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instants philosophie

Le moi comme bricolage, collage

1 Avril 2023, 07:22am

Publié par pascal doyelle

Nous voici donc dans cette époque livrée au fantasme, ayant oublié, lorsqu’il n’est pas méprisé, l’universel et de manière confondante abolissant même le réel. Puisque seul compte, existe le fantasme.

C’est finalement ce que raconte Lacan ; que le moi, dans son organisation, est tendu par et même dans le fantasme. Le fantasme fondamental c’est spécifiquement « l’être » ; Lacan retient la con-fusion décrite par Sartre ; le pour-soi se rêve comme en-soi (mais si il est en-soi il ne peut pas exister comme pour-soi). L’être est apparemment une idée, rationnelle, mais en vérité c’est une confusion, et d’abord une fusion ; l’idée, la raison, la pensée ne donne jamais, n’aboutit jamais à « l’être » ; de même l’infini, on ne sait pas du tout ce que c’est. Peut-on même penser l’infini ? Aussi Descartes prend bien soin d’identifier l’infini à la volonté, cad à l’intention, ou donc au « rapport » ; ce qui existe en tant que rapport n’est le début ni le terme mais le mouvement, et comme le comprendra Hegel le mouvement même de la pensée absolue qui tourne indéfiniment en système, savoir absolu (qui revient et reprend toutes les pensées, dont le « système » est l’ensemble de toutes les pensées, qui eurent lieu).

Descartes dit bien et en vérité que la volonté est la marque de l’infini, le sceau de dieu en nous et même et donc ce par quoi nous existons ; qui dit « volonté » ou « intention » ne dit « rien ». et ceci est la véritable liberté. Puisque cela impose que le réel soit ce mouvement ; cet arc de conscience qui crée un champ, lequel est constitué de rapports (idées, signes, sentiments, perceptions, amour ou haine, etc, bref tous les champs).

Descartes ne dit pas que nous sommes absolument et tout entièrement cette liberté ; il met simplement, et en vérité très simplement, en lumière ce petit écart ; bien suffisant, puisque l’on a vu que dans une situation donnée, par ex, ce qui va compter ça n’est pas la masse de choses ou d’informations données, mais la petite différence qui détonne et ouvre sur le possible, cad la modification, aussi fragile soit-elle, de cette situation, de cette identité, de cette essence, etc ; le signe, les signifiants du langage permette d’introduire, à peu de frais, une telle distinction, un tel écart. On peut difficilement déplacer les choses ou les êtres physiquement, on peut aisément mouvoir leurs signes (et organiser ensuite les moyens).

Lacan, par-dessus, vient bien appuyer sur l’état global de notre être, de notre être déterminé ; mais il sait que cet être n’existe que de l’ouverture d’un champ intentionnel ; il a lu Sartre.

Ce champ intentionnel (version Sartre, qui est un champ impersonnel, bien qu’il y ait eu quelques variations, mais qui au début pose le « moi » comme un « objet » dans le champ impersonnel, ce qui, cette impersonnalité, lui permettra, pense-t-il, d’évaser vers l’universel, comme natif)

ce champ intentionnel donc est pour Lacan le signifiant ; ou plus exactement le signifiant est l’effet, réel, de la conscience (que Lacan ne prend pas en compte) et qui coupe et ouvre … ce-corps-vivant, qui inversement n’y comprend rien.

Le fantasme est le rapport qui va venir ou qui va croire réaliser la jonction de ce corps-vivant (de là l’étayage sur le « pulsionnel », mais en partie halluciné, cad pris dans un champ intentionnel) et la réalité.

Le corps vivant est tourné vers lui-même (il doit survivre avant tout, il est au milieu de son milieu), mais le signifiant le coupe de haut en bas. Sans reste, sans qu’il ne reste rien. Sauf que, quand même, il est véritablement un « corps vivant », et cela fait masse, poids, ancrage, pivot inamovible, mais difficilement compréhensible ; on ne connaît spontanément ce qui se passe dans le corps, il est opaque comme une chose, excepté ici et là ce que Freud nommera les pulsions par ex. Corps qui est et qui n’est pas signifié ; il est signifié, accolé à un (ou des) signifiant (Jean Pierre par ex, mais c’est rarement aussi facile) ; le signifié de ce signifiant « moi-même » échappe, il est massif, donné là, immobile pour ainsi dire ; ce corps qui est-là et qui résiste ; qui résiste à la pression qu’exerce le flux humanisé de tel ou tel groupe et qui résiste au conscient d’un «moi-même ».

C’est ce sur quoi compte Lacan ; le sujet inconscient résiste ; que le pli interne du moi, à partir duquel il y a un moi, qui ne préexiste pas à cette coupure, si difficile et violente, que ce pli re-vienne constamment, puisque, elle, la coupure, n’appartient à rien, n’appartient à rien qui soit du signifiant, puisqu’il s’agit du signifiant spécial dont le signifié est le corps, comme masse (et masse pulsionnelle qui plus est, mais on ne s’engage pas là-dedans). Ce qui veut dire a contrario que tous les autres signifiants sont ordonnés dans tel ou tel ordre … les signifiants sont des organisations et toutes ces organisations sont contraignantes et mensongères. Y compris le mensonge, ordonné, que l’on se raconte à soi-même ; ordonné puisque sinon on n’y comprendrait rien, à ce que l’on raconte ; au sortir du rêve ou du cauchemar on réorganise, et cette réorganisation peut être lue mais « au travers », décryptée, elle dit et ne dit pas le magma.

Que le magma interne soit marqué des signifiants, veut dire que c’est par et dans un champ intentionnel, dans la coupure (la castration en somme, le « je ne suis pas le centre », et donc « il y a un regard » au-dehors, étrange, inquiétant, totale panique, je suis « vu », mais de « où »?) ; pour nous n’apparaissent que les réalités marquées par des signes ; la prise en charge du corps par le champ est évidemment ce qui fait problème (il faut mouvoir le corps, qui tire, parfois, vers d’autres réalités éprouvées, mais qui tire toujours vers sa propre masse, puisqu’il est la part coupée, et annulée, qui n’apparaît plus).

Et donc il faut s’illusionner, sinon on tombe dans le signifié massif, qui est inatteignable mais absolument puissant, toujours-là du vivant, d’autant plus imposant qu’il ne peut pas être relié aux autres signifiants, qu’il est un demi-signifiant qui ne se relie pas et donc ne s’explicite pas ; parce que tous les signifiants on peut dire qu’ils sont constitués eux-mêmes de signifiants et donc ordonnés ; pris dans le réseau, les réseaux de signifiants on peut contrôler le monde, autrui, les peuples ; on peut tout aussi bien croire que l’on contrôle le réel. Mais le corps est tout à fait autre.

Un tel système, qui s’installe toujours (du groupe ou du conscient personnel) renie le corps mais aussi le réel de la réalité (qui est réduite en petits morceaux, découpée, par les nombres, les signes, et aussi les images, ou si l’on préfère synthétise en un bricolage, afin de se gérer, comme communauté ou comme vie vécue, sinon ce serait invivable et comme d’habitude il faut cependant que cette synthèse bricolée n’occupe pas tout le champ) et il renie également dieu, la pensée, le sujet (qui n’est pas le moi), autant que le réel. Ou si l’on préfère ; on va croire aux signifiants (en imaginant leurs signifiés, qui sont en vérité encore des signifiants qui appartiennent au groupe ou à l’élaboration consciente que l’on s’est fait de soi), y croire en les hallucinant ; on va désirer.

En somme le langage fut créé par et dans le groupe humain et sans cesse il revient à son origine de mise en forme culturelle ; dès que l’on parle on appartient au groupe natif et celui-ci (qui doit absolument se comprendre, sinon tout se désorganise et on ne survit pas) se referme sans cesse ; par la télévision le groupe se resserre, de même internet se recentre « autour de lui-même », tandis que les individus font figures d’électron libres (un temps).

Il y a toujours une perversion, une névrose, une hallucination dans le désir, et c’est très bien comme ça ; parce que sinon, donc, on deviendrait fou (ceci étant il est possible de parvenir à un équilibre, il ne faut pas exagérer). Mais, en même temps, il faut, puisque l’on ne sait pas où est la conscience-de,où est le regard, il faut se tenir lointainement et admettre un autre-champ, ce qui veut dire un autre champ intentionnel ; le troisième genre en somme.

On ne sait pas « où » est la conscience et donc elle se loge tout spontanément dans, à l’intérieur de tel objet de désir ou de vue ou d’affect et l’on s’y perd (puisque c’est cette conscience en quoi l’hallucination ou la perception ou la relation consistent ; le tomber-amoureux on ne sait plus qui quoi par où on voit ou on est vu; décentrement que souvent, mais pas toujours, on adore (on peut aisément en souffrir de tel désir). Et plutôt que d’être le jouet de cette insituabilité, qui alors nous possède, autant se jouer de ce « où » inconnaissable.

Dieu, l’universel, le sujet ou le réel, ou la poésie ou la révolution s’utilisent afin de non-situer l’arc de conscience ; une non-situation (hors du monde et hors de la vie vécue) qui nous sauvent de son insituabilité (qui nous piège ; où est le regard dans le monde ? S’interroge-t-on) ; regard qui sinon emplit tel objet fascinant, telle chose du monde, tel être captateur, tel groupe refermé. C’est bien pour cela le non-regard est passionnant, et non pas subjuguant. Le regard non-situé est séparé, tout comme le divin est séparé tandis que le sacré se réserve une part du donné et sacralisait le groupe, le monde, la perception en telle ou telle réservation.

Captivé, capturé on en adore la passivité, celle du moi hypnotisé, résumé, clos, investissant une chose ou un être ou une identité. Tandis que le je, qui n’est pas de tout repos, se consacre, au sens propre, à l’activité et même l’activisme (songeons au poète mais aussi au révolutionnaire).

L’un n’est pas moins fou que l’autre. Non de la même folie. L’énergie du moi n’est pas la même que l’énergie du je.

Le moi désire être immédiatement lui-même. Le je l’est instantanément mais il ignore totalement où il existe et quel est ce mouvement si inhumain, ou surhumain, ou divin, ou cette impossibilité ; il est libre parce qu’il en est l’esclave (comme Saint Paul, du christ). Ça ne sert même à rien de le dire, ou de se le dire, puisque l’on est déjà au-delà ou antérieurement au dire. Et donc on fait.

Puisque si le moi fantasme, le je veut. Et donc il veut le réel, parce que l’on ne voit pas ce que l’on peut « vouloir » d’autre, que le réel, ce à quoi l’intentionnel se confronte, aboutit, obtient ou non un résultat et sur lequel il peut encore ajouter de l’encore-plus (puisque les réalités, les images sont seulement, elles, dévorées ; la forme accumule, le monde entasse et puis se décompose).

Ça ne veut pas dire du tout qu’il faut être Rimbaud ou rien, ou Robespierre ou Einstein ; parce que chaque je doit lancer ses propres ponts dans le réel, et n’obtient de dépassement que de ses propres possibilités ; en vérité si des fantasmes il en existe des tas, des possibilités réclament d’elles-mêmes et structurellement qu’elles se rendent réel, aboutissent au réel ; penser au 6éme av.JC, devenir chrétien au 1er siècle, se soulever en 1789 ou inventer du neuf en 68, le psychanalysant (actif forcément c’est lui qui travaille) adopte soudainement le point du je, qui décroche, relativement, le moi de son collage ; le moindre devenir formel du je dépasse, outrepasse tous les fantasmes du moi ; c’est pour cela que le fantasmatique se répète, le structurel avance ; un chrétien ou un philosophe ne se figent pas (ou alors ce sont des pharisiens), il progresse, sinon ça n’aurait aucun sens ; le structurel devient, et même on le dit, le structurel est cela seul qui avance, le réel est plus grand que lui-même, le monde, le donné, le déterminé disparaît ; rien n’est facile mais les possibilités sont posées et elles ne rêvent pas, elles réalisent le réel, le créent, d’une part, en tant que chacun, sous le forme de son je, est concerné ou en tous les cas atteint (chacun est investi par la révolution par ex, et par la révolution française on voit que cet engouement universel est en vérité un enthousiasme pour l’individuel, puisqu’alors l’égalité est absorbée, intégrée en la liberté, et non pas la liberté isolée ou l’égalité imposée).

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