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instants philosophie

Le moi et son corps

20 Mai 2023, 08:10am

Publié par pascal doyelle

Le moi, cette invention tout à fait spectaculaire et profondément nécessaire et absolument justifiée et multi réalisatrice, est catastrophé, bouleversé, renversé par l’arc de conscience, cette structure intentionnelle, qui n’obéit à rien ni à personne et pas même, surtout pas, au moi lui-même.

Bien que celui-ci s’emploie à tourner et détourner l’antériorité de l’arc ; antériorité non seulement dans la temporalité mais structurelle ; l’arc est constamment antérieur à toute intentionnalisation, qu’il rend possible.

L’arc de conscience crée le champ intentionnel (unique, il est formel et il n’y en a qu’un) qui rend possible de disposer tout le monde donné, des choses et des êtres, en rapports, dénommés signifiants. Les signifiants découpent le champ de perception en champ(s) intentionnel(s), il faut en effet que soit manifestés les distinctions opérées dans la perception, et à l’origine afin que le groupe humain puisse communiquer et se transmettre (entre générations) et forme ainsi quantité de systèmes de signes (systématiques qui admettent la mémorisation, sinon on parlerait et penserait n’importe comment). Ces distinctions ne sont accessibles qu’encadrées par les signifiants ; aussi peut-on passer d’une langue à l’autre, voire d’un langage (mathématique par ex) à l’autre, bien qu’évidemment si existe tel langage, ça n’est pas pour rien et qu’il contient en lui-même des distinctions qui, traduites, perdent leur sens relié (ce qui vaut également pour les langues), et cependant tout à fait généralement puisque toute conscience est donnée-là dans le même monde et toujours en et par un corps vivant dans le même champ de perception immédiat, il est possible de traduire et de saisir la signification. C’est le monde et le corps donnés là qui portent les différents langages et langues.

Il est évident qu’organisé suffisamment, le système commun du langage s’est investi en une multitude de sujets, qui amenèrent dans le « commun » les aperceptions, les expériences, les inventions, les créations telles qu’accessibles uniquement par et pour les je. De là les esthétiques, les éthiques qui purent se déployer.

Or cette technologie inventée par la réalité, le vivant, le monde, qui consiste en une série de rapports distingués, les uns des autres ; est précisément le dit rapport dont on ne sait pas par quel bout le prendre. De là qu’éventuellement on a pu croire que l’universel ou dieu nous possédaient et que nous ne consistions en rien du tout, et qu’à l’inverse le rapport, l’universel, l’arc divin valaient tout contenu et tout contenu, suffisamment relevé, nous poussait bien au-delà de nos capacités ; exigeant. Dieu est exigeant, la pensée est exigeante, et … le rapport à soi est exigeant.

Ce dont se protège le moi.

Tant que la puissance de l’arc de conscience n’est pas désigné, nommé comme tel (et analysé) il s’investit n’importe où et n’importe comment… Aussi est-il signifié comme dieu, universel, sujet et réel. Rappelons que la dite « puissance » signifie « potentialité », et ce à l’état brut ; puisque l’arc de conscience est le seul exemple de rapport que l’on connaisse et que ce « rapport » on a dit que lui seul était susceptible d’équivaloir au Possible (que l’on considère comme la logique, le principe de ce qui est ; tout ce qui est possible, existe, et en un sens absolument spécifique ; c’est le possible qui existe, c’est le possible qui devient ; au sens où le réel est plus grand que lui-même et qu’il n’est aucune autre assignation suffisante au « réel » que « le plus grand possible possible » ; exemples manifestes ; le christique rend possible le possible, dans le regard du divin incarné en un corps, justement, mais également la révolution rend possible « encore plus de société humaine, humaniste universelle puis personnelle individuée » ou que Descartes lâche les sujets un par un, etc).

Parce que voilà bien le problème. Le moi n’admet que difficilement le joug d’un arc de conscience ; qui pourtant origine absolument tous ses contenus, tous ses désirs et objets, toutes ses intentions. Puisque tout ce qui nous apparaît n’existe que par et dans le champ de conscience, intentionnel, de A à Z, du haut en bas, qui coupe le corps vivant tout entier sans reste aucun (ce que décrit Lacan, introduisant, autant le dire, Sartre dans la psychanalyse) ; le signifiant ne laisse aucun reste sauf cet ancrage en quoi consiste la signification, le signifiant de « soi » et qui désigne ce-corps-ci, lequel ne peut pas être repris dans un trajet, un circuit de signifiants ; le corps donné « là », arrête la ligne des signifiants, et s’impose comme l’inconscient lui-même, le « là » qui ne peut pas être parlé, ne peut pas être réintentionnalisé, qui glisse de par son poids dans l’inexprimé, l’inexprimable. Et attire tout l reste ; le signifiant qui n’a pas de reste, se trouve confronté à une masse inatteignable.

Et non seulement. Parce que les intentionnalisations soit elles suivent leur destination structurelle ; dieu, l’universel ou le sujet ; soit elles plient sous le poids, sous le poids du corps, non seulement de son inertie, mais surtout de, ce que Freud à nommer, des pulsions ; le corps, qui est vivant, lance pour ainsi dire ses insufflations en déviant les intentionnalités ‘vers le bas’, vers des finalités immédiates, faibles, limitées puisque désignant des choses, des objets, des réalités qui correspondent à ce corps vivant, s’identifient à ses satisfactions ; et ce d’autant plus que l’intentionnalité permet d’imaginer les dites satisfactions, de les halluciner ; aussi est-ce vers le « bas », vers le monde et vers et dans les limitations, que sont enroulés, bernés, roulés, les signifiants ; le corps vivant s’introduit évidemment dans, entre les signifiants.

Les signifiants qui en eux-mêmes, déjà, n’existent que si ils se répondent les uns les autres (de sorte que le discours continue malgré les interruptions des satisfactions) et qui de plus désignent non plus seulement comme signifiants mais signifiants parce que nés de et par et dans le rapport, dans l’arc de conscience (étant entendu que ce ne sont pas les signifiants qui « créent » la conscience, mais un arc de conscience qui se crée, à tout le moins, dans la cervelle, ou de dieu), ces signifiants parce que relevant de l’arc de conscience signifient vers le retour de cet arc ; le retour de cet arc empli de son exigence, Et retour qui détiendrait enfin une satisfaction qui ne serait pas imaginaire (et donc déceptive, et qui a besoin de retenter son hallucination, en quantité d’objets substitutifs, échappant aux diverses déviances à propos de l’objet, du sujet, ou évitant le manque du manque, cad la dépression et l’angoisse, puisqu’alors le circuit (intentionnel) du désir cesse et nous jette dans le néant, plus d’objets, même déviés, mais également ailleurs plus de désir).

Une satisfaction non imaginaire n’existe pas… on ne peut pas prouver dieu, l’universel, le sujet, la liberté, etc. C’est exclusivement la foi, la conversion (à la pensée), la certitude au moins a priori. D’aucuns ne présupposent pas même la certitude a priori, convaincus que n’existent que les choses, les corps, ou les calculs ou les idées ou les idéologies (qui toutes s’emploient à nier la liberté, le libéralisme la remplace par le désir, et le communisme par le besoin, et l’anarchisme par une version de l’amour fraternel ou du corps et de l’ego repeints angéliquement ou par une providence naturelle ou immédiate, qui s’emploient toutes à se substituer de l’extérieur au corps vivant). Mais la certitude du je n’est nullement adossée à quelque contenu (puisque Descartes les repousse tous en bloc), alors qu’est que le je affirme ? Quel est non le contenu mais la trace, le projet, le tracé, la ligne que dessine le je ?

Dès lors on est renvoyé à l’anti-corps, prétendument, puisque Platon ou le christique, Descartes ou Lacan paraissent négliger le vivant (au profit d’une abstraction). Mais en vérité, et en fait ontologique, notre corps est depuis l’origine remplacé par l’autre-surface-du-corps ; celle couverte de signes. Puisque nous avons un corps et que donc nous ne le sommes pas (sur cette masse profonde, ce poids nous avons réécrit la réalité). C’est ainsi une autre version du corps vivant. La poursuite de la vie sous cette autre formulation, sauf qu’elle est passé du vivant à l’existant.

Qu’il se soit développé, à tel ou tel moment de l’historicité (cad du devenir), développé un commencement de maîtrise (et donc de création) de cette autre-surface (puisque l’on ne voit pas comment contrôler les signes sans en créer de nouveaux, toute conscience, libérée, par le christique ou la philosophie ou l’esthétique, etc, ne peut pas faire un pas, de plus, sans créer), ce redéploiement de surfaces (à profusion) s’impose comme l’impératif-même.

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