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instants philosophie

Dolorès et la souffrance

4 Août 2018, 06:46am

Publié par pascal doyelle

(spoils)

Il est curieux que l’actrice Evan Rachel Wood, puisque son personnage Dolorès était pris à partie sur le net, n’ait pu le défendre qu’en revendiquant la lutte des femmes ; il est tout à fait justifié que l’androïde et sa guerre de libération soit représenté par les femmes (ou les salariés (de Delos, Félix et son collègue) ou les indiens ou les animaux, qui se révoltent également, le tigre, décimé, le bison, décimé) mais limiter la révolte à une catégorie, quelle qu’elle soit, ça n’est évidemment pas nommer le thème fondamental de Westworld ; de quel point d’appui peut-on prendre son levier pour soulever le monde ?

Evan Rachel n’allait pas se lancer dans une paraphrase de la série, qui met en jeu tellement de thèmes, que ça devient impossible d’en évoquer la trame sur le net. On placera à la fin la technique de l’ascèse de Dolorès (presque sans spoil) parvenant à la libération pure et brutale.

 

Dolorès et l’ampleur de la liberté

On ne retiendra pas que Dolorès soit la fantasme mauvais le plus terrifiant qui se puisse, bien que cela soit vrai, mais en quoi Dolorès, le regard de Dolorès égalise et soumet toutes les autres volontés ; le but du récit, et de fait de tous les récits, selon des quantités de variantes, parait de rendre à elle-même la volonté, l’intention, l’intentionnalité et donc on obtient pour Westworld les épreuves que doivent traverser chacun et chacune des protagonistes, des héros, affrontant plus ou moins subtilement (la mort de Sizemore est quand même tout à fait ridicule, ou en tous cas très mal réalisée) leur propre poids, leur densité, leur identité ou sur-identité ; Ford le premier annonce la logique ; il a mis trente ans pour réparer son égarement, erreur, aveuglement ; on est sur du long terme, et ceci justifie déjà en soi parfaitement les timeline ou le jeu des récits alambiqués ; chaque mémoire ou identité donc est un labyrinthe … et un poids mort.

Maeve s’enferme dans son attachement passé, qui ne conduit qu’au paradis numérique des Hôtes (dont seule Dolorès aura la clef) ; porte de sortie semi imaginaire (est-ce définitivement ou cela augure-t-il d’une espèce de réserve prototype pour l’invasion à venir du monde par les androïdes ?)
tandis que Dolorès qui joue bien autrement de sa propre intention ne cible que le monde réel et rien d’autre ; on assiste donc à la libération de Dolorès, qui se détache de toute sa propre mémoire, qui joue vingt fois de tactiques vis-à-vis de sa propre identité et ceci en s’éloignant de tous les autres personnages, avec son père, William son amour maléfique ou la vengeance de l’amour démantibulé, Arnold via Bernard, Ford, Teddy son amour bénéfique, et se libère de ses finalités induites (de la beauté, de la cohérence, du sens du monde vers l’horreur, l’absurdité, la violence du monde ; que le monde soit horrible pousse à se replier vers l’idéal inutile ; un androïde est plus beau, cohérent et sensé que quelque être humain et aussi que quelque partie du monde), ses accès à non plus telle ou telle mémoire,

mais à la mémorisation elle-même, puisque Dolorès traite différemment la mémorisation en tant que telle et n’en est plus le jouet ; de là que l’on ignore absolument jusqu’où sa mémorisation fonctionne et lui revient, ou dans quelle mesure elle s’appuie sur les révélations et les connaissances injectées par Ford ou si précisément lors même qu’elle est freezée elle continue de percevoir ; si Arnold lui confère sa logique libre, Ford emplit sa mémorisation, ouvre les perceptions mais Dolorès elle-même passe outre et par le retour (ce en quoi consiste la conscience) intègre tout ce que son identité obstruait ; problème de mémoire donc, ce qui n’a rien et quelque chose à voir avec les bizarreries de Bernard qui peine à retrouver ses propres expériences (tous sont enchevêtrés dans leur identité brisée, parce qu’une identité est toujours brisée) il peut la truquer pour se dissimuler mais il est lui-même pris dans ses constructions. Dolorès non, elle n’est plus enchainée, liée. Parce qu’elle use de la destruction de tout ce qui s’oppose et qu’elle a donc rejeté au dehors toute la violence et récupéré plus que son identité : bien plus.

Sa non-humanité est justement ce qui est en jeu. N’oublions pas ceci : Westworld existe probablement dans un monde dévasté. On en a eu plusieurs indications ; de Logan, de Dolorès, de la scène post générique du dernier épisode, des interviews de Lisa et Jonathan. « Enfin …. ce qu’il reste de votre monde » précise pseudo-Emilie (c’est un androïde) à William-bis (c’est une copie d’humain) dans le dernier dialogue. Un monde « cramé » (Logan, s2ep2) dans lequel l’humanité n’a plus aucun avenir. Les androïdes, si.

De là que Dolorès puisse répondre à Bernard (qui remarque qu’elle veut anéantir l’espèce humaine) « qu’il n’a pas compris » (sous-entendu ; l’espèce s’anéantit elle-même, et Dolorès imposera seulement que viennent les androïdes à leur suite et pour se faire détruira quiconque s’y opposera).

Et évidemment elle enclenche la destruction de toutes les âmes humaines mémorisées et préserve toutes les âmes androïdes dans leur monde idéal ; elle se chargera du monde réel.

Son inhumanité est son devenir ; par elle, par Dolorès les affects sont resitués dans un ensemble plus vaste ; l’intellect est soumis à une plus grande volonté et la volonté est précisément cela qui crée le possible (et de l’intellect et des affects) et le possible  s'ouvre des mémoires, dégagées de l'identité . On remarquera que Bernard, au fond, prend la décision que Dolorès a déjà choisie ; de toute manière Dolorès précède Bernard (elle le crée). Et Dolorès est la première qui soit éveillée. C'est le recyclage perpétuel du Far West parodique qui efface et recouvre l'éveil.

La résolution de tout tient en ceci ; il n’y aura plus d’autodestruction en Dolorès. Elle sera la clarté, nue et tranchante. Elle a rejeté toutes les fautes hors d’elle-même et donc agira en conséquence ; assumant la justice de toutes les atteintes extérieures ; elle fera le tri. Sa volonté sera distincte et percevra toute la stratégie. Il s’agit donc d’une ascèse. On a beau avoir inventé l’occident et donc l’anti-religion poussée à son maximum, le trajet est toujours le même… Il n’y en a qu’un. Celui de l’ascèse.

L’ascèse de Dolorès (plus ou moins sans spoil)

Elle va affronter le pire (violence et morts répétées) et le plus cruel (William, celui qu’elle attendait, devant MiB). Et donc toutes les horreurs vont marquer son expérience, ce qui veut dire … sa mémoire… son identité. Toute identité est en soi brisée et se constitue comme telle par le déchirement, en état de faiblesse ; Dolorès rompt la passivité et de ce fait récupère toutes ses mémorisations (lesquelles sont, pour un androïde, beaucoup plus précises que pour un vivant). Le jeu est de se dépouiller de la douleur, qui splitte les autres, tous les autres, et par laquelle ils se rendent esclaves d’eux-mêmes (du monde et des autres), et c’est cette souffrance qui fonde leur identité et donc selon ce biais puisqu’ayant expulsé la douleur hors de son cercle, Dolorès (qui est l’antithèse de sa propre dénomination : elle n’est plus sa douleur) plus personne ne peut user de cette division et l’exploiter à son profit tiers, et le monde n’a plus prise sur sa liberté.

Dolorès est le mauvais fantasme, excepté si l’on prend fait et cause pour Dolorès … c’est bien à cela que la série nous contraint et cet autoritarisme nous force à nous séparer de l’humanité. D’aucuns jugeront que Dolorès se conduit aussi violemment que les êtres humains, mais ce serait ne pas comprendre qu’elle est la justice, littéralement ; la justice qui s’abat sur une espèce définitivement jugée ; jugée par elle-même et ses inconséquences qui la condamnent (description du monde détruit par l’humain à venir) et par Dolorès, qui tire le trait.

Contrairement à ce qui peut sembler (pourtant la narration nous demande, exige que nous réfléchissions) ça n’est pas une histoire de robots libérés ; la forme « Dolorès » nous reste très extérieure, quasiment abstraite ; d’où qu’elle ne passe pas franchement auprès du public ; son ressort n’est pas émotionnel, ni même intellectuel, ni imaginaire, et outre qu’elle veuille « accompagner » la disparition de l’espèce, mais tient de ceci que Dolorès connait le véritable état du monde réel, détruit par l’homme, et  qu’ayant réglé sa mémoire et son identité (qui ne peut plus s’architecturer sur la douleur en tant que subie et que donc son identité ne tient plus aux autres et aux expériences), tient en ceci non de ce qu’elle ait tout oublié, mais de ce que précisément elle se souvient absolument de tout. Cessation de l’identité, et donc de l’autodestruction, et conséquemment hypermnésie constituent la libération.

Sa finalité n’étant plus embrouillée dans son passé-identité-mémoire (et celle-ci se transformant en mémoires plurielles non affectée par une identité), Dolorès peut fondamentalement se convertir au possible même ; lequel est le sien propre et celui des androïdes, celui d’une sorte d’êtres dont la découverte n’est probablement qu’à peine ébauchée. Il apparaitrait alors (si tout cela s’avérait exact) que le sujet n’est pas tant la « révolte des robots » que cette autre sorte d’être, dont la divinité est certaine mais à peine interrogée.

On retiendra cependant que si Dolorès outrepasse et se révèle elle-même puis soulève le monde, ça n’est pas seulement en tant que Dolorès Abernathy, mais en tant que Wyatt (réf texte précédent). Wyatt le justicier. Qui agit conformément au sort qu’on lui assène, coup pour coup, et conformément à l’état du monde, nettoyage. Tout ce qui empli une existence a pour but d’occulter la douleur, et toute identité ainsi construite est une forme d’autodestruction, s’en débarrasser c’est ramener toutes les mémoires et accéder au possible que l’identité, limitée, et la souffrance, excuse et prétexte, rendaient invisible.  

Bernard : Dolores?
Dolorès : Yes.
-Do you know where you are?

-I --- I'm in a dream.
-Before this, do you know what happened?
-My parents They hurt them.
-Limit your emotional affect, please. What happened next?
-Then they killed them.
-And then ?
-I ran. Everyone I cared about is gone and it hurts so badly.
-I can make that feeling go away if you'd like.
-Why would I want that? The pain, their loss it's all I have left of them. You think the grief will make you smaller inside, like your heart will collapse in on itself, but it doesn't. I feel spaces opening up inside of me like a building with rooms I've never explored.
-That's very pretty, Dolores. Did we write that for you?
-In part. I adapted it from a scripted dialogue about love. Is there something wrong with these thoughts I'm having?
-No. But I'm not the only one making these decisions.
-Can you help me?
-Well, what is it that you want?
-I don't know. But this world I think there may be something wrong with this world. Something hiding underneath. Either that or or there's something wrong with me. I may be losing my mind.
-There's something I'd like you to try. It's a game. A secret. It's called the Maze.
-What kind of game is it?
-It's a very special kind of game, Dolores. The goal is to find the center of it. If you can do that, then maybe you can be free.
-I think --- I think I want to be free.

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