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instants philosophie

L’élévation et la mort

27 Juillet 2015, 10:12am

Publié par pascal doyelle

Il est ainsi tout l’être, le donné là, le dépôt, la mémoire gigantesque. Et puis l’exister comme présent continu qui produit et épuise tout le donné.

Ce maelstrom délirant réalise sa propre nature indifféremment ; cet ensemble n’est pas doué de Sens, il est brutal, sauvage, désordonné (au sens où aucun ordre ne l’assigne à résidence et pour cause il est chez lui, il est tout ce qui est et par l’exister la racine même, antérieurement à laquelle il n’y a rien).

Au sein de cette dispersion d’énergie, intégrale, ici et là des ilots d’ordre ; soit donc statistiquement la réalité délirante s’ordonne autour de telle ou telle partie localisée et ce qui est ordonné est subsistant ; capable ainsi de durer dans le temps et de former des couches successives qui sont aptes à promouvoir de nouvelles constructions, ainsi de suite, et ce compte tenu d’un gaspillage forcené. (La quantité est proprement hors de toutes proportions et probablement infinie ou indéfinie, si l’on admet que le réel est fini parce qu’il n’est pas fini ou qu’il ne le sera jamais, qu’il est naturellement si l’on peut dire, non fini, en cours de route, peut-être à jamais en cours de route, ce qui éloigne le Un d’une perfection « totalisée », il n’est que le Un).

Et donc dispersion statistique (pour ce que l’on en connait) Jusqu’à ce qu’un être puisse lui-même se positionner.

Il aimerait bien se stabiliser, mais dans le maelstrom générateur l’auto-positionnement de son être est singulièrement pareillement une sauvagerie, et du même niveau que l’ensemble du réel.

Or cependant dans la brutalité très commune de la réalité, et du monde, le nôtre, l’auto-positionnement continue pour sa part le constructivisme avéré qui parsème le désordre généralisé et partiellement ordonné ici et là ; le constructivisme est la capacité de générer une stabilité et sur cette base d’engager une nouvelle formulation, etc.

Il n’est pas en soi de rupture entre le désordre général, les niveaux de formulation, ni même l’auto-positionnement de cet être spécifique ; cependant il le croit et surtout sent bien à quel point il décroche ; étant auto-positionné, il établit son propre lien et est son propre rapport ; encore une fois la mécanique est tout à fait brutale et folle (aussi folle que la réalité en général), mais qu’il soit son propre rapport veut dire qu’il tentera d’installer son régime spécifique.

Il est en charge de se demander où sera déplacée la ligne. Il est une ligne déjà toute tracée ; la mort. Selon qu’il considère que la mort des autres, des ennemis, est la première et la seule résolution définitive et réaliste. Tout l’ensemble de ce que l’on nomme l’histoire est régulé par la destruction comme sens effectif de la vie humaine (bien qu’il y ait eu auparavant probablement d’abord la nécessité de survie, impératif alors supérieur à tout autre, supérieur à la violence ; survie de quelques communautés mais durant des lustres, des milliers d’années mais suffisamment peu nombreuses pour que la guerre ne soit pas le sens même de ce qui est). S’ensuivent les périodes historiques qui se jugent elles-mêmes selon la mort.

Maintenir l’humain dans la nécessité de la mort s’entend aussi comme exploitation ; on prive ceux-ci et ceux-là de la capacité de survivre hors d’un système, on les soumet à la nécessité de survie et on en détient les moyens. Cela même forme le sens de l’histoire ; qu’il n’y ait pas d’autre possibilité que celle de la limite extérieure de l’humain, extérieur en ceci que le sens du monde est le nécessitarisme en lequel on s’enferme et abrutit les autres. Marx l’expose par exemple comme lutte des classes.

Jusqu’à ce que finalement on parvienne à définir à l’intérieur de cette extériorité de la mort et de la nécessité, une autre sorte de ligne de partage ; mais elle peine considérablement à émerger. Elle ne se soutient pas de la réalité ; elle n’est pas, cette nouvelle limite, cette mise en forme, une évidence du tout ; parce que si l’on peut très nettement situer la mort et la violence, on ne peut pas sortir du chapeau le réel de la limitation, celle qui exclut la mort, l’exploitation, le maintien dans la nécessité.

On a choisi obscurément de résoudre les problèmes par la violence, l’annulation de l’autre et de soi, et l’autre ligne n’est pas définissable de telle sorte qu’elle s’impose dans le monde, parce que la mort est concrète, et l’autre ligne abstraite, requérant une autre identité. On ne parvient pas à maintenir une telle identité. Il faudrait y convertir tout l’être.

L’auto-positionnement de cet être devait aménager une confrontation d’avec soi-même et ainsi la régulation assurée par la mort se dépasser par conversion à une autre sorte de limite. Limite propre et accessible en cette auto régulation.

On s’est aperçu ou on peut s’apercevoir que cette auto régulation a essayé de se convertir de par soi ; une conversion intérieure (la religion évidemment, essentiellement). Mais rien n’était suffisamment assuré et de toute manière la conviction intérieure ne suffisait pas. Il faut en passer par une régulation externe ; de là que l’on ait inventé l’universalisation ; dans toute son ampleur ; pensée, raison, science, technologie, acculturation, etc. Qui visent à organiser dans l’extériorité les conditions, humaines, qui permettent que s’opère une telle conversion, du dedans, et que l’on s’en convainc et que le monde ne nous attire pas à nouveau dans la limite de la mort (la mort comme sens et orientation par la nécessité).

Mais lors même que l’on installe une telle organisation, la logique de la survie s’impose et revient constamment ; elle est consubstantielle au monde, au vivant.

La conversion plus profonde qui autoriserait d’imaginer l’autre limite (au-delà de la mort et de la nécessité, de la guerre et de l’exploitation) est effectivement ce qui nous arrive depuis les années cinquante du siècle précédent(après le déchainement de la mort totale et mondiale). Il s’agit de créer des images de nous-mêmes, de l’humain, et qui pénètrent suffisamment loin en tous et chacun ; que notre conscience se colle à même cette image, qu’elle ne puisse plus faire demi tour et revenir à la mort comme sens (comme réalisme du monde, du vivant, de la guerre, de la violence, etc).

Et si les grandes images sublimes de jadis, les créateurs, parvenaient à convaincre quelques-uns, triés sur le volet, les poètes, les mystiques, les personnages élevés en somme, si l’on veut convaincre et convertir la masse, l’ensemble, le tous et chacun, il est impératif que l’on nous assène un déversement constant et persistant, profus et démultiplié d’images, de sons, d’identités, de corps, de mois, différents sortes de mois, de corps.

Ça doit passer par les nerfs, comme on le sait. Et il n’y a pas d’autres façons que de représenter des êtres vivants, parlants, éprouvants ; la conscience reçoit cela, reçoit immédiatement les images d’elle-même, envers et contre la mort et la violence. Mais en même temps cette acculturation très particulière se mêle de la limite de nécessité ; elle nous maintient aussi en partie sinon en majeure partie dans la force, le pouvoir mortel du monde ; elle reproduit les mécanismes de survie, nous impose sous conditions. Le héros peut bien manifester les plus beaux sentiments qui soient, la lutte culminera dans un affrontement physique, violent, pervertissant intégralement toute l’élévation ; retour de la logique de survie, et ça ne décolle pas. Et tout se déroule sous couvert de conviction non à une conversion (de l’âme, du regard, de l’épreuve, du libre, etc) mais à un bas et flagorneur retour en l’immédiateté.

Sous couvert d’un discours éthéré et désincarné (précisément la survie commandite que l’élévation prétendue ne se sache pas autrement qu’abstraite, alors que dans les réelles élévations elle se marque de la plus cohérente matérialisation perçue, esthétique), toute la malédiction de la survie maintenue, assénée, s’impose derechef. Elle se glisse dans la représentation et ramène l’étouffoir sur nos têtes.

Pour cette raison les idéaux de l’universel (le vrai, le bien, le beau, le droit, l’Etat, la liberté, etc) comme ils parviennent à manifester dans le monde de telles élévations, provoquent leurs inversions ; Sade, l’inhumain, le non humain en général, exposent ce que ça cache, ce qui couve d’une conversion qui n’en est pas une, qui ne peut pas émettre sa propre contenu assuré, qui s’effondre sous l’inconscient qu’il provoque, lequel inconscient qui couve sous l’élévation tronquée finit par manœuvrer les idéaux, en constitue même la substance pensante, pour le dire.

Bizarrement il est cependant hors de doute que quelques uns parviennent à installer dans le monde des singularités menées cette fois par la conversion intègre de notre être ; c’est tout autrement extrême et difficile. Et par intègre il ne faut comprendre qui serait converti à un mouvement désintéressé de soi, une sorte de sainteté abstraite, mais convertis, sont-ils, par investissement et avancée interne et externe, convertis dans l’effectivité dont on se demande où elle va se nicher ; un repli, un repli caché qui rétribue (mais non selon le monde, ni selon l’au-delà, ou une sorte de narcissisme qui se contente, mais qui hormis tout cela se rétribue quand même d’une étrange manière).

Cette conversion est dite ici interne (à l’opposé, si l’on peut dire, d’intérieure), et il faut donc élaborer une compréhension qui sorte de l’intériorité (et de l’extériorité), d’où la définition d’une structure en plus et tout autre (que le monde, le moi, la survie nécessiteuse, la violence, etc).

Comme elle n’a pas de représentation possible ou donnée dans la réalité, elle est obligée de se supposer et de créer son propre vocabulaire référant à une expérimentation de conversion interne (et interne-externe, et non pas intérieure-extérieure qui s’incluent ensemble dans le même monde) et de rechercher sa propre proto expérience ; il est clair que cette expérimentation relève d’une expérience hors l’humain et hors le moi. De sorte qu’engagé dans et par le monde, mobilisé par son état de guerre (manifeste ou larvé, mais cruel dans tous les cas), on ne comprend même plus la pensée grecque, le christianisme ou le sujet et pas plus Heidegger ou Rimbaud ; la perception en est biaisé par l’état générale du monde, du moi dans le monde (de l’intérieur-extérieur).

On y interprète spontanément selon une impossibilité et en un sens on a raison ; si la conversion doit avoir lieu (outre donc quelques expérimentations, élevées en elles-mêmes mais élevées sur un piédestal mais qui ne se communiquent plus ou presque, quoi que la diffusion et la montée en puissance de l’intellectualité ou mieux de l’intellectivité autorise une certaine prescience générale du monde humain, toute relative), elle s’installera (ou pas) selon l’image et la représentation des mois dans la médiation généralisée dont nous sommes le lieu, le lieu des mois.

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