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instants philosophie

La confusion des mois

7 Novembre 2014, 18:13pm

Publié par pascal doyelle

On s’étonne continuellement de la vision lamentable que nous offre le dit monde donné, cette humanisation qui court depuis la ou les révolutions, et comme tout cela part en n’importe quoi. Au choix ce monde se heurte à un mur ou tourne en rond alentour d’un fantasme de soi.

On a vu que l’humanisation produisait l’humain en tant que personnalisation ; il ne faut pas voir que la révolution, cad l’Etat démocratique libéral, a libéré la réalité, sinon en partie, mais plutôt que ce cadre général a proposé à chacun de développer sa propre réalité, son propre vécu. Et qu’une grande partie de ce vécu est non pas simplement donné là, mais produit, inventé, créé, et que cette création se formule comme personnalisation, comme moi, comme synthèse de contenus. On voudrait croire que cette synthèse repose en réalité et en vérité ; qu’il lui suffit de se manifester et que le monde humain sert à cela ; que chacun manifeste ce qu’il est ou peut être. Et non pas que c’est un processus qui est en marche. De cette fausse compréhension, il en résulte que tout tend à freiner ce processus, à le figer.

Puisque le moi est une synthèse, il revient à toute synthèse de demeurer telle quelle, de se croire éternellement. Mais aussi de revenir incessamment sur cette synthèse ; elle est fascination de son contenu.

Il faut comprendre le dit système économique « libéral » comme la survie forcée de ce fantasme, de cette synthèse, de son impossibilité à se dépasser comme synthèse, de son incapacité à percevoir quoi que ce soit d’autre et en plus ; pour un moi la synthèse est tout le sens possible en un monde, il n’y a rien d’autre, aucune autre forme d’organisation. Une synthèse absorbe totalement et ininterrompue le monde, le donné, la perception, le vécu, l’identité des mois, bref, tout. Puisque le fondement logique de la synthèse est que tout forme Un.

Ce qui est essentiellement différent de la pensée, du sujet, de la philosophie pour qui le un forme des totalisations, toujours secondes ; ce serait gravement recomprendre l’activisme philosophique lui-même que de croire qu’il ne vise que la rondeur du Tout ; il n’est en philosophie que des totalités traversées, perforées, démantibulées par le Un. Par la structure (qui est l’objet même et le seul objet réel de la pensée, du sujet, de la réflexivité).

De sorte donc que le moi tourne sans cesse autour de sa synthèse ; ressuscitant les morts, ce qui veut dire (puisque le moi est dans cette logique de son acquisition d’identité) réanimant les fantômes contre lesquels il peut exister (croit-il) en s’affirmant. On ressuscite la religion, le nationalisme que l’on peut haïr, la métaphysique, les étrangers que l’on peut détester, en vrac tout et n’importe quoi, puisque l’on ne cherche qu’à réaffirmer la synthèse (quelle qu’elle soit ; elle n’est pas astreinte à la vérité ou la réalité, elle est juste un processus de reproduction d’un contenu pour fermer le Un).

Toute détermination du monde, du donné ou du vécu va donc désirer clore le un ; le sens même, la logique du désir est la clôture ; que ça se referme, que ça cesse. Ce faisant lorsqu’il se satisfait, il ne lui reste plus rien, sinon de répéter le désir lui-même. Ça laisse un vide puisque la forme de notre être (qui n’est pas notre réalité humaine) est vide, ce qui veut dire formel, et que c’est cette forme qui doit se savoir d’abord et peut-être se connaitre ensuite (seule la philosophie veut atteindre la forme même, et non un remplacement de ce vide, comme dans le monde, ni une illustration, religieuse ou idéologique ou fantasmatique, de cette forme).

Engagée dans la synthèse éternelle, la conscience dans un moi revient sans cesse sur la formation de cette synthèse, elle produit en masse la représentation de son activité, cette activité de conscience ne se sait pas et connait seulement ses contenus, et épuise indéfiniment et absurdement tous et n’importe quel contenu.

Il n’est que la bifurcation de la conscience vers elle-même ; ce que la pensée, grecque, tentait, ce que le christianisme élançait vers le triple dieu, ce que René retournait comme sujet, ce que Nietzsche affirmait purement et sauvagement, de la pensée aux grands sujets, il n’y a que là que la structure se re-tient elle-même, sinon elle fabrique, elle bricole, elle absorbe, elle dévore et se mastique elle-même. La philosophie est la technique, la technologie qui maintient ouvert notre être, qui ne le clôt ni dans le divin, ni dans le terrestre, ni dans l’universel ni le vécu ; et c’est une technologie justement de ceci que ce qui est à saisir (notre-être, que l’on a dé-couvert, comme on découvre l’os) est soi-même une technologie, une structure inventée par le donné là ou par le « là » du donné.

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