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instants philosophie

L’amour courtois

23 Décembre 2023, 10:37am

Publié par pascal doyelle

 

La fin’amor. Le roi Arthur. Le Graal.

Il ne s’agit pas d’abandonner l’universel, la pensée, mais de la plier vers et par le réel, par l’expérience du réel tel qu’en direct il surgit. 

Or ce réel a pu naître sous nos yeux, au moyen-âge. sachant parfaitement que ce sera du Signe que se marqueront, s’écriront les poèmes et les romans. 

Et il surgit en direct depuis, au moins, Descartes, de plain pied. Descartes qui abandonne la-pensée (cad la métaphysique) et qui la remplace par l’ontologie ; puisque ça n’est plus en dieu ou dans les idées que “ça” existe, mais ici et maintenant et la preuve en est que le sujet existe. donc l'articulation, l'articulation qui est antérieure à la pensée, est ici et maintenant.

Et ce pli, de la pensée vers le réel, aboutit, théoriquement, à découvrir l’universel de ce réel même ; ce que l’on a approché comme le présent, qui est l’exister, le mouvement, le devenir, ou la véritable perfection qu’est la perfectibilité, et ce en raison du possible ; le possible rend le réel plus grand que lui-même et il y a une réalité afin que quelque “réel” naisse, en plus. 

Ou, meilleur moyen de comprendre, d’en saisir l’importance, si le sujet est articulation, c’est que le rapport est ici même. Pas (d’abord) en dieu ni (avant tout) dans le ciel de la pensée, mais ici même. Un rapport ne peut qu’exister ici même ; il n’a pas de double ou de seconde réalité. Kant éprouvera un mal de chien à tenter de stabiliser ; il dira que c’est ici-même mais dans le nouménal (la liberté par ex n'apparaît pas dans la phénoménalité). Et Hegel comprendra si bien que du rapport il s’agit, que tout ce qui reste de la-pensée, c’est l'articulation généralisée de toutes les expressions de cette articulation, de la négativité qu’est la “conscience”. Transformant tous les systèmes en phénoménologies. Phénoménologies de cette articulation qu’est la négativité. 

Et le glissement est incessant ; même lorsque Marx ou Freud ou nietzsche ou les sciences situeront la réalité dans le monde, l'inconscient ou l’énergie. Ce qui articulent l’humain est dès lors toujours situé au-dehors, dans les réalités “empiriques” ( qui paraissent justifiées comme naturelles ou réalistes mais qui sont évidemment des images ou idées, construites et abstraites et ne se donnent comme évidentes que par idéologies ou négations). 

C’est que dieu, les idées ou le christique ou le sujet sont rejetés hors de l’objectivation ; la réalité, donnée là, mesurable ou perçue ou affectivement ressentie, paraît plus réelle que le réel (dieu, la pensée, le sujet ou le réel donc). Dès lors et effectivement le rapport n'apparaît pas dans les contenus. Or il n’est pas de contenus sans le rapport même.  

Cependant il n’est de contenus ou d’objet construit expérimentalement ou scientifiquement ou idéologiquement, que de et à partir d’un sujet ; 

Soit donc à partir de Descartes qui lance théoriquement ce que galilée et autres initièrent ; le programme, le projet de la science, de la mathématisation, et du sujet transcendantal. La seule articulation que l’on connaisse est celle que l’on éprouve comme je. (Et il dit que ce rapport c’est dieu, l’image de dieu en tant que nous, le sceau de dieu lui-même, qu’il désigne comme “volonté” cad intention si l’on sort du classicisme de la raison consciente, alors que “intention” signifie vers la conscience intentionnelle, qui non seulement couvre un domaine bien plus vaste que la seule raison, mais en vérité est la source même de tout le reste, de toutes les intentionnalisations, et ce jusqu’à la perception, à la phénoménalité apparaissante). 

Depuis que le je reste seul au devant de tout, placé au Bord du monde, il finit par ne considérer comme effectivement réel que le donné tel que là, soit donc la détermination ; il s’oublie lui-même dans ces étants, ces contenus, ces réalités, ces vies vécues. Jusqu’à ce qu’il se heurte au “là” précisément, cad à l’existence brute de Sartre ; le “ça existe”. 

Par quoi il ne s’agit plus seulement de la structure du sujet (qu’il soit christique, cartésien, kantien, hégélienne, husserlienne, etc, sartrienne et lacanienne) mais du lieu en lequel paraît, surgit, se structure le dit sujet. Heidegger, par exemple, l’être-le-là, la clairière et l'articulation titanesque du temps ; articulation que l’on ne saisit pas bien ; puisque, en vérité, il s’agit non de l’être, ou l’estre, mais du présent.  

Évidemment il ne s'agit pas seulement du présent coincé entre le passé et le futur, mais de cela même qui déroule la totalité de l’être, des essences, et qui n’est pas, ce déroulement, lui-même une essence.

Or ceci implique de toute manière et quoi qu’on y fasse, la capacité de l'indétermination parvienne à sa propre compréhension ; ou donc, et bien que seules les déterminations sont telles que données là, ce qui existe est la forme de ces déterminations ; en tant que présent et en tant que conscience. Et ainsi loin de croire en la formule magique de “l'indéterminé”, on en est venu à préciser distinctement en quoi et par quoi l'indétermination se signifie dans le monde donné là et dans le vécu ; en tant que présent et conscience. 

Il s’agissait seulement donc de tirer toute la conséquence de la structure agissante et si elle agit c’est qu’elle est le possible-même. et le possible-même s’indique comme rapport, en ce que, précisément, le possible assure et assume la capacité de rapports. lorsque vous définissez dieu ceci ou cela, tel ou un tel, le jeu est déjà joué. De même lorsque vous vous définissez en une identité ; aussi fut-il implacablement nécessaire que dieu, l’être, le sujet et le réel soient formels. de sorte qu’ils entraient dans la représentation et renvoyaient la réalité, la réalisation, l'humanisation ou l'individualisation à leurs possibilités mêmes ; ce qui fut fait.

La capacité de l’indétermination, ou le signifiant assoiffé 

De là que ces formes absolues (une forme est de fait absolue) créèrent les mondes, les mondes humains qui suivirent ; du monothéisme à la révolution ; 

De là que l’on ne peut pas voir, percevoir, toucher ou acquérir le caractère formel du réel ; il ne s’obtiendra pas en une subjectivité ou ne se déduira en ou d’aucune objectivité ; ni pensé, ni ressenti. Par contre il est, l'indéterminé, cette forme qui créera, en chacun et en tous, des affects spécifiques.  

Un des affects fondateurs, dans notre civilisation, est celui du fin’amor, de l’amour courtois ; du jamais vu nulle part en aucune civilisation. comment une relation intersubjective s’élève en et par son propre pouvoir, sa propre capacité, son déploiement de rapports à toute une société humaine et reprenant à la fois le merveilleux celtique et l’esprit chrétien en une transformation de l’épique et du lyrique en mystique, mais en mystique éprouvée ici et maintenant. Ce qui se résume par cette énigme ontologique : le graal.

Le graal, le signifiant invisible, ou ininterrogé, le signifiant sans signifié, et qui est “absenté” ; de même que le christ, il est là et il n’est pas là. normal qu’il naisse en france, puisque le français ne veut pas combler le vide, le centre ; le centre est partout ; il n’est pas absolutisé, puisque c’est ce qui circule. 

Soit donc la relation humaine, y compris relation humaine à soi-même. 

Mais ce dernier est la pointe ultime ; précède l'ensemble de tous les rapports humains tels que modifiés, transformés, devenus, ayant renouvelé le christique (puisque c’est ce à quoi tout aboutira mais bouleversé) ; devenir qui va se permettre, s'autoriser, rendre possible et accessible le véritable rapport humain ; sous l’auspice du fin’amor, de l’amour courtois, en tant que processus civilisationnel complet ; raison pour laquelle il a pu s’étendre de quelques romans à un idéal humain généralisé, puisqu’il s’agissait, de fait et absolument, d’une humanisation et d’une humanisation individualisante ; le lien entre soi et autrui, mais aussi entre soi et soi-même, et selon l’existence, l’étonnement ou l’effroi face à l’existence. 

La finalité est qu'étant donné que notre être n’est plus un être mais précisé comme un rapport ; que faut-il introduire pour que ce rapport se modifie (ce qui lui est désormais accessible de et par lui-même en tant que rapport) ? la réponse est ; le rapport lui-même. Le rapport est cela même qui doit être introduit en lui-même, afin que, signifié, il puisse se définir et redéfinir sans cesse et qu’étant un rapport il puisse réaliser lui-même, de par son activité, cette transformation, ce devenir, cette perfection (au sens de perfectibilité, ce qui est le summum ou en somme la perfection seule réelle ; qu’elle puisse devenir). or donc, puisque nous sommes rapport et rapport vers (tout ceci et tout cela, tout soi-même ou tout autrui). 

Aussi faut-il donc que ce rapport soit exposé et partagé à la vue de tous et de chacun ; et le face à face homme-femme servira de modèle et sa logique s’étendra à toute la cour, mais aussi bien au-delà (un nombre certain d’enfants seront prénommés Lancelot ou Gauvain, et il y eut quantité de rééditions des romans et poésies) ; puisqu’il s’agit de mettre en forme la relation humaine (entre amants, entre chevalier et seigneur, entre tout-un-chacun, entre vous et vous-même). C’est presqu’intégralement que le relationnel humain et individuel sera manifesté dès l’origine du roman et de la poésie, de ce que, depuis, on nomme roman et poésie. 

Se cumulant finalement en une version du messie, mais messianique, juif, et d’un royaume en ce monde, d’un roi Arthur emporté en Avalon, le roi qui-reviendra. Suivant la pente d’une réalisation du royaume. Qui échoue.  

Et jusque dans des formulations étranges ; “je ferais un poème de pur néant” (Guillaume IX) ; “je jouirai de la joie, dans un verger ou une chambre” (Arnaud Daniel); Perceval “devine” son propre nom ; le roi Arthur invente la dépression ; Lancelot l’extase idéale ; et tout cela (et bien plus) non pas dans la vue de dieu ou de l’au-delà, mais, de par le magie celtique et les contes, dans la mitoyenneté de la vie, du monde et du merveilleux. 

(un certain nombre d’enfants seront baptisés des prénoms des héros de roman)

Puisqu’en somme il s’agit d'inventer de créer une ouverture dans le monde donné et la vie vécue et la relation humaine (y compris à soi-même) une sorte de vie chrétienne sans christianisme. et ce via la littérature et donc la vie humaine, et en tant que le signifiant ne désigne pas le plaisir ou la satisfaction (puisque l’amant ou amante jouit de l’amour lui-même et non de sa résolution), mais la capacité de désigner sa propre existence (de soi et d’autrui).

De par la fin'amor, il ne s’agit plus de s’orienter vers dieu et l’au-delà, mais pas plus se succomber au désir et à la détermination naturelle, celle de la satisfaction ; aussi l’amour est-il précisément, même lorsqu’il est “insatisfait”, en lui-même l’amour est jouissance ; jouissance du jouir ; et donc (les poèmes le révèlent) jouir du signifiant. Or le fin mot du signifiant est de s'adresser à autrui (christique) et à soi-même. Autrui et soi-même, en tant que dans l’envisagement du tomber amoureux, chacun se retrouve sur le Bord, le Bord de tout ce qui est. Sorti de son moi, et exporté en une fois tout entier, tout entièrement hors du monde, de la vie vécue et dans un énigmatique renouvellement de tout l’être. Puisqu’alors sommes-nous abordés par l’exister (et non plus selon l’être). Exaltation ontologique et c’est bien pour cela que les poètes et les romans du moyen-âge imposent une nouvelle, autre civilisation. 

S’ouvre alors, se découvre, s’invente, se crée l'ensemble de tous les champs du signifiant, tel qu’il se créera en tous domaines (du littéraire à l'esthétique, de l’éthique à la politique, de l'esprit commun à tous à l'individualité, tout est déjà mis en place de ce que, simplement, il s'agira de retrouver dans le monde (chrétien et celtique ou merveilleux), dans la vie vécue (et éprouvée en ses affects, seraient-ils étranges, extraordinaires, exaltés, dépressifs) et en autrui comme en soi-même, de retrouver le même soucis, la même exigence ; celle de l'élévation. L’amour courtois crée la possibilité de l’élévation de la relation humaine.

Il s’invente et se crée un tel champ parce que celui-ci est la structure même, non aléatoire, parce qu’universel ; il existe une structure-conscience, laquelle est identique, absolument, partout et en chacun. Elle est identique ‘absolument’ puisque formelle (indépendamment de tous les contenus et de toutes les identités, et pourtant absolument, à chaque fois, individuelle, singulière ontologiquement). 

 

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