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instants philosophie

Rick et les zombies

21 Janvier 2017, 10:33am

Publié par pascal doyelle

Etant dans l’incapacité de se penser, ce qui veut dire d’articuler, d’organiser le monde, celui-ci continuera donc de se représenter, toujours la même représentation, le fantasme, enroulé sur lui-même, niant les contraintes, le donné, l’état du monde, et qui engendrera dans l’aveuglement  tous les effets de décisions néfastes, et qui s’enfoncera de plus en plus profondément, hors de sa structure et de toute décision structurée, conscience immergée, absorbée, dévorée et étouffée par la réalité hors de contrôle, mais le fantasme s’en fout, il ne perçoit que son pseudo monde. Les mois s’enfonceront dans leurs vécus, les industries creuseront plus profondément et dévasteront, les systèmes politiques déplieront leurs folies et ils n’en manquent pas. De même qu’il ne manquera pas de morbides psychologies qui trouveront tout cela légitime et porteront leur assurance par de grands coups de menton valant titre de preuve et de vérité.

 De tout cela il ne restera rien. Il faut donc travailler à retirer de cette déchéance généralisée, globale mondialisée, les quelques chefs d’œuvre ou technologies qui pourront éventuellement, ça n’est pas certain du tout, éventuellement émerger du pourrissement, se préserver des brutales catastrophes irréversibles, et orientations qui pourront éventuellement être utiles aux quelques-uns qui survivront. Bien peu survivront, et en espérant qu’ils puissent conserver un minimum ou, rêvons, un maximum d’organisation et de concertation, pas comme Rick et sa bande, qui mènent individualistement leurs aventures qui requerraient au contraire un sens impératif de la communauté ; on peut dire que Rick et les siens sont détruits par le monde apocalyptique et n’y peuvent faire face, parce que leur individualisme propre est précisément la mauvaise réponse ; de là à comprendre que cet individualisme est justement ce qui causât l’apocalypse zombie… qui sont seulement des corps coupés de tout, livrés à leur propre soif, leur propre gouffre dévorateur, comptés un par un, foule sans forme ; la distribution des zombies le long d’une route, d’une rue est suffocante, leurs déplacements n’a aucune signification, aucune orientation, ils sont chacun posés « là », comme des cruches ; foule indifférenciée par excès d’individualité délirante, des êtres individués sans universel et donc sans pensée ; les zombies sont tombés, avalés par le gouffre intérieur et ce gouffre n’a rie de romantique, c’est juste un tour sans fond de dévoration ; ou on pourrait avancer que Rick et sa petite bande essaient justement de créer l’organisation interne que les barbares et les zombies n’envisageront jamais plus.

Remarquons que ça se complique si l’on interprète que Rick & co sont en enfer et qu’il s’agit de sauver, ou de ne pas perdre, son âme ; Rick souffre beaucoup, mais alors vraiment beaucoup, c’est la série la plus douloureuse et hargneuse qui se puisse (mais certes pas aussi profondément troublante que The leftovers) ; une horreur totale, la plus épouvantable épreuve dont on ne sait plus si elle veut forcer les protagonistes à rechercher en eux-mêmes la force ou la motivation, ou si ils ne sont plus que des machines torturées, de guerre, mécaniques . Une sorte de série qui s’effondre par le dedans ; on fait bien les marioles et les gros bras, on opte même pour un côté nietzschéen, on agit parce que l’on se découvre des possibilités de guerriers ; et on finit par ressembler aux Z, émaciés, tout squeu, la peau sur les os, raides et bouffés du dedans, avec plus aucune humanité alentour dont se nourrir. 

La forme du récit (qui est nécessairement celui de destinées individuelles, c’est le roman-récit comme catégorie en soi) est la condamnation de leur errance ; mais on pourrait lire à l’envers ; à savoir que Neegan, qui sont tous « Neegan »,  conduit à l’indifférenciation, zombiesque, tandis que Rick & co luttent contre ce raz de marée écrasant, essaient sans cesse de faire corps, un corps étendu ; le problème étant que les liens qu’ils tissent sont psycho-affectifs (famille, amis, etc, mais aussi bien la "nation" au sens déprimant ou l'Amour entendu petitement qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez, qui reste un vague mouvement du corps, qui n'est pas le christique en somme, l'amour sans caractérisation absolument divine et autre) et non pas universels et réflexifs. En vérité on n'imagine pas un "récit" qui serait un sens de la communauté, tel un communisme apocalyptique ; ça ne correspondrait absolument pas au Récit dans sa structure même. On atteint les limites du Récit lui-même. La solitude ontologique parfaitement paranoïaque.

Bref. Les élites sont encore plus absurdes et corrompus que les peuples, qui voient bien que ça cloche ; et comme les peuples ne possèdent pas d’intérêt ou si peu, les peuples perçoivent plus clairement la dévastation, mais les peuples sont bien incapables de se coordonner (ils réagiront égoïstement et aveuglément, comme tout le monde) et ce d’autant plus que les peuples ne pensent pas vraiment, ils le sentent mais ça ne remonte pas plus haut, et que donc ils sont de ce fait encore plus éloignés de se coordonner, de coordonner quoi que ce soit. Sorte de mouvements fous qui vrillent dans tous les sens, comme les Z  mais hyperactifs. Pour coordonner le monde (ou ne serait-ce que ses propres mouvements) il faut articuler la réalité, et articuler ça s’effectue par le haut.

C’est Clinton qui a libéralisé le marché financier, si je ne me trompe. Clinton le mari d’Hilary. Ou Mitterrand, chez nous. Après on s’étonne. Mais ça n’est pas étonnant du tout.

Comme on croit que le monde, la réalité attendait notre fantasme (le fantasme de réalité qui nous agite), on n’en revient pas que la réalité n’y corresponde pas du tout ; que l’on s’est trompé, que c’est autre chose que ce pauvre fantasme idéel, cette image de soi ou de l’humain, totalement non réaliste ; c’est autre chose qui se devait créer à propos de soi et du monde. Comme on n’a pas l’intelligence de produire un rapport au monde autre que ce fantasme, cette irréalité, on n’a pour résoudre l’effondrement que l’insistance de cette irréalité, rien d’autre ; on ne peut saisir nous-mêmes et le monde que par et via ce phantasme, qui va se répétant.

Et le fantasme est axé, bâti, produit par le corps ; comme boussole d’orientation, en ceci que l’articulation de l’attention que l’on porte aux choses et aux êtres au lieu de se créer comme attention fortement architecturée, convaincue de sa méthode et stratégie de conscience, se soumet, se délaisse, ne pousse pas jusqu’au bout son émergence de structure ; et le fantasme, le remplacement de cette attention stratégique par une image pourrissante, le fantasme plie les intentionnalisations, et même les plus étendues et élevées, les plus universelles. Vous créez une démocratie, vous la pensez bien comme il faut, alors de minuscules puis d’énormes motivations faciles, immédiates, pauvres, désirantes, viendront plier cette démocratie, s’insinueront et gagneront la réalité, la réalité elle-même n’offrira plus d’autre visage que celui composé de ce fantasme de réalité généré par l’immédiateté et l’impossibilité de penser par-dessus sa propre auto perception naturelle, spontanée, et, qui plus est, bien nourrie, cad extrêmement motivée à se préserver comme illusion, comme séparée, hors réalité.

On cherchera à justifier ce fléchissement, cette inclinaison des intentionnalités vers le bas, la faiblesse et la pauvreté, mais comme on est incapable de dénouer le fantasme, il pèsera de plus en plus lourd, se gonflant des perceptions, envies, désirs, décisions déjà acquises à sa cause morbide, qui parait tellement « naturelle », cette facilité et naturalité qui correspond tellement au monde comme il va. Qui n’est pas tant « morbide » que simplement désarticulée ; le désir s’organise ici et là, mais ne peut pas organiser des ensembles et un agglomérat de désirs ne constitue en rien une pensée, une maitrise.

Il ne suffit pas que quelques-uns ou en son fors intérieur on puisse ici et là se dépasser, il se devait que tous ou une majorité soit capables de voir plus loin, d’élargir l’horizon, d’articuler la réalité ; on ne se sauve pas tout seul ; ça n’est pas pour rien que le christ envoie le St Esprit pour réunir les convertis, et ce au cœur de l’empire romain, agrégat étatsunien du temps jadis ; le St Esprit est lui-même dieu et devait unifier comme telles toutes les consciences séparées par le christ. En vérité on ne se dépasse qu’à peine si ce mouvement n’est pas stratégique, ce qui veut dire partagé. Comme un danseur qui après un délicieux envol gracile, retombe lourdement sur le plancher, s'aplatit, ce qui gâche tout, même si pour faire passer le ridicule il obtempère de petits sautillements, pour faire genre.  

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