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instants philosophie

Jésus et Rimbaud

1 Mai 2017, 12:21pm

Publié par pascal doyelle

 

Rimbaud pensait à la révolution, a assisté à un de ses effondrements. Il a cherché ce qui dans l’immanence transcende l’immanence, et presque saisi qu’il y a de la transcendance parce que l’immanence est intégralement originellement la transcendance : le réel est de la transcendance brute. Il n’y a que de la transcendance, partout, mais elle est impossible, ce qui veut dire réelle.

Il voit que si la transcendance est le sens unique du réel de la réalité, cela implique que la réalité est une infinie multiplicité, emplie de contenus, de trésors inouïs, et ce qu’il, lui, Rimbaud, Arthur, puisse, ait à se perdre ; sans cesse il réinstaure le sujet absolu, le surdivin, l’autre sorte de divin qui se crée de et à partir de la multiplicité infinie. Le Un ne contredit pas les infinies variations, il ne les fonde pas seulement, il les explose.

Cette révolution, croire qu’elle serait comme l’effet d’un matérialisme dialectique d’une classe, etc, c’est en partie vrai mais cette cause là est elle-même l’effet d’un mouvement de fond.  Comprenons bien que si on interprète mal, on ne saura en aucune manière non seulement redresser la réalisation (au cas où ça déboite), mais surtout et encore pire dans l’impossibilité de continuer ce qui se nomme « révolution ». L’interprétation, limitée, et l’action glisseront sur l’histoire gelée par une pensée figée, Rimbaud brule la pensée en enfer et devient la vision antérieure à tout qui relance le langage, le monde et recrée le surdivin.

Si révolution était seulement la venue du monde au monde, ça retomberait dans le monde (ce qui eut lieu, ce qui a lieu, toujours, constamment le monde disparait et il n’en reste rien). À savoir ce qui était sous pression indue des inégalités et de la hiérarchie antérieure ou de telle société traditionnelle ou holiste, ce qui était étouffé par l’ordre artificiel des royautés par la révolution vient au monde et ainsi la « vie », la vie normale, naturelle, « libre » qui peut se lâcher en somme, parvient par la révolution à sa manifestation. Si elle n’était que cela, ce serait bien (personne ne désire vraiment vivre dans un milieu clos et étouffant, à moins de ne rien connaitre d’autre et d’être né dedans), mais ça ne signifierait rien, rien de plus que le monde.

Or, pas.

On dit ici que la finalité, par-dessus le bonheur, est autre ; que la finalité est de réaliser, chacun, un sujet. C’est structurel, ce qui veut dire que c’est en plus et par-dessus la détermination, le monde, le vécu, le donné ; puisque dans ses effets ça structure la perception, les désirs, les intentions. Par-dessus la réalisation naturelle de notre vie dans une société humaine, cad humaniste, ce dont nous nous éloignons au fur et à mesure, faut-il le dire, puisque si la révolution ne se continue pas, sous d’autres formes, la tension tombe dans le monde, et non pas se crée, cette réalisation est elle-même agie par le mouvement de plus grande ampleur, que rien ne mesure puisqu’il n’est pas nommé.

On a dit aussi que Jésus est un sujet ou Platon ou Mozart et on n’entend évidemment pas que chacun se transforme en Rimbaud. On aime, adore, adule un tel ou tel autre parce que l’on y repère le sujet. Mais on ne dira pas comme Badiou que le sujet se tient d’une vérité ; c’est le contraire ; les vérités se tiennent des sujets ; Badiou fait l’économie de penser la structure « en sujet » comme racine de la réalité parce que du réel, et donc Badiou ne pense pas qu’il y ait un réel, réductible dès lors à une vérité, une représentation, un mot ; la vérité, universelle, a encore cours et ne se réfère pas même à un sujet, qui est pourtant ce qui fut avancé en philosophie depuis au moins Descartes.

Le sujet est ce qui n’a jamais eu lieu et ce qui a toujours eu lieu ; Jésus n’est pas une étiquette (d’une église), ni Rimbaud n’est « le poète » ; c’est ceci qu’il refuse, il réanime que le poète est le voyant, un être en plus et non une catégorie soigneusement rangée dans la culture ; c’est en ceci que les créateurs cherchent profondément une éthique ontologique, leur création entraine la constitution d’un autre-corps, œuvre qui puisse engager tout l’être, ce qui veut dire tout le corps, comme surface-autre, ayant accès au réel, au formel, puisque étant atteint par le réel, le point-autre dans l’externe, comme le tomber-amoureux est la plus grande expérience du moi, le point-autre est la plus grande tension du sujet.

On voit par les deux tangentes susdites, le tomber-amoureux et l’œuvre, ce dont il est question ; ce qui rappelle l’insistance de Sartre sur l’écrivain, l’artiste, Flaubert, Genet ; la manière de se changer et l’être des gens, leur épaisseur humaine et pour Rimbaud hors-humaine, ayant bifurqué en plus de la révolution, leur identité de moi et pour le créateur, par l’enjeu de son propre moi, de son propre vécu.

Et du reste ce qui nous heurte le plus ce serait bien l’étrange position du christ ; qu’est-ce que c’est que ce refus du monde, de la vie, du corps ? Rien de plus effarant pour les mois qui tiennent si fort à leur vie, à leur « destinée » vécue que celui-là qui s’expulse lui-même de son vécu. Mais ni le moi, ni le vécu, ni le corps ne leur rendra cette expulsion, pas d’illusions, parce que quoi que nous fassions ou voulions, le christique est instancié, c’est à partir de lui que nous sommes nés, il nous a baptisé et Rimbaud ne cesse de se le remémorer.

Mais le christ se remplace par l’autre-corps et pour le coup littéralement ; en fait c’est le seul qui le puisse. C’est parce qu’il est Jésus et Fils de Dieu, dixit ; c’est quand même suffocant ; qu’il fut inventé ou révélé le christique est un décrochage absolu, celui qui embraie tout autre chose et tout autrement. Il est le seul qui puisse subvertir intégralement son corps et devenir autre, ce qui veut dire Autre. Personne n’a réussi, personne n’a lancé une telle exploration ; le christ est le (début du) surdivin. Le dieu en plus. En plus du dieu unique ? Peu importe puisqu’il remet tout.  

De fait il le dit. Je viens en plus, par surcroit. Il faut toujours se fier à ce qui se dit.  

Il faut Rimbaud, au moins, pour s’aligner ; un adolescent qui se prend-pour, et qui a raison. Mais qui laisse tomber, parce que c’est vraiment trop impossible. Créer l’autre-corps via l’œuvre est une impossibilité, mais il n’y a pas de choix. Pas le choix et non en désespérant de ce qui n’est pas ; une sorte de vague idéal, il y aurait un corps parfait, un corps objet, il y aurait la Beauté, un corps contenu tel le fameux pour-soi-en-soi sartrien, qui serait dieu, dont on ne voit pas du tout ce qu’il signifie, puisque Sartre imagine un tout qui serait l’idéal spontané de la liberté sans voir que la liberté en elle-même est une forme structurelle, une structure effective et qu’elle est, telle quelle, la vérité, vide mais la vérité et que la vérité est une structure, une forme et non un contenu ou une détermination ; ce à quoi Sartre ne peut souscrire puisqu’il reste dans l’opposition et que « structure » pour lui signifierait idéaliste. Il ne voit pas que la structure tient toute seule, qu’elle est même l’originel. On peut bien la remplacer par un super signifiant, telle la Volonté, mais il n’y aura pas de signifié sous ce super signifiant.

Pas le choix mais étant saisi de l’élan sur le Bord de la réalité, parce que c’est de là que tout arc s’initie, aux deux sens. Rimbaud a surpris le Bord du monde et ce selon le Bord de ce corps, selon ses désirs et ses affects, ses perceptions et l’aperception du langage, de transformer tout l’ensemble en signes vers et par ce qui dans la réalité travaille cette réalité, en tant que le réel est, pour tout arc de conscience, le surdivin. Et le tout, festin et inouï,  énormisé parce qu’il est saisi du surdivin.

Comme nous sommes au ras du monde (au Bord, et depuis la méditerranée) ce choix unique est la racine même : de même qu’il n’y a pas d’illusions, il n’y a pas d’autre choix, parce que l’on existe déjà, toujours, à la racine, au Bord du monde, sur la Décision ; antérieurement il n’y a rien, postérieurement on ignore ce qu’il y a, matérialisant le surdivin ; la possibilité qui va décider au fur et à mesure, mais non pas « décider ceci ou cela » mais qui va créer le possible lui-même des ceci et cela, qui font vraiment figures d’effets et de moyens non de fin ; la règle, du réel, est qu’il crée la règle, qui par ailleurs rendra possibles tels ou tels possibles. Le réel est plus grand que lui-même, hérésie.

Et choix unique dont on sera de toute façon rattrapé. Chacun est la proie du choix qu’il a lancé, tout là-bas, loin dans le passé et non temporel, qui nécessité que l’on reprenne tout, tout entièrement la vie, à partir de la structure, virtuelle, dans la conscience structurelle qui a décidé quelque chose/quelque part, dans le vécu d’un seul et dans l’historicité  et qui continue de se prendre et reprendre dans et de sa décision d’exister, ou pas, qui ,se met en jeu, en scène, se convoque et se hait, s’abomine. Un nœud structurel interne, interne à l’attention même, dont on prend la portée, cette attention qui par exemple est squeezée en psychanalyse ou par l’inconscient, un schéma individué qui ouvrage, une manière d’admettre le réel, selon le marquage de cette réalité vécue et qui porte la connivence et à la fois le rejet absolu du réel comme il est.

Il est un engouement absolu et un dégoût fondamental du réel, extrêmement puissants, et à vrai dire, dans les deux cas tout-puissants. C’est la toute-puissance qui se décide, littéralement, la toute puissance est dieu et en l’occurrence le surdivin. Ce sont deux orientations structurelles dont on ne peut rien décider ; puisqu’ils sont la décision même. Il est absolu d’aimer ou de haïr ce monde. On peut très bien refuser cette existence, que l’univers soit ce truc gigantesque et idiot, un déchainement irrémissible de la statistique (une quantité peut être infinie d’énergie qui se refroidit en vague de particules et produit un univers débile), n’est pas en soi aimable, digne d’être aimé.

L’engouement et le dégout sont les affects tout-puissants. Ils décident de tout, de tout ce que l’on sera éternellement. L’enfer et les Illuminations sont les machines qui opèrent le tri multidimensionnel de l’âme et du corps, « de posséder la vérité dans une âme et un corps »

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