie à la naturalité des besoins et des désirs supposés spontanément eux-mêmes, et au « réalisme » des solutions au petit bonheur, la loi du marché par exemple ; il n’y avait aucune raison de réguler les industries exploitant les ouvriers au 19éme, tout comme celles qui polluèrent outre mesure au 20éme ou celles qui surfinancinarisent au 21éme ; une sorte de synthèse toute benoîtement immédiate et sans aucune réflexion, un laisser-aller généralisé. Ça n’est pas du tout un ordre ou une organisation, mais simplement le surplus de l’accumulation.

Évidemment le communisme a cru être en mesure d’établir l’humain selon ses besoins, universels, une régulation, abstraite, cad universelle (selon les besoins naturels et universels) et le libéralisme selon les désirs, constamment réinventés ; impliquant l’augmentation continuelle de la production et admettant l’humain comme infini invention de soi mais selon le monde et la détermination ; l’économie est dans les deux cas l’idéologie du corps.

Et pas du tout une science, qui devrait se fonder à tout le moins dans une anthropologie, et en vérité dans une philosophie (puisqu’une science se définit par son objet, donné, là, déjà constitué alors que notre être est une structure, ce qui veut dire formellement un rapport, non fini, non déjà donné, non immédiat (un rapport immédiat n’a aucun sens) ; c’est ainsi le possible qui devait, aurait dû, aurait pu s’envisager comme science, mais alors ç’eut été une philosophie. Qui eut lieu, en partie ; la philosophie eut lieu, Rousseau par ex est effectivement réel ; et Kant qui attendait les nouvelles de France.

La non immédiateté du rapport que l’on existe (et que l’on n’est pas, puisqu’un rapport n’est pas) fut absolument insistée philosophiquement ; Sartre et Lacan analysent cet « être » qui n’est pas un être mais un mouvement (le pour-soi) et une coupure (le signifiant dans un corps-vivant) ; impliquant ceci que pour la première fois est analysé cela même qui existe, dans l’antériorité à tout ; le champ intentionnel antérieur à tous les autres ; la pré-organisation structurelle de tout le possible humain (et donc bien antérieur aux besoins ou désirs). La série indéfinie de signifiants (qui viennent tenter d’exprimer, et recoudre, la coupure qu’impose le signifiant à un corps vivant qui n’en demandait pas tant) équivaut à la série indéfinie des objets ou des images d’objets ; qui ne satisferont jamais le « désir » puisqu’il n’a pas de correspondant, dans le monde ou le corps, et puisque de « désir » il n’y en a pas, pas vraiment.

Lacan peut bien en référer au « ne pas céder sur son (vrai) désir », sous-entendu les autres sont des relais (pour que le désir continue, et ne s’absente pas comme dans la dépression), des fétiches, des illusions, nécessaires (sinon on devient ou on est fou ou malheureux, etc) mais faux, Sartre en fin de compte nie qu’il y ait désir, fondamentalement, mais décision (cad engagement, renvoyant la psychanalyse évidemment) ; mais il n’y a pas une nature humaine ou une identité (du moi) qui soutienne le champ intentionnel de la conscience actuelle mais il, le champ, s’élabore de sa propagation structurelle ; il élabore son actualité, son actualisme, sa présence active et extrémiste ; et on a reconnu en dieu, la pensée universelle, le sujet ou le réel la signifiance même qui s’ébauche de cette pré-organisation. Seuls dieu, la pensée et l’universel, le sujet et le je, et le réel supportent l’arc de conscience. Et exigent que le pont, l’arc-boutant soit tissé.

S’il n’y a pas de désir, c’est qu’il n’y a pas de manque, mais l’entière possibilité de positivité brute. Dieu, l’universelle ampleur, le sujet ou le réel sont l’immense devenir, et donc l’infinité, la non finité, des rapports possibles. On ne trouvera donc pas dans le monde ce qui correspond à la structure (et ainsi n’est pas un désir) mais ce qui correspond à la structure est Créé, est le possible en tant que Créé. C’est le sens du terme de « rapport » ; on ne sait pas à quoi, vers quoi, pour quoi il se dirige ; or on considère qu’il est la structure ou le réel lui-même.

Bien évidemment on ne peut pas vivre, quotidiennement, dans et par et pour le structurel, mais y atteindre ici et là, et cela, la remodélisation du possible (via dieu, l’universel, le sujet ou le réel donc) change tout.

C’est bien ce que l’on éprouve dans la religion, la philosophie, la liberté, l’existentiel (ou la poésie ou l’esthétique, etc). Sous-entendu, on l’éprouve mais difficilement, ou si l’on préfère c’est une épreuve, littéralement ; on est un moi et, parfois, avec un peu de chance ou de constance, un je et cette expérimentation, rare, du je ne doit pas s’oublier ; il faut en élaborer une théorie spécifique pour mémoriser et tenir cette structure expérimentée ; sinon cette ex-stase s’échappe. Il y a des évangiles, des systèmes, des poésies, puisque les signes en sont autant de distinctions qui splittent ou déplient la vision du structurel, et ce non comme discours extérieurs (et objectivistes) mais en tant que l’on n’échange véritablement que des sujets. Ce qui veut dire non des échanges mais des dons.

Il n’est aucune réconciliation qui refermerait le corps sur une totalité ou une représentation « qui serait éprouvée », la chose hallucinatoire, le poursoi-ensoi de sartre ; le regard se clôt, le champ s’épuise à investir une « chose » innommable, si il n’est pas tendu par tel ou tel rapport de structure, absolument externe ; sans tension il se tue dans la chose, dans l’image, dans le discours ; il se retire de sa propre vue, de la vue distinctive parce que distincte de dieu, de l’universel, du sujet ou du réel. Il n’est aucune réconciliation mais l’augmentation de la coupure, de la division : en tant qu’elle se comprend elle-même et pousse jusqu’au bout cette division, ou dit autrement cette distinction, qui est la première de toutes, puisque dieu, universel, sujet ou réel. Ce que les sujets échangent ou donnent ce sont donc les coupures elles-mêmes (et on a tué les prophètes ou Socrate, pour cette raison même).

Résumons ; on a instauré la structure du réel, à partir de dieu, de la pensée, du sujet et du réel, pour tout oublier dans l’ensemble de tous les contenus, rendus possibles par et via les structures, structures noyées dans ces acquisitions, mais qui n’ont de finalité que dans les structures de dieu, de l’universel, du sujet et du réel. Parce que sinon images et choses s’enfoncent dans la répétition psychologique puis psychique et la nuit métaphysique ou les ténèbres ontologiques. Rien de ce qui est déterminé ne tient le réel. La question est ainsi ; comment reprendre l’ampleur qui fut ?

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