Contre les mécréants
Les ironies qui courent depuis des lustres sur la philosophie sont proprement nécessaires mais assez inconscients.
C’est qu’il s’agit de juger de ce qui existe soit comme désordre sans logique du tout, soit comme devenir de ce qu’il y a de meilleur.
Poser en principe qu’il existe une logique du meilleur c’est s’astreindre à essayer de comprendre en quoi et pourquoi, et donc à justifier, par exemple, même les positions des philosophies les plus éloignées des siennes propres. Tout entre en justifications, et il suffit de saisir en quoi et pourquoi et de forcer la pensée à imaginer les ressorts adéquats.
Autant dire que l’on se lance alors dans l’hypothétique, mais il n’est en ces domaines que de l’hypothétique.
Lorsqu’en effet on raille les invraisemblances ou les incompréhensibilités, on ne prend pas garde à ceci ; il faut qu’il existe au moins un discours qui se charge de ce que négligent tous les autres. Or l’hypothèse philosophique est de prétendre que cette reprise des négligences n’est pas elle-même un éclectisme ou une synthèse vague et hasardeuse, mais qu’il est en ce négligé une logique et une signification. Et qu’il se pourrait bien que le négligé soit lui et lui seul le sens même de tous les autres discours mais aussi de tout ce qui est de fait, partout.
Ainsi il existerait évidemment des logiques portant chaque discours séparé, mais aussi il existerait une logique intégrale secouant même les aperçus fussent-ils bigarrés en apparence, et qu’alors tout développement des discours séparés comme du discours général relève ici d’une science et là d’un savoir.
En gros il serait plutôt absurde prétendre qu’Aristote ou Heidegger, Descartes ou Hegel aient perdu leur temps. Ce serait manifester soi-même une négligence, réelle cette fois, un à peu près, un défaut d’ambition et une considération méprisante vis à vis de ce qui est, de fait, réel et actif. Il serait tout aussi absurde de prétendre que l’art africain est inexistant et en signifie rien, ou que les débuts de la science n’étaient que des fantaisies déplorables sans intérêt.
Or on doit chercher à comprendre ce qui est, au niveau même de la prétention qu’anime cela que l’on entend penser, comprendre. Il est totalement absurde de croire comprendre telle hypothèse divine, relative à tel absolument présent, si l’on n’intègre pas cette absoluité telle quelle, et qu’on la réduit à une psychanalyse du pauvre, ou un sociologisme ou quelque réduction que ce soit. N’étant pas au niveau de ce qui est pensé, ça ne comprend que petitement.
De même il est absurde de renier telle philosophie sous prétexte qu’elle ne rentre pas dans les cadres, tout relatifs, que l’on se serait soi-même, fixés ; c’est que les cadres ne sont pas suffisamment profonds. C’est bien d’un moment faible et peu entreprenant que de penser détenir à ce point la vérité (morte et pauvre) que de « choisir » qui a raison et qui a tort ; comme si il était possible qu’il puisse exister du négatif et du néant dans la réalisation des siècles.
Puisque ce qui est, est, alors soit on se condamne à une approximation de déchets divers et variés aux relations irrégulières, soit on postule que toute réalisation se tient de par soi ; qu’elle contient le devenir très réel et très exigeant en son propre ressort.
Les mécréants qui mésinterprètent la réalisation, sont eux-mêmes enfants de leur époque (comme tout le monde) et en vérité en soumettant le devenir à une mésinterprétation, réalisent effectivement un développement très instructifs et vrai en son point précis, et levant les voiles avec application, mais qui défilent, ces interprétations, sous les yeux du même esprit universel et libre, des grecs ou des chrétiens de la dernière conscience possible ; ces réductions manifestent réellement les causalités et les contingences et les conditions d’exercice de la réflexivité, et si ils suppriment telle ou telle valeur, c’est en vertu même de leur hypothèse de départ, absolument valable, mais qui devrait se connaitre relative.
En sorte qu’il n’est qu’une seule position possible qui consiste à affirmer la vérité de toute position, mais en exigeant que chaque vérité ainsi acceptée soit explicitée telle qu’elle se donne, se dit.
La seule position qui échappe à la mésinterprétation est la plus étendue possible qui se donne à voir, et s’expose, alimentant qu’il y ait débat (on ne débat que de l’exprimer, ou n’existe pour nous que le manifester (Hegel), et ce qui alors rechercher c’est le concept, l’idée, le principe le plus général possible qui puisse accepter toutes les attitudes à l’intérieur de sa position, et par lequel chacun serait en mesure d’accéder à toutes les vérités à l’intérieur du principe de vérité ou à toutes les libertés à l’intérieur du même libre.