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instants philosophie

Sartre et notre être réel

17 Juillet 2014, 08:40am

Publié par pascal doyelle

« L’ être de la conscience de soi est tel qu’en son être il est question de son être »

« La conscience de soi est identique à elle-même par l’exclusion de la conscience de l’autre »

Sartre

Voila deux propositions sartriennes, qui sont parfaitement exactes, mais qui doivent être interrogées.

Parce que l’on voit bien l’enfermement que cela impose.

Cela se déroule en deux temps. D’une part il n’est pas seulement question de son être, et d’autre part l’autre n’est pas ce qui forme la conscience.

Il n’est pas question de son être en son être, parce qu’aussi étrange soit-il cet être est radical et intégralement ce qu’il est.

Si l’autre conscience est presque ce qui induit une certaine conscience dans un moi (de sorte qu’un moi qui ignorerait autrui s’effondrerait comme dégradation), la conscience-même existe autrement et l’autre n’est pas ce à quoi a affaire une conscience toujours déportée hors du moi.

Il est tout à fait vrai qu’il n’existe que des mois, et pas de sujet ; mais il est dans la nature même du sujet de ne pas exister (sinon il serait composé et n’y survivrait pas, la conscience n’aurait aucune utilité comme conscience, elle serait obligée de mouvoir toutes ses déterminations pour être ; or on se meut sans transporter tous ses bagages, il est dans sa structure d’être attentive à ce qui se passe, non seulement à gérer les situations délicates, mais constamment d’être sur le qui vive, ne serait-ce que parce que l’on ne sait jamais quand la situation se trouvera revêche).

Pour Sartre en somme la non existence de la conscience, sa demi vie, est une sorte de manque ou de vide et en tout cas un tourment ou une angoisse et de remplir ce vide est soit un endormissement piteux, soit une si haute exigence que, franchement, elle en est éreintante, voir insupportable, ou encore étant donné son niveau elle risque fort d’entrainer des … désagréments tout alentour ; une sorte d’excessivité, voir de panique ontologique qui pousserait presque à faire n’importe quoi.

Notre être n’est pas en manque sitôt que l’on franchit la barre. La barre qui sépare le moi de sa conscience, de la structure sous-jacente qui n’existe pas, qui n’apparait jamais. Le je du « je suis un-tel » : on ne sait pas qui est le je. Il se dit, mais qui se dit ?

Sartre se laisse abonder vers l’ipséité ; le je est le un-tel, ou ce qui revient au même la conscience, le pour-soi (le je qui est pour lui-même) est une identité ; et comme il voit bien que ça n’est pas tout à fait une identité et qu’elle ne peut se prendre pour elle-même (les salops dans la nausée, les bourgeois ou les petits bourgeois par ex), il est obligé d’instiguer dans le pour-soi une exigence qui est plus que morale (parce que la morale seule ne cadre plus avec l’ontologie forcenée que l’on mène depuis la survenue de la conscience accélérée que déclenche la révolution, l’être-là jeté au monde des consciences, elles sont poussées dans leur retranchement), une exigence hypertrophiée ; un sur-kantisme fondamental.

De ce que le je est une ipséité, il formule un sens ; ses choix formulent du sens et bien sur, au plus haut, ce sens doit se partager (on retrouve les deux principes ; le vrai, le bien, le beau se partagent, le libre se propage). Mais le sujet tel que nommé ici ne fait pas seulement sens, il est le sens même ; il n’y a pas à imposer un Sens qui se recélerait dans la conscience, elle est déjà ce qui travaille le donné ; on ne peut pas briser la réalité d’un côté le donné là, historiquement déterminé et forcément abaissé, face à une « révolution » qui forcera la réalité dégoutante à se ressembler … La réalité est là, et c’est cela qu’il faut orienter et réorienter (on remarquera que Badiou embraie tout naturellement sur le principe sartrien ; il reprend angoisse et exigence, « apparition » de la vérité qui va bouleverser la réalité, supériorité de l’événement sur l’ensemble de tout le donné, fusion des consciences en une extase collective, sujet qui n’existe que porté par la Vérité ; tout cela est absolument passionnant, le problème n’est pas là, mais la réalité n’attend pas la révolution pour exister, le sujet existe de fait à sa manière qui est précisément cela même qui doit être connu, pensé, la vérité ne peut pas être une rupture de la réalité mais la continuité de la réalité, qui déjà travaille et devient, l’angoisse et l’exigence relèvent et poussent à être et non pas exigent et mortifient).

Il n’est pas question de dénier Sartre (il est absolument essentiel, fondamental, dépasse si allégrement, avec avidité LA problématique qui anime toute la philosophie en exportant l’être de conscience hors de son champ fleuri de la seule « connaissance », notre être est par Sartre rendu à lui-même, à lui seul ) ; mais de voir en quoi et pourquoi il statue sur notre être de cette façon là, et de conformer son diagramme, le schéma ontologique qu’il utilise, les éléments et les considérations qui le guident. De montrer qu’il déploie un savoir très exact de notre être (il est un grand sujet qui s’en prend à notre être, qui veut le tirer de là où il est, qui veut l’exposer, l’exhiber afin qu’il (se) modifie de son lui-même et cherche à en appeler à sa propre présence).

La menace qu’il fait peser sur notre être est une interprétation qui suppose une perception ontologique qui nous condamne (c’est dit nommément) ; son être libre est une rupture dans un monde empli de contingences, de nécessités, de pressions et d’exigence impossible ; et ceci sans qu’il y ait une continuité, ni une reconnaissance du réel.

Si l’on pose que notre être n’est que rupture, on n’en sort plus. On reste cloué à nier le réel et non pas à le reprendre ; aussi notre être sartrien est « qu’il est en son être question de son être », dans un mouvement de négation pure ; sans affirmation aucune. Il n’y est pas pensable que cet être puisse se vouloir comme il est, là, et donc il renie son réel. Ce qui augmente d’autant la contrainte hyper morale, d’exiger qu’il soit véritablement autre. De quel « véritablement » s’agit –il ??

Il est dans la projection que l’être libre sartrien doit absolument, impérativement, devenir, un appel à l’irréel ; une vérité qui doit naitre de son engagement, une vérité qui sera la réalité, en attendant elle ne l’est pas. Et jamais une telle « vérité » ne rencontrera la réalité ; elle sera mortelle pour la réalité, pour le réel, et pour les autres (en quoi donc on voit que forcément c’est dans l’exclusion des autres que ça nait …)

Tout cela est véridique, mais cela va interpréter inversement ce qu’il en est de notre être ; lequel n’est pas en question, lui, mais ceci qu’il met l’être en question, et en question en un sens précis, c’est lui qui va devoir prendre en charge l’être qui est, le réel, et lui qui va pouvoir porter le dit réel plus loin. Il n’est pas de négativité en cela (on ne tient plus à Hegel ou à Heidegger), et ça n’est pas plus une ipséité (une manière de remodeler Husserl, certes, en voulant le radicaliser « matériellement » ici dans le monde, plutôt que de succomber aux sirènes idéalistes). Il est plutôt du nietzschéisme en notre être ; le monde est affirmativement là, tel qu’il est, et notre être est un surcroit à cette positivité, une positivité fois mille ; c’est l’intégrale positivité effarante de notre être qui crée l’angoisse et l’exigence, mais on comprend bien qu’alors angoisse et exigence n’offrent plus du tout les mêmes finalités que si angoisse et exigence s’imposent d’un manque, créées dans la panique ontologique et la perte de tout. Si notre être est positivité, angoisse et exigence sont de réaliser encore-plus d’être.

Si notre être est positivité surabondante, le réel est sinon affirmé du moins présenté, là, tel quel, et il est essentiellement une plus grande volonté (si l’on reprend Nietzsche mais pas seulement une « volonté », qui est encore une figuration non conceptuelle de notre être), une plus grande volonté appelée par le monde, et ceci dans l’absolument là, débarrassé du néant (qui est alors comme une vue de l’esprit, du reste ce que originellement Hegel nomme négativité est en son système une conscience-faire-valoir, faire-valoir, passe-plat du concept qui seul serait réel). C’est en cela que l’exploration de « ce qui est » par les grands sujets (et Sartre dit nommément qu’il va s’en prendre à notre-être, tout à fait réel, et remonter sa structure, le cours des choses, ce qu’il réalise effectivement, cela ne fait pas de doute ; il révèle intensément la logique de « ce que nous sommes »), l’exploration de notre être réengage là où cela fait mal, affronte angoisse et exigence, mais il est possible de recomprendre ce qui a été pensé ; en fait c’est à cela que ça sert ; que cela soit re-compris. Que cela avance.

(On notera que Lacan, dont le but est de se saisir du Moi, de comment il est si complexement existant, détoure tous les dispositifs qui créent le moi, en sup-posant que centre de notre réalité il est un « être » qui fait trou).

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